Chapitre 18

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L'air, rafraîchi depuis notre départ, est humide et le ciel noir. De grands rochers sombres, pointus, luisant d'humidité, entourent le centre le l'île. Pour le moment, le paysage est très inhospitalier et l'envie de faire demi-tour monte en moi.

Nous nous engouffrons dans un passage étroit et zigzaguons entre les rochers pour enfin atteindre l'endroit où nous stoppons la marche. Je me penche sur les côtés pour espérer apercevoir quelque chose, une construction en béton armé, par exemple. Je ne perds pas le nord : nous sommes à l'Extérieur, il ne faut pas rester sans protection, c'est extrêmement dangereux ! Mais, hélas, autour de moi, il n'y a qu'un immense espace boueux, où ce que je suppose avoir été des arbres ne sont plus que des tiges carbonisées sortant du sol.

De nouvelles déflagrations, plus proches que tout-à-l'heure, se font entendre. Le son semble venir de l'autre bout de l'étendue boueuse. C'est donc là-bas qu'ils vont se battre ?

- C'est ici que vous allez vous installer, fait l'homme comme pour me répondre, en désignant une petite place entre les rochers. Sortez les tentes de vos sacs et montez-les. Toi, poursuit-il en me montrant du doigt, suis-moi.

Il m'emmène à quelques mètres du campement de mes camarades, derrière une grosse ardoise plantée dans le sol, où se trouve une petite cabane, miteuse. Elle semble très vieille. A-t-on attendu notre venue depuis si longtemps ?

Le bois, pourri, semble protester lorsque nous poussons la porte pour entrer. Dès que je pénètre dans la cabane, une puissante odeur de feu de bois m'assaille. L'aménagement est très rudimentaire : un placard, une table, un tabouret, un lit, un poêle et un tonneau d'eau. L'adulte s'assoit sur le tabouret et me regarde de ses yeux bruns, tandis que je reste debout.

- Tu as l'air jeune, remarque t-il. Plus que les autres. Quel âge as-tu ?

Peut-être que l'uniforme trop large me donne une allure d'enfant. Peut-être que ma pâleur, mes cernes et mon air apeuré l'accentuent. Peut-être que je pourrais m'en servir...

- J'ai douze ans, mens-je.

Il ne semble même pas surpris, seule de la pitié est visible sur son visage. Je ne sais pas comment le prendre. Il se lève et se tient devant moi puis se baisse, lentement, pour arriver à mon niveau, et m'interroge avec douceur :

- Comment t'appelles-tu ?

- Hérion.

Il continue de me fixer, puis se relève brusquement et m'indique :

- Prends mon lit. Il n'est pas très confortable, mais ce sera mieux que le matelas qu'on t'a donné. Je vais voir comment se débrouillent les autres avec leurs tentes. Tu peux poser tes affaires et t'installer. Fais comme chez toi.

Sur ces mots, il quitte la cabane, me laissant seul. Aussitôt, je sors tout le matériel de mon sac : je n'en ai pas encore eu l'occasion.

Je vide son contenu sur le sol au parquet défoncé : un couteau, une boîte d'allumettes, une veste imperméable, un jeu de sous-vêtements, un matelas très fin, un bol en métal, de quoi monter une tente - sans notice bien sûr - et, dans un petit étui, rangés dans une poche à part, un pistolet et deux boîtes de cartouches.

Rien à manger, pas de bouteille ni de récipient pour transporter de l'eau... Je me demande combien de temps allons-nous rester ici, et surtout, contre qui mes amis vont-ils se battre ? D'autres jeunes ? Des adultes ? Ou même, pire peut-être, des monstres de l'Extérieur ?

Je n'ai qu'une certitude : vu la qualité du matériel, le combat ne va pas durer longtemps. Ça risque d'être expéditif. Par contre, je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvais nouvelle.

Je dépose mes habits propres au bout du lit et accroche ma veste au porte-manteau. J'ouvre le placard. Il ne contient que quatre livres, quelques vêtements, de quoi coudre et de la vaisselle. J'y pose le couteau et la boîte d'allumettes. Je me détourne, pour me rasseoir sur le lit. Je mets le pistolet, vide, sous mon oreiller - on ne sais jamais ce qui peut arriver - ainsi qu'une boîte de munitions.

Je me souviens que l'on ne nous a toujours pas rendu nos affaires personnelles, à la Base. Et Rellov, que lui est-il arrivé ? Où est-il allé ? A-t-il été chargé de cuisiner pour les jeunes jusqu'à la fin de ses jours, ou est-il actuellement séquestré dans d'horribles conditions ? Pourrai-je le revoir ?

Je réalise autre chose : nous sommes à l'Extérieur. Hors, le seul danger à l'horizon est celui qui vient de là où nous allons nous rendre consciemment : au combat. Les coups de feu que l'on entend, d'ici aussi, est-ce ça le combat ? Que se passe t-il à-bas ?

Je m'assois en soupirant, quand la porte s'ouvre en grinçant bruyamment, laissant entrer l'homme aux yeux bruns, ses cheveux bouclés attachés en une queue de cheval.

- Viens, fait-il, je vais te montrer l'endroit où tu vas passer la plupart de tes journées.

- C'est à dire ?

- Au potager.

Je vais cultiver des légumes pendant que mes amis vont mourir en se battant vaillamment ? Surpris et irrité, je questionne à nouveau :

- En quoi mon rôle consiste t-il exactement ?

- Tu vas nourrir notre groupe, répond l'homme. Tu vas entretenir les plantes, les faire pousser, les ramasser, les broyer, en faire de la soupe, de la purée... Un peu ce que tu veux. C'est toi qui gères.

Comment pourrons nous survivre en ne mangeant que de la soupe ? D'après mes souvenirs des enseignements que j'ai reçus dans la zone, il faut au minimum que nous mangions des pâtes, du riz, des céréales... Mais, malheureusement, il y a un autre problème, plus important encore :

- Mais... Je ne sais pas cuisiner !

C'est à son tour d'être surpris :

- Tu ne sais pas faire ou tu n'as jamais essayé ?

- Les deux.

- C'est très instinctif, me rassure t-il avec un petit sourire, entre attendrissement et moquerie. Viens, je vais te montrer un chemin. Retiens le bien, tu devras le retrouver tous les jours jusqu'à la fin des combats.

Il m'emmène derrière la cabane, où zigzague en effet un petit sentier. "Sentier" est un grand mot. Il s'agit en fait de l'endroit où les traces de pas sont les plus nombreuses. Nous le suivons, nous enfonçant un peu plus profondément dans les terres.

Dix minutes plus tard, nous arrivons enfin. L'espace est petit, entouré par les rochers, terreux sans pour autant être boueux et des tiges d'un vert fluorescent sortent du sol.

Les plants de légumes ont donc été mis en terre il y a plusieurs semaines déjà - ou plus, j'avoue ne rien y connaître en botanique. Cela signifie que ces terres, hostiles, sont occupées depuis longtemps.

C'est donc ici que je vais passer mes journées. Il n'y a rien pour m'asseoir ou me poser, mais bizarrement, je préfère tout de même planter des carottes que mourir dans la boue.

Au milieu se trouve un bidon à moitié rempli et je suppose qu'il distribue l'eau aux plantes, au goutte-à-goutte.

- Ceci, fait l'homme en désignant l'objet cylindrique, c'est la chose la plus importante pour que nous ayons de quoi manger. Il faut que tu t'assures qu'il y ait toujours de l'eau dedans. Soit il pleut, et vu la couleur du ciel ça ne serait pas étonnant, soit tu vas devoir en trouver. A la cabane, nous avons de l'eau douce, mais elle est réservée à être bue, en soupe par exemple. Les outils pour entretenir et cultiver les légumes sont derrière le gros rocher, là-bas.

Il désigne l'emplacement d'un geste du menton, avant de s'éloigner.

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