Chapitre 19

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J'aurais pu commencer mon travail - qui en soi consiste uniquement à ramasser des légumes-, mais la météo ne m'en a laissé ni le temps, ni le choix.

Les éclairs zèbrent le ciel, la pluie s'abat contre le sol avec violence, noyant les plantes et détrempant la terre. Je regarde le ciel, exaspéré, d'un regard que je veux désapprobateur, mais ça n'aide pas le mauvais temps à se calmer. La fin de l'orage n'est pas pour tout de suite. Je soupire. A l'abri sous un large rocher, j'espérais ne pas avoir à me mouiller, mais je crains qu'on ait besoin d'un potage ce soir, et que dire "il pleuvait" ne sera pas une excuse suffisante pour me faire pardonner aux yeux de ceux qui m'attendent, au camp.

Je me lève tant bien que mal, essayant de ne pas porter attention à ma tête qui tourne - manque de nourriture, manque de sommeil ou maladie ? Peut-être un peu des trois -, ramasse un des outils, ayant d'ailleurs une forme très étrange, puis me dirige vers le bidon, mes pieds s'enfonçant dans la terre un peu plus à chaque pas. Je m'avance vers les tiges vertes, en saisis une et tire dessus. L'eau rendant la terre plus molle, la carotte sort toute seule, et produit une sensation extrêmement satisfaisante.

Patates, tomates, poireau, melon, courgette... La diversité est étonnante, et je commence à me demander avec curiosité quel goût aura cette soupe. Quoique, pas sûr que melon et courgette aillent bien ensemble.

J'installe avec une attention particulière les légumes dans la brouette mise à ma disposition, puis entame le chemin du retour.

La roue s'enfonce sans arrêt dans la boue, rendant ma progression lente et laborieuse, mais j'arrive tout de même à regagner la cabane, trempé jusqu'aux os, mes bras et mes jambes à bout. Demain, j'aurai très certainement des courbatures de qualité.

Je toque.

La porte s'ouvre, révélant le visage, inquiet, du chef de notre groupe.

- Te voilà enfin ! s'exclame t-il. Tu en as mis, du temps !

Il s'écarte pour me laisser entrer, m'aidant à décharger la brouette.

- Tu as tout pris ? demande l'homme, les sourcils, remarquant la quantité élevée de fruits et légumes que j'ai ramenée.

- Oui.

Il me regarde avec des yeux ronds.

- Pourquoi ? demandé-je. Je ne devais pas ?

- Pas nécessairement, mais maintenant c'est trop tard. Il faut juste trouver comment stocker tout ça.

En pleine réflexion, il me jette un rapide coup d'œil puis m'ordonne :

- Va te changer, je m'occupe de cuisiner tout ça. Toi, tu t'en chargeras demain.

Tandis qu'il s'affaire dans son coin, je m'assois sur le lit, me déshabille pour enfiler des vêtements secs, qui, au contact de ma peau, me réchauffent immédiatement. Je n'avais pas réalisé à quel point j'étais frigorifié.

Le tonnerre gronde, au-dehors, et je pense à Tieden. Où est-il ? Combat-il, en ce moment-même ? Dort-il dans une tente à la toile si fine qu'elle laisse tout passer, du moindre souffle de vent à la moindre once de peur, dans le froid et la tempête, comme le garçon à la cicatrice ?

J'aimerais bien revoir mon ancien camarade de dortoir. J'admire sa détermination à toute épreuve, sa force de caractère. On a l'impression que rien ne l'atteint, que peu importe ce qu'il arrive, il reste le même, décidé, sûr de lui... J'aurais besoin de ses certitudes. Sa franchise. Son courage.

Je me fais du mal. Il faut que je pense à autre chose qu'aux personnes que j'ai perdues de vue. Liago, Sloane, papa, maman, puis maintenant Rellov, Faïen, Tieden, même Hochwell... La liste s'allonge chaque jour un peu plus. Je devrais arrêter de ruminer, trouver un moyen de me changer les idées. Qu'est-ce que je faisais, dans ma zone, quand je m'ennuyais ?

Je me souviens des quelques ouvrages, dans le placard de la cabane, et, brisant le silence, je demande :

- Est-ce que je pourrais vous emprunter un livre ?

Surpris, l'homme à la queue de cheval se tourne vers moi.

- Je doute que ça t'intéresse, répond-il, mais si tu veux vraiment, vas-y. Ah, et donne-moi tes vêtements, je vais les faire sécher.

Je lui jette ma veste, mon débardeur et mon pantalon qu'il rattrape avec habilité, puis me dirige vers le placard, où je retrouve les livres, rangés les uns contre les autres.

Curieux, je lis avec attention les titres :

"Histoire de la physique, du 19è siècle à nos jours", "Guide du jardinier", "1001 soupes et potages" et "Comment cuire des légumes à l'eau".

Trois sur quatre concernent le potager et la cuisine, et je suis forcé d'admettre qu'il avait raison : ça ne m'intéresse pas particulièrement. Je m'empare donc du livre bleu, à la reliure usée, parlant de physique, et me plonge dans une lecture lente et laborieuse. Son seul avantage aura été de faire passer le temps et m'aider à faire abstraction des milliers de questions qui errent dans ma tête, à la recherche d'une réponse.

                                                                                  .oOo.

Le soir venu, la vingtaine de garçons composant notre petit groupe, l'adulte et moi nous installons autour d'un feu, à l'extérieur, la pluie ayant enfin cessé. L'importante marmite de soupe posée sur le feu, chacun a son bol en métal entre les mains, profitant de la chaleur qu'il dégage, chose devenue rare et précieuse.

Le potage a bon goût, même si on sent principalement le poireau et la tomate. Les livres et les connaissances de l'homme ont probablement contribué à cette réussite.

Le repas terminé, plusieurs groupes se sont formés, très naturellement. Près du feu, assis sur une bâche pour ne pas finir avec l'arrière-train trempé, je suis avec le garçon à la cicatrice et deux autres adolescents, qui doivent avoir son âge.

- Vous en pensez quoi, vous ? demande l'un d'eux, au visage osseux.

- De quoi ? questionne l'autre. De la soupe ?

- Mais non, crétin ! De notre présence ici.

- Ah, ça ! On était mieux chez nous, c'est clair...

- Parce que vous pensez que la zone était à vous ? interroge mon ami, prenant la parole pour la première fois de la soirée, aimant faire réfléchir, comme à son habitude.

- ...

Les deux garçons échangent un regard anxieux, puis, d'un même élan, se lèvent, nous saluent puis s'éloignent avant de disparaître dans leurs tentes, détrempées à cause de la pluie de tout-à-l'heure.

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