Chapitre 23

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- En quoi consiste mon rôle ? demandé-je, avide de connaître la réponse, bien que, vu le surnom, je doute qu'il me plaise.

- Attends deux secondes, répond Lyl.

- On va te détacher avant, poursuit sa sœur.

Elle passe derrière moi, puis tranche les ficelles qui me maintiennent attaché. Elles tombent au sol dans un bruit sourd.

- Tu connais la définition d'un crash test ? interroge Armand.

Je secoue la tête négativement.

- Les crash-tests sont des essais réalisés en laboratoire qui permettent de vérifier le comportement des véhicules en cas de collision, récite t-il. Puisque cela coûte très cher, ces essais sont soumis à un protocole permettant d'obtenir le plus d'informations possible en un minimum d'essais. Vous, c'est la même chose. Vous êtes des petits rats de laboratoire.

Je sens mes poils se hérisser, peu flatté par la comparaison avec les rats, créature nuisibles dont je n'ai entendu dire que du mal.

- Les dirigeants sont à la recherche d'une technique de combat infaillible, commence la fille.

- Une technique qui leur offrirait la victoire à chaque guerre, poursuit son frère.

- Contre qui se battent mes amis, alors ? questionné-je.

Armand grimace.

- Tu as perdu les filles de vue. C'est normal : elles aussi sont allées dans une base. Seulement, on ne leur a pas enseigné la même manière de combattre.

- Je n'ai pas appris à combattre, l'interromps-je.

- C'est parce que tu es arrivé peu de temps avant le départ, explique la fille. Je te rassure, tous les autres ont appris.

- Bref, coupe Armand, tes amis se battent contre les filles.

- Mais... Pourquoi ? interrogé-je, scandalisé.

- Je croyais ça facile à comprendre, réplique le garçon aux cheveux noirs, mais visiblement ça ne l'est pas pour toi. En tous cas, lors du combat qui opposera les garçons et les filles, des dits experts seront présents et observeront leurs techniques, plus particulièrement quelle "méthode d'éducation" a été la plus efficace, qui sera ensuite enseignée à d'autres jeunes et qu'on opposera à une seconde méthode. C'est infini.

- Que deviennent les vainqueurs du combat, après ?

- Il sont tués, répond-il sans ciller.

- Mais s'ils ont gagné...?

- Leur victoire ne leur offre pas la survie, puisque leur présence n'est ensuite plus nécessaire. Ils sont élevés dans le seul objectif de savoir comment préparer les Soldats.

Alors tous mes amis vont mourir. Tous, sauf, peut-être, Liago et Sloane.

- Et qu'arrive t-il aux habitants de la Zone ?

- On leur racontera ta mort fictive dans une trentaine d'années, répond Armand avec certitude, le plus souvent d'un arrêt brutal du cœur.

Je souffle de soulagement.

- Donc ils ne peuvent pas mourir !

- Si, fait Lyl en gâchant ma joie. S'ils se révoltent, les Patrouilles viendront.

- La plupart du temps, ça finit en bain de sang, conclut Anaia.

Donc personne n'est absolument certain de survivre. Comment est-ce possible ?

Je me prends la tête dans les mains, comme pour leur adresser un message télépathique : "Ne vous révoltez pas, le jeu n'en vaut pas la chandelle" !

Je relève la tête et regarde avec attention la pièce dans laquelle nous nous trouvons. Nous sommes éclairés avec un chandelier pendu au plafond. Les murs sont faits de bois, comme le sol, et, puisque nous sommes sous terre, il n'y a - logiquement - pas de fenêtre.

- Pourquoi avoir choisi d'installer votre base ici ? demandé-je.

- Sous terre ?

- Non, pourquoi sur cette île ?

- Parce que, tout simplement, c'est là qu'il y a le plus de jeunes à sauver et le moins de Patrouilles, explique la jeune fille.

- Et donc le moins de risques, finit son frère.

J'ai beau me savoir à l'abri, je m'en veux : j'ai laissé mes amis partir, alors qu'on aurait pu s'en aller ensemble. Plus particulièrement, je n'aurais pas dû laisser Elven partir, après notre discussion, je n'aurais jamais dû le faire partir, je n'aurais jamais dû perdre Tieden de vue, à notre sortie de camion, je n'aurais jamais dû gagner cette course en croyant aller dans une base pour l'élite, non, décidément, j'aurais mieux fait de rester chez moi. Ça m'aurait évité bien des problèmes.

Des problèmes, faute à qui ? Faute à quoi ?

Un long soupir s'échappe de ma bouche. Mi-curieux, mi-dépité, je demande à Armand :

- Est-ce que la société a toujours fonctionné comme ça ?

- Non. Il y a longtemps, tous les hommes étaient considérés comme égaux et vivaient ensemble dans un même espace. Sans aucun mur pour les séparer.

- Mais alors... Que s'est-il passé ?

- Tout le monde a eu très peur, commence Lyl.

- Le réchauffement climatique, le manque de ressources en énergie, tout autant de critères qui ont provoqué la catastrophe, explique le chef. Chaque jour, les cultures manquaient d'eau, les bêtes aussi - les humains aussi. Chaque année, les températures augmentaient considérablement. Des scientifiques ont mené une étude, et ont montré que si rien ne se passait dans dix ans, toute l'espèce humaine allait disparaître.

Peut-être alors que la seule vérité constituait le fait que nous étions les derniers membres de l'espèce humaine.

- Pour permettre la survie de l'espèce, reprend la garçon, il fallait que 99, 9 % de la population reviennent à une vie moins consommatrice d'énergie et moins confortable. Alors, les classes dirigeantes ont eu l'idée...

- Brillante idée, intervient Lyl avec sarcasme.

- ... De diviser la population en classes. Ainsi, les riches conservent leurs avantages et les autres vivent sous leurs ordres. Mais vivre sous des ordres ne suffisait pas. Il fallait, pour obéir, vivre dans l'ignorance. Les bébés et les jeunes enfants étaient donc très recherchés, parce qu'on avait besoin d'une nouvelle génération, une génération qui, ne sachant rien de la vie d'avant, puisse croire ce qu'on leur raconte.

Il baisse les yeux vers le sol et je comprends qu'en tant qu'Aristocrate, ça ne doit pas être simple de se positionner.

- Le monde a été divisé en quatre, reprend-il, entre les quatre hommes ayant le plus d'argent et donc de pouvoir. Aujourd'hui, chacun prévoit de faire la guerre aux trois autres, uniquement dans l'objectif de gagner des terres.

- Mais, personne ne s'est révolté ?

- Si, bien sûr, mais les Patrouilles - qui étaient à l'époque constituées de volontaires - tuaient tous ceux qui s'opposaient au régime.

- Et ce plan pour la survie de l'espèce, ça a marché ?

- Oui, aujourd'hui, les humains sont vivants et le système, bien que changé, est toujours debout, malgré des révoltes fréquentes.

Qu'est-ce que c'est que ce fonctionnement ? J'ai toujours cru que nous étions égaux, libres, et voilà que je découvre que c'est en fait tout l'inverse. Nous devons faire quelque chose pour que ça s'arrête. C'est impossible autrement.

- Es-ce qu'on pourrait supprimer ce système pour en instaurer un nouveau ?

- Disons que si c'est impossible, alors cette base est absolument inutile.

Il me sourit.

- Hérion, fait Armand, bienvenu à la Ligue !

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