Chapitre 17

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Le lendemain matin, nous sommes réveillés par une alarme stridente. Une différente de la veille. Bon ou mauvais signe ? Aucune idée.

Sans comprendre ce qu'il nous arrive, comme très souvent ces derniers jours, nous nous levons et quittons précipitamment notre dortoir, toujours en pyjama. Nous nous rendons dans le couloir, en rangs bien ordonnés - n'oublions pas les bonnes habitudes.

Un adulte nous fait signe de le suivre. Il nous emmène dans une salle, à l'étage au-dessus. Trois tables sont disposées les unes à côté des autres. A la queue-leu-leu, dans l'incapacité de voir devant nous, nous attendons patiemment notre tour. Lorsqu'il vient enfin, je m'avance vers la première table.

L'homme assis derrière me demande :

- Taille ?

- Heu... réponds-je, hésitant. Un mètre soixante cinq ?

- Moins ! s'exclame Hochwell, derrière moi.

Je décide de ne pas relever cette provocation. De toute façon, je suis trop fatigué pour lutter contre qui que ce soit. Trop fatigué pour réfléchir, aussi, si bien que lorsque l'homme indique à son voisin de me donner n'importe quel uniforme, je ne réalise même pas qu'il risque d'y avoir un petit problème.

Le second me remet donc un pantalon, une veste et un tee-shirt, tous vert kaki, soigneusement pliés. Je les récupère et m'avance à la troisième et dernière table, où on me fourre un sac lourd dans les mains, que je suppose empli de matériel.

L'esprit embrumé par le sommeil, à peine éveillés, nous restons donc à demi-conscients jusqu'à notre arrivée dans la cour, où des camions attendent d'être chargés, toujours à la queue-leu-leu.

Je regarde autour de moi. La plupart des jeunes ont l'air ravis de ce changement de situation. Tieden, qui me suit de près, ne semble pas partager leur avis, nerveux :

- Ne me dites pas que l'heure du départ au combat a été avancée ?

Je ne sais pas quoi en penser. Peut-être est-ce un mal pour un bien ?

En tous cas, ça aura des avantages, comme ne plus croiser le regard de Hent et sentir monter en moi l'envie de l'étrangler ou, tout simplement, quitter cet endroit insalubre, invivable. L'ambiance du dortoir, plus que pesante, n'avait plus rien à voir avec les premiers jours. Déjà que je n'aimais pas cet endroit, aujourd'hui, je n'ai absolument aucun regret.

Alors que je comptais avouer à Tieden que j'allais être de corvée lors des batailles, le moment propice ne s'étant pas présenté, je décide de lui dire plus tard. Précis, comme toujours.

Un homme qui ressemble à tous les autres nous fait monter dans l'un des véhicules. Il semble perturbé et marmonne, à notre intention :

- Vous vous habillerez en route.

A l'intérieur de l'engin, je remarque qu'il s'agit du même type de camion que celui que nous avons emprunté pour aller à la base. Peut-être le qu'il s'agit du numéro 3 916, d'ailleurs, nous n'en savons rien.

La seule différence, c'est que pour ce trajet, seuls cinq sièges sur six seront occupés.

.oOo.

Le camion n'aura roulé que 2 heures, dans un silence le plus total. Personne n'a osé dire quoi que ce soit. C'est sans doute mieux pour tout le monde.

Je me suis changé, ai mis l'uniforme vert kaki que l'on nous a remis à la base avant notre départ. Le mien - quelle surprise ! - est trop grand : j'ai été forcé de retrousser le bas du pantalon, les manches ainsi que de serrer la ceinture presque au maximum.

Certes, je suis plus petit que la moyenne des garçons, ici, mais ils auraient quand même pu faire un effort, non ? Me donner du XS, par exemple ?

Mon pied tape régulièrement contre le sol, signe de ma nervosité. On ouvre la porte.

A peine sorti, la première chose qui me frappe est l'odeur de sel, et ce bruit... Je regarde droit devant.

Stupéfait, je reconnais un bateau : c'est le première fois que j'en vois un. C'est avec attention que je le scrute, portant attention même aux plus petits détails. Bien que je n'y connaisse rien, je peux tout de même affirmer qu'il est immense. En-dessous de lui s'étend une gigantesque étendue d'eau. La mer ?

Des oiseaux, peu nombreux, volettent lentement. Je suis émerveillé, subjugué, si bien que j'aurais pu rester ici des heures, juste à observer les vagues faire des va-et-vient contre les pierres.

Mais, fin de l'admiration, on nous pousse vers la passerelle qui fait le lien entre la terre ferme et l'énorme engin. Nous devons êtres plusieurs centaines, agglutinés, à tenter de passer de l'autre côté.

La passerelle tangue, et je crains qu'elle ne cède, mais c'est finalement sans problème autre qu'un mal de ventre que j'atteins le bateau. Je me retourne un court instant, mais il n'y a aucune trace de mes camarades de dortoir.

Je ne peux pas les attendre car il est déjà trop tard. Léger comme je suis, j'ai été emporté par la foule.

Aucun étage n'est aménagé, à la manière d'une gigantesque mezzanine, à ciel ouvert. Je m'assois donc par terre en tailleur, attendant le départ. Je ne vois même pas l'eau, scintillante, puisque les personnes devant moi sont trop nombreuses.

J'ai beau chercher, je ne remarque aucune fille. Mon merveilleux sens de la déduction m'indique qu'elles ont sûrement une base qui leur est dédiée. Je leur souhaite sincèrement d'avoir des geôliers plus aimables que les nôtres.

Soudain, quelqu'un me tire par le bras pour me faire pivoter.

- Bleuet ! s'exclame joyeusement le garçon à la cicatrice, bien que je me demande comment il m'a reconnu au milieu de ce rassemblement kaki. Je vois que ton uniforme est un peu grand. Dommage !

Je lui réponds pas une petite grimace. Il observe le plafond un court instant avant de demander :

- Alors, où penses-tu que l'on va ?

- Au combat, proposé-je.

- Bien vu. Et plus précisément ?

- Hum... Je ne sais pas. J'avoue que je manque d'imagination.

Un sourire, chaleureux sans doute, étire son visage.

- Ce n'est pas que tu manques d'imagination, désapprouve t-il. Il y a une raison. Qu'est-ce qui fait que tu ne sais pas ?

- On ne nous dit pas où nous allons.

- On ne nous dit pas ?

- Ils ne nous disent pas, corrigé-je.

- Exact. Mon hypothèse est qu'ils ont avancé le départ afin d'éviter toute rébellion.

- Qui veut se rebeller ? protesté-je. S'ils le font, c'est la mort qui les attend !

- Mais, mon petit Bleuet, la mort ne nous attend-elle pas aussi là où nous allons en ce moment-même ?

.oOo.

Qui voudrait nous tuer ? Pourquoi ? Allons-nous vraiment au combat ?

Une multitude de questions se bousculent dans ma tête, errant sans pour autant trouver la moindre réponse.

Je ne sais pas depuis quand nous sommes partis, mais au moment où l'attente devient vraiment insupportable, un tintement assourdissant se fait entendre. Les jeunes autour de moi se lèvent un par un.

Je les imite, suivi par mon voisin aux yeux gris. L'étage se vide peu à peu, mais je ne bouge pas pour autant. A quoi bon descendre si c'est pour trouver la mort ?

- Allez, Bleuet, m'encourage le garçon. Dis-toi que tu vas faire le ménage, tandis que moi je serai en première ligne.

Je me tourne vers lui, la bouche ouverte de stupeur. C'est vrai. Je n'avais pas vu ça comme ça...

Ce qui était une punition s'avère me rendre service.

Je me décide enfin à quitter l'étage pour me rendre au niveau de la passerelle, bien moins remplie que tout à l'heure : la plupart des jeunes sont déjà sur la plage, en train de recevoir des ordres. Nous descendons du bateau, sous le regard attentif des hommes armés, toujours à bord.

A peine avons-nous posé le pied sur la plage que des déflagrations se font entendre. Inquiets, nous nous dirigeons vers le groupe le plus petit, où celui qui semble diriger nous demande :

- Vous êtes des soldats ?

- Lui, non, répond mon ami. Il est de corvée.

L'homme fronce les sourcils, mais acquiesce tout de même.

- Bien, fait-il, tu t'occuperas de notre section. Nous sommes le groupe 210. Facile à retenir. Ce sera votre identité, à partir de maintenant. Suivez-moi.

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