Chapitre 27

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Après avoir ramené une trentaine de garçons à la base souterraine, nous les allongeons dans un dortoir spécial où des jeunes s'affairent autour d'eux, leur prodiguant des soins de premier secours, qui pour la plupart ne suffiront pas à les maintenir en vie.

J'ai pris du temps pour m'occuper des blessés du mieux possible, aidé par Anaia et ses précieux conseils. Sans elle, ils seraient sans doutes morts à l'heure qu'il est - bien que je ne connaisse pas exactement leur état actuel et qu'une partie d'entre eux ne passera pas la nuit .

J'ai tout expliqué à Tieden : pourquoi je n'étais pas sur le champ de bataille, comment j'étais entré dans la Ligue. Malgré son bras en écharpe, il participe lui aussi aux soins, restant au chevet d'un garçon qui a plusieurs fractures. Ils semblent se connaître. Ils se sont sans doute rencontrés au front.

Fatigué, je vais m'asseoir sur un tabouret, dans la bibliothèque, au calme. Je suis enfin seul. Tout est silencieux.

Je lève les yeux vers les ouvrages. L'un d'entre eux saura peut-être me divertir.

Je me mets debout pour atteindre le troisième étage d'une espèce de meuble, sculpté dans la pierre avec un savoir-faire et une patience impressionnants, et regarde les titres, les livres étant classés par thème.

De la cuisine, des sciences, du dessin, des langues... La diversité et la complexité des livres est surprenante. Je reste convaincu que la sélection a été faite par Armand : en tant qu'aristocrate, il doit être très cultivé.

Agacé par la recherche, je m'empare du premier ouvrage qui me tombe sous la main, intitulé "histoire du blé" et commence à le feuilleter.

Les pages sont jaunies et le livre sent légèrement le moisi, sans doute à cause du temps qu'il a passé dans cet espace humide et au peu d'entretien qui a dû lui être consacré.

Des images, rares mais présentes, montrent des photographies de paysans s'occupant d'immenses champs de blé et posant devant avec fierté, un sourire éclairant leurs visages sales et émaciés.

Je suis surpris par les habits qu'ils portent : des robes longues, délavées, abîmées pour les femmes et des pantalons troués, usés, tachés pour les hommes.

Les enfants sont en arrière plan, discrets. Maigres à faire peur, ils semblent malgré tout être beaucoup sollicités lors des récoltes, qui est pourtant un travail physique.

Les outils sont précaires : une fourche, un râteau, une serpe et une faucille. Tous les travaux étaient réalisés à la main.

Le manche fait en bois et les dents en métal, les outils sont semblables à ceux qui m'avaient été remis par le chef du groupe 210. J'ai l'impression qu'il y a comme un décalage entre la vie décrite ici et la mienne.

Est-ce à ça que ressemble la vie en tant que Paysan ? Cette classe est-elle aussi libre mais pauvre que les scènes représentées sur les images ? Les enfants sont-ils autant exploités ?

- Ce livre a paru il y a quatre cent ans, intervient quelqu'un.

Je me retourne immédiatement pour faire face à Armand, les mains dans les poches. Depuis combien de temps est-il là ?

- Les mensonges racontés là-dedans sont encore plus vieux que la parution du livre, poursuit le jeune homme en s'approchant encore un peu.

- La vie représentée là-dedans... C'est celle des Paysans ? demandé je.

- C'est ce qui en se rapproche le plus, effectivement. Sans les sourires, bien entendu.

- Les méthodes, qui sont décrites, est-ce qu'ils utilisent toujours les mêmes ?

- Malheureusement, oui. L'utilisation de nouvelles technologies par les personnes dites de classe inférieure est considérée comme la fin des avantages des Aristocrates, ainsi que la naissance d'une révolution.

- C'est stupide ! protesté-je.

- Pas tant que ça, si on y réfléchit bien, réplique Armand.

On voit qu'il est passionné par la vision du monde des gens qu'il côtoie au quotidien : que ce soient des Aristocrates, des Soldats, des Poussiéreux ou encore des Ouvriers. Sa propre opinion se développe ainsi, en analysant celle des autres et en gardant les élément qui lui semblent le plus proches de sa manière de penser. Lors de son éducation, on a dû solliciter son esprit critique, et c'est sans doute ça qui fait ce qu'il est aujourd'hui.

Je suppose qu'il trouve la mise en place de ce système fascinante.

- On ne vous donne pas d'objets technologiques, reprend-il, mais vous n'en connaissez pas l'existence et restez productifs, puisque c'est tout ce qui compte aux yeux des dirigeants.

Je regarde le sol, l'esprit embrouillé par ces nouvelles. Alors, même les objets mis à notre disposition sont sélectionnés minutieusement afin de n'éveiller aucun soupçon et de maintenir ce régime ?

- Le livre t'intéresse ? questionne Armand.

- Oui, réponds je. Comme j'ai vécu dans une zone, ça m'intrigue de savoir ce qu'il se passe dans l'endroit que j'appelais l'Extérieur. J'en apprends un peu chaque jour, alors si je peux continuer, ce serait bien.

- Prends-le, alors. Tu as l'air d'avoir passé une mauvaise journée. J'en doute, mais peut-être que ce petit cadeau pourra te remonter le moral.

Il me jette un dernier regard, indéchiffrable, avant de s'éloigner d'un pas vif.

.oOo.

Le soleil brille. L'air est sec, la mer calme, les troupes déterminées.

Tout est réuni pour que nous prenions ce fichu bateau afin de regagner le Continent.

Les jeunes ont tous une arme, et, cachés dans les fourrés, nous attendons l'arrivée des Patrouilles pour les éliminer d'une balle dans la tête. Les fusils braqués droit devant nous, Armand termine son discours sur ces mots :

- ... Nous allons réussir ce que personne n'a réussi auparavant. Nous allons devenir des héros ! Mais faire cela pour la récompense ne nous offrira qu'une défaite amère. Nous devons rester sûrs de nous, sûrs de la cause que l'on défend. Je crois en moi, en vous, en nous. Et, plus que tout, je crois en la victoire.

Nous n'applaudissons pas, ne voulant pas indiquer notre présence à l'ennemi, dont nous ignorons la position.

Le jeune homme va se cacher à son tour, son arme à la main.

Nous n'attendons qu'une vingtaine de minutes avant qu'une grande masse sombre se fasse observer au loin.

Le bateau.

- Tous à vos postes ! s'exclame Armand.

L'engin se rapproche, pour ne se retrouver qu'à deux-cent mètres environ de l'endroit où nous sommes cachés.

- Ceux qui ont un viseur ! Armez ! Visez ! Tirez !

Aussitôt, une dizaine de balles partent en direction de la mer, seules quatre atteignant des Patrouilles, qui s'affalent sur le sol de l'embarcation, morts ou gravement blessés.

Sans attendre, ils ripostent.

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