Chapitre 29

5 minutes de lecture

Il s'appuie contre moi pour avancer, avec la menace de mon arme sur sa tempe. Il ne parle plus et sa pâleur a empiré. J'espère que nous avons des soins à lui donner.

Sans son tee-shirt, je peux voir son importante musculature et suppose que c'est une chose commune à toutes les Patrouilles en raison de leur entraînement rigoureux. Il trébuche, je le rattrape de justesse pour qu'il ne s'écrase pas au sol. Supporter son poids est éprouvant, sachant qu'il fait quinze centimètres et à peu près autant de kilos de plus que moi.

Enfin, à travers les feuillages se dessinent la mer et la forme allongée du bateau. Je ne peux m'empêcher de sourire. Nous y sommes.

Nous quittons donc la forêt pour entamer une marche dans le sable, plus difficile encore.

- Hérion ! s'exclame quelqu'un derrière moi.

Je me retourne, le plus précautionneusement possible pour ne pas faire tomber la Patrouille, et me retrouve face à Tieden. Il a lâché son coéquipier et semble en parfaite forme.

Je lui adresse un grand sourire, mais le sien disparaît.

- C'est quoi ça ?

Il désigne le garçon appuyé sur mon épaule d'un geste du menton.

- Ça, il a un prénom, grogne le blessé, les dents serrées.

- Ça, il aurait surtout dû mourir et il ferait mieux de la fermer, réplique Tieden avec colère. Pourquoi tu l'as ramené ?

Je baisse les yeux, honteux. Je tente de me défendre, du mieux que je peux :

- Écoute, je pouvais pas le laisser là-bas...

- T'aurais mieux fait, parce qu'on va l'exécuter. Il a tué nos frères, et toi tu...

- Je sais.

Je serre les poings, et trébuche, retenu de justesse par Tieden. Il se met à la gauche de la Patrouille et m'aide à supporter son poids.

- Je le ramène jusqu'au bateau mais après c'est toi qui gères.

J'acquiesce, reconnaissant.

Nous approchons de l'embarcation, et commençons à gravir la passerelle pour monter à bord. Seulement, au moment de rentrer, un jeune de la Ligue nous bloque le passage.

- Hé ! fait Tieden avec colère. Laisse-nous passer, crétin !

- Ce gars a l'uniforme des Patrouilles, réplique le jeune homme, c'est hors de question qu'il rentre.

- Évidemment qu'il a l'uniforme des Patrouilles puisque c'en est une ! proteste mon ami. Tu crois qu'il est en état de se battre, là ? Sérieux, t'abuse pas un peu ?

- Soit vous le laissez dehors, soit vous rentrez pas, clame l'autre.

- T'es qui, toi, d'abord ?

- Je suis chargé de réguler les entrées et les sorties, et vous êtes pas prêts de monter à bord si vous continuez comme ça !

- MALO ! crie quelqu'un.

Nous nous retournons tous d'un coup. Armand se tient debout, le visage aussi froid que d'habitude. Je ne saurais pas dire s'il a bonne mine ou pas, en raison de sa pâleur naturelle.

- Laisse-les rentrer.

Le dénommé Malo nous jette un regard venimeux puis s'écarte pour nous céder le passage. Toujours la Patrouille sur le dos, nous gravissons les derniers mètres de passerelle avant d'être sur le pont du bateau. Armand nous attend, les mains sur les hanches, visiblement mécontent.

- Qui est-ce ?

- Une Patrouille, réponds-je.

- Hé, je peux parler aussi, réplique l'intéressé bien que la douleur le fasse grimacer.

- Bien sûr, t'as pas besoin de notre aide et tu pourrais t'en sortir tout seul, pas vrai ? fait mon ami avec une colère évidente. T'as oublié que sans Hérion tu serais seul en train de moisir dans la forêt ? Ce serait ta place...

Armand soupire, exaspéré, et coupe Tieden :

- Arrêtez. Vous n'êtes plus des gamins. Tous les deux, faites-le s'asseoir. Je vais parler avec lui. Après, je déciderai de ce qu'on va en faire.

Nous obéissons, le roux se dégage brusquement et je tente quand à moi de déposer le blessé en faisant le plus attention possible à sa tête. Pour venir jusqu'ici, il ne s'est pas plaint mais a dû perdre beaucoup de sang.

Nous nous éloignons, les laissant à une discussion cruciale.

- J'espère qu'il va être affecté à la corvée de balayage pour qu'on soit débarrassés de lui, souffle Tieden. Je le trouve franchement insupportable.

Je ne réponds pas, perdu dans mes pensées.

.oOo.

La nuit est tombée. Mon ami et moi sommes allongés au sol, sur des matelas très fins, les mêmes que ceux donnés à notre départ de la base du Grand Canyon. Il s'agit sans doutes de bagages d'anciens Soldats, tombés au combat, retrouvés et récupérés.

J'essaie de ne pas penser que mon couchage appartient à un mort.

Je regarde le ciel, bercé par le clapotis de l'eau, le vent frais et l'air salé. Les étoiles brillent. Les mêmes que le soir de mon départ de ma zone.

Liago.

Quand nous reverrons-nous ? Normalement, après avoir regagné la terre ferme, nous allons nous lancer dans la libération des zones. Les Patrouilles vont rappliquer, nombreuses, mais nous n'avons pas de problèmes avec ça. Nous sommes prêts à nous battre, plus motivés que jamais.

Tu m'étonnes.

J'entends un bruissement de couverture. Je suppose que c'est Tieden qui se tourne vers moi.

- Tu dors ? demande t-il doucement.

- Non, réponds-je.

Allongés côte à côte, nos bustes se soulevant au rythme de notre respiration, j'ai l'impression de le connaître depuis toujours. Son caractère est proche de celui de Liago, c'est peut-être pour ça.

- Moi non plus, chuchote le garçon. J'y arrive pas. J'arrête pas de me demander ce qui nous attend là-bas, quand on arrivera au port.

- Je suppose qu'on ira dans un autre port que celui de notre départ. Pour pas avoir à affronter des milliers de Patrouilles à notre arrivée.

- Ah, ouais. T'as sûrement raison. Mais si on va dans un autre port, comment est-ce qu'on va retrouver notre zone ?

Je soupire.

- Aucune idée. T'inquiète pas, ils ont tout prévu, j'en suis sûr.

- Ils font les choses bien, quand même.

- Ouais. En même temps, pour diriger la Ligue, faut pas être trop bête.

- Ouais.

Silence.

- Une étoile filante ! s'exclame Tieden vivement en levant le doigt vers le ciel, désignant un bref trait lumineux, déjà disparu. Fais un vœu, Hérion.

Je souris, des souvenirs affluant comme des bulles à la surface d'une eau qui bout.

Combien d'étoiles filantes avons-nous observées, sur le toit du réfectoire ? Combien en avons-nous inventées, pour gagner le jeu qui consistait à en voir le plus ?

Sans doute suffisamment pour repeindre le ciel de lumière.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Adèle Delahaye ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0