Chapitre 24

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La base souterraine est immense : il y a une telle multitude de galeries que, même si je reste dix ans ici, je serai toujours sûr de me perdre.

D'après Lyl et Anaia, tout a été construit à la main. Les tunnels existaient lorsqu'ils sont arrivés sur l'île. Il les ont seulement agrandis pour que l'on puisse tenir debout. Les planches de bois (aidant les galeries à ne pas s'effondrer) et les meubles proviennent d'un bateau qui s'était échoué peu loin d'ici.

Le frère et la sœur sont en fait d'anciens Poussiéreux qui se sont rapprochés d'un jeune Aristocrate (Armand) et l'ont aidé à quitter la Ville, centre de tout le pouvoir, liés par une forte amitié.

Une bibliothèque impressionnante, un grand dortoir, une cantine, une cuisine, un grand renfoncement du sol, appelé le bain, dans lequel tombe de l'eau de mer en fonction des marées... La Ligue a tout prévu pour accueillir une centaine de personnes, même si pour le moment nous ne sommes que quarante-deux. Des Ouvriers, des Poussiéreux, quelques Soldats, cinq Paysans, un Aristocrate : les Patrouilles sont bien les seuls que la Ligue exécute sans même chercher à savoir qui se cache derrière l'uniforme.

Selon les ordres donnés par Armand, la grande opération de sauvetage aura lieu cet après-midi, lorsque les vainqueurs du combat se feront exécuter sur des poteaux, au bord de la mer. Il semblerait qu'on ait tous besoin d'une arme. Ainsi, je vais devoir retourner à la cabane pour récupérer la mienne.

Pour le moment, nous ne sommes encore que le matin et je m'occupe de laver le bain avec l'aide d'un Poussiéreux, qui, contrairement à moi, a fait ça toute sa vie. La différence est très visible, lorsque l'on compare mon efficacité à la sienne.

Une brosse à la main, un sceau d'eau, un peu de savon, je frotte la pierre pour retirer les algues et les saletés afin que le bain soit à nouveau tout blanc.

- Donc tu es un Poussiéreux, toi ? demandé-je à l'autre garçon pour faire la conversation.

- Qu'est-ce que tu as contre les Poussiéreux ? Ils t'emmerdent ! réplique t-il hargneusement.

- Mais, j'ai pas dit ça !

- Tu as tort de croire que parce qu'on ne se bat pas on est moins importants que toi ! On l'est beaucoup plus ! Nous, au moins, on est essentiels !

Il récupère son sceau, sa brosse et son morceau de savon puis s'éloigne d'un pas vif. Médusé, je le regarde s'en aller sans comprendre : qu'est-ce que j'ai dit qui n'allait pas ?

Lyl passe sa tête dans l'ouverture de la salle. Ses yeux brillent de malice, quand il me dit :

- Alors, tu t'es attiré les foudres de quelqu'un ?

- Mais je n'ai rien fait, et il m'a agressé...

- Oui, t'inquiète pas, poursuit-il, baissant la voix, il est comme ça. Très susceptible. Comme la plupart de mes frères, en fait.

- Tes frères ?

- Les autres Poussiéreux. Nous avons pour la plupart une fierté excessive.

- Ah, d'accord, merci du conseil.

A l'avenir, j'éviterai désormais d'engager la discussion avec des Poussiéreux et je me contenterai de répondre sagement à leurs questions pour éviter d'avoir d'autres problèmes du même genre.

.oOo.

Nous sortons de table, quand Armand vient vers moi de sa démarche élégante.

- Hérion, appelle l'Aristocrate, peux-tu venir ici deux minutes ?

Je me lève et le rejoins.

- Tu dois aller chercher un pistolet, c'est bien ça ?

J'acquiesce d'un geste de la tête.

- Bien, approuve le garçon, nous t'attendrons pour lancer les opérations de sauvetage. Lyl et Anaia couvriront tes arrières lorsque tu iras récupérer l'arme. Fais tout ce qui te semble nécessaire pour l'obtenir.

... Tout ? Le regard déterminé d'Armand m'effraie tout autant qu'il m'inspire le respect.

- Donnons-nous rendez-vous au potager, quand tu auras terminé.

- Dans combien de temps ?

- Une heure.

.oOo.

Nous attendons, cachés derrière un rocher, face à la cabane, depuis vingt minutes maintenant. Quand est-ce que l'adulte se décidera à sortir ?

Tandis que je gigote pour satisfaire mes muscles endoloris, le frère et la sœur, à ma gauche, dans leurs tenues de camouflage assorties à mon uniforme de Soldat, restent parfaitement stoïques, concentrés, guettant le moindre mouvement, le doigt sur la gâchette.

Lorsque j'entrerai dans la cabane, eux resteront à l'extérieur pour me prévenir du retour de l'homme et pour me défendre si j'en ai besoin – puisque je suis donc désarmé.

Au loin, des coups de feu se font toujours entendre. Le combat continue. Je me demande si Tieden et Elven ont survécu, si la victoire reviendra à leur camp.

Puisqu'il s'agit d'un combat à mort, rappelons-le.

Soudain, un grincement nous fait tourner la tête. La porte de la maisonnette en bois s'ouvre pour laisser sortir le chef du groupe 210, qui s'en va en direction des rochers à notre opposée.

Parfait.

J'attends qu'il soit plus éloigné pour m'élancer. Le plus rapidement et discrètement possible, je sors de ma cachette, me dirige vers la cabane puis pousse la porte, laissée ouverte, pour entrer.

Mes affaires ont été déplacées. Je regarde dans le placard et y trouve mon sac. Il faut cependant m'assurer que mon pistolet est bien à l'intérieur.

Je le vide donc au sol, retournant les vêtements pour espérer découvrir l'étui sous l'un d'eux.

- Hérion ? demande quelqu'un.

Je me retourne brusquement pour me retrouver face à l'adulte, l'incompréhension se lisant sur son visage.

Merde.

Mais comment Anaia et Lyl on-t-ils pu ne pas remarquer qu'il revenait ?

- Tu cherches quelque chose ? me demande l'homme à nouveau, gentiment, regardant les affaires éparpillées au sol.

Paniqué, je cherche une réponse. Mais que dire ? "Oui, mon pistolet, vous ne l'auriez pas vu par hasard ?" ou "Non, rien du tout, excusez-moi du dérangement" ?

- Je... commencé-je.

Une déflagration soudaine me fait taire, les yeux de l'homme s'écarquillent et il tombe au sol, raide mort.

- Désolé du retard ! fait Lyl joyeusement en arrivant.

- On a eu un petit souci technique, explique Anaia, mais rien de grave.

Je les regarde, incrédule et horrifié : comment ont-ils pu tuer cet homme avec autant de sang-froid, bien qu'il soit leur ennemi ?

Et combien en ont-ils éliminé, avant lui ?

Suis-je vraiment en train de me rapprocher, consciemment, de criminels ?

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