Chapitre 25

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Le frère et la sœur enjambent le corps pour venir se placer à mes côtés.

- Alors, me reproche la fille, tu cherches pas ? C'est pour toi qu'on est ici, je te rappelle.

La fouille reprend. Le placard est vidé intégralement, la vaisselle brisée et la soupe viennent tapisser le sol, les poches du mort sont fouillées avec attention, les draps sont défaits, et c'est finalement sous l'oreiller que le fameux étui fut retrouvé.

- Drôle d'idée de mettre un flingue sous son oreiller, commente Lyl avec amusement. Allez, il va falloir qu'on s'en aille. Les Patrouilles ne mettent jamais longtemps à apprendre la mort de l'un des leurs.

Je prends le pistolet à la main, chargé précautionneusement, et fourre les boîtes de munitions dans mes poches. Nous quittons la maison le plus vite possible, mais seulement après y avoir mis feu : le frère et la sœur ne veulent laisser aucune preuve, et donc faire disparaître le corps, dans la foulée.

Nous courons à un rythme effréné, personnellement plus pour fuir le cadavre que pour arriver à l'heure, empruntant le chemin menant au potager.

Arrivés, nous apercevons Armand et une dizaine d'autres jeunes, garçons et filles confondus, qui nous attendent.

- Vous êtes prêts ? questionne l'Aristocrate. Nous allons devoir agir avec discrétion et efficacité.

Le jeune homme nous conduit à travers les dédales de rochers - il semble les connaître sur le bout des doigts -, vers une plaine occupée seulement par une cinquantaine de poteaux en bois, alignés.

Nous allons nous mettre en ligne à l'abri dans un sillon, au sol, chacun derrière un poteau, ce qui nous permet de voir sans être vus. Le regard du chef du groupe 210 reste ancré dans mon esprit, bien que je tente de le faire disparaître.

- Vous tirez sur la Patrouille en face de vous, ordonne Armand à voix basse. S'il n'y en a pas, tant mieux. S'il y en a deux, vous tirez deux fois. Le chef fera un compte à rebours. On tire sur le "armez".

Après dix minutes d'une attente interminable, on entend des bruits de pas et quelques cris se rapprocher. Les cris sont ceux de garçons. Je soupire de soulagement : c'est donc eux qui ont gagné le combat ! Il ne reste maintenant plus qu'à espérer que mes amis se trouvent dans le petit groupe de survivants.

Je jette un regard à ceux qui viennent vers nous. Les jeunes sont regroupés, entourés par des Patrouilles, leurs fusils braqués sur eux. La plupart d'entre eux sont blessés, même si quelques uns, bien qu'ils soient rares, n'ont que quelques bleus à déplorer.

Soudain, j'aperçois un touffe de cheveux roux se différencier des autres.

Le garçon qui me gâchait la vue s'écarte pour découvrir le visage de Tieden. Mon ami a un bras en écharpe et un œil au beurre noir, mais il ne semble rien avoir de vraiment grave. Les hommes armés leur font signe de choisir leur poteau - leur dernière volonté, je suppose.

"Trop généreux", pensé-je avec sarcasme.

Tieden cherche quelque chose du regard, puis s'arrête sur moi. Il m'a vu, j'en suis sûr. Précipitamment, pour ne pas être découvert, je me cache et attends une dizaine de secondes avant d'oser ressortir ma tête. Mon ami marche dans ma direction, et, alors que je pense qu'il va nous rejoindre dans le sillon, il se positionne contre le poteau, droit comme un i.

- Hérion, murmure t-il si bas que c'en est presque inaudible, je te fais confiance, mon gars.

Je déglutis, presque certain d'avoir rêvé. Une lourde responsabilité pèse sur mes épaules.

Un des garçons tente de s'échapper, en courant vers nous, mais des balles sifflent et le rattrapent. Il est touché et tombe, mort, dans le sillon, sur une fille de la Ligue qui reste silencieuse malgré le choc.

Fébrile, je vérifie que mon pistolet est bien chargé.

- En position ! s'exclame le chef des patrouilles, distinguable par son uniforme de bien meilleure qualité que les autres, sans la moindre tache de sang ou de terre.

Tous les jeunes sont contre leur poteau, les yeux fermés, attendant le coup fatal. Je vise la tête de l'homme, en face de moi, mais trouve que l'arme bouge drôlement.

Peut-être parce que je tiens une arme chargée pour la première fois.

Peut-être parce que je n'ai jamais tué personne.

Peut-être parce que j'ai les mains qui tremblent.

Pas sûr.

- Armez ! Ti...

Il n'a pas le temps de finir que déjà tous ses hommes tombent, tués par balle. Pour la plupart des jeunes de la Ligue, une seule a suffi, mais pas pour moi - qui ai raté mon tir et vidé cinq de mes six balles avant de réussir à le faire tomber au sol.

Le chef, non armé, regarde avec stupéfaction ceux qui ont tué ses hommes quitter leur cachette, armés, tous les canons braqués sur lui.

- Qui... Qui êtes-vous ? demande t-il d'une voix tremblante, mêlant peur et colère.

Aucun jeune, devant son poteau, n'ose bouger. Aucun ne semble comprendre ce qui lui arrive, d'ailleurs.

Armand s'avance, dans un treillis militaire impeccable, ayant troqué son costume pour un habit plus adapté au combat. Il fait face au chef des Patrouilles, et ses yeux sombres, remplis de reproches, semblent avoir un effet non négligeable sur le responsable de l'organisation de cette charmante fusillade.

- Enchanté, fait froidement l'Aristocrate. Heureusement que nous étions là, qu'en pensez-vous ?

- POURQUOI NOUS AVOIR EMPÊCHÉ D'ACCOMPLIR NOTRE DEVOIR ? beugle l'adulte.

- Parce vous pensez que votre devoir est d'assassiner des innocents ? interroge le jeune homme.

Le visage rouge de colère, les poings serrés, l'homme en uniforme ne répond rien, et il n'en a de toute façon pas le temps car Armand pose le canon de son arme sur sa tempe.

Je détourne le regard.

Il tire.

J'entends des cris de joie et relève la tête : les jeunes, contre les poteaux, sont en train de se faire délivrer par ceux de la Ligue. Tieden, libéré à l'instant par ma voisine de droite, se tourne vers moi, un grand sourire éclairant son visage.

- Hé, mec ! s'exclame t-il. Bien tiré ! Il n'aurait pas pu souffrir plus !

Malgré une nausée grandissante, je lui accorde un grand sourire. Je suis vraiment content de le revoir !

- Les autres sont morts ? demandé-je, remarquant qu'aucun autre camarade de dortoir n'est présent.

Il secoue la tête, puis répond :

- Je sais pas. Je souhaite que Hent soit mort, et je crois d'ailleurs que c'est le cas, mais là-bas, il y a encore plein de blessés. Gravement blessés. Ils ont laissé sur place.

- En fait, qu'est-ce qu'il y a là-bas ? questionné-je.

Son visage s'assombrit, et il se détourne.

- Là-bas, Hérion, répond-il, c'est l'enfer.

Il met ses mains dans ses poches et commence à s'éloigner, suivant les jeunes de la Ligue, rentrant dans les souterrains par l'accès le plus proche.

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