Chapitre 31

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- Hérion ! appelle Tieden. Je peux entrer ?

- Vas-y.

Assis sur le sol poussiéreux, j'ai à peine eu le temps de prendre connaissance du logement dans lequel je suis installé. Nous avons décidé de faire de ces restes d'immeubles notre QG. Quelques-uns des bâtiments tenant encore debout et semblant en bon état malgré les fenêtres défoncées ou dépourvues de vitres, nous avons vu des appartements être mis à notre disposition.

A l'avant-dernier étage de la tour, un en-dessous de celui de l'aristocrate, Anaia et Lyl pour une raison que j'ignore, je partage mon lieu de vie avec Tieden et la Patrouille quand ce dernier se sera remis de ses blessures.

D'après Armand, cette ville était occupée il y a peu, ce qui expliquerait qu'il n'y ait aucun trace de végétation. Selon lui, il pourrait s'agir d'un ancien camp de Soldats, en raison des constructions plutôt modernes, bien qu'aucun appartement n'ait été aménagé.

- Ouah ! s'exclame mon ami. On a une belle vue, d'ici. Pratique pour voir les Patrouilles arriver.

Je ne lui réponds pas, la tête dans des pensées sombres saturant mon esprit. Elven me manque. Mes parents, mes amis me manquent.

Je sens une larme rouler sur ma joue. La première depuis plusieurs jours.

- Tu penses qu'on va survivre ?

Il soupire en entendant ma question, et s'accroupit à côté de moi.

- Je pense pas. Mais au moins, on aura essayé.

J'hoche la tête. Il a raison. Nous nous devons d'aller jusqu'au bout. Maintenant que nous en sommes là, ce n'est pas le moment de flancher. Nous devons leur montrer que, même si nous ne sommes pas aussi forts qu'eux, nous sommes capables de les faire douter. Et nous ne serons sans doute pas les derniers.

- Aller, fait-il en posant sa main sur mon épaule comme Armand une heure auparavant. On s'installe, et après on rejoint les autres pour regarder ce qu'il y a sur cette partie-là du continent.

J'acquiesce, toujours en silence.

.oOo.

Après trente minutes de marche entre les décombres, notre groupe d'une vingtaine de personnes a bien progressé et nous atteignons un mur d'environ quatre mètres qui encercle la ville, sans doute censé la protéger des regards indiscrets. Nous le gravissons un par un, aidés par les interstices entre les pierres et les plantes grimpantes, qui s'arrachent sous notre poids mais nous aident à donner l'impulsion nécessaire pour atteindre le sommet.

Tieden passe juste devant moi. A sa gauche, j'évolue plus doucement. Il manque de tomber en tenant la dernière pierre, qui cède, mais se rattrape de justesse. Dans un dernier effort, il pousse et se jette sans élégance de l'autre côté. J'entends un bruit sourd, qui n'est pas pour me rassurer.

- Tieden ! appelé-je.

- Mec... Tu vas pas le croire.

Mu par une curiosité grandissante, j'agrippe la pierre, et malgré mes mains qui transpirent, arrive à la tenir. Enfin au sommet, j'atteins à mon tour l'autre côté du mur, retombant du mieux possible sur mes jambes.

Je n'en crois pas mes yeux.

Devant nous s'étend une immense étendue d'arbres, verdoyants, les feuilles filtrant le soleil et produisant une lumière tamisée. Je sens une odeur qui m'est totalement inconnue, plutôt agréable, qui est, je suppose, "l'odeur de la forêt". Par terre, des fleurs blanches, délicates, percent le tapis de mousse, parsemant l'entièreté du sol. Je me sens chez moi, libre, fier et fort.

Libre

Émerveillés par toute cette végétation, impressionnante, que nous n'avons jamais rencontrée aussi présente, nous restons bouche-bée, sans porter la moindre attention à la faille, béante, large d'une dizaine de mètres, qui coupe la forêt en deux, une trentaine de mètres plus loin.

- Un séisme, fait Armand, arrivant à l'instant et pensant à voix haute. Il y a eu un séisme, qui ne leur a pas laissé le temps de finir la construction de la ville. Ces imbéciles n'avaient pas vu qu'ils étaient sur une faille...

- Qu'est-ce qu'on fait ? demande Lyl.

- On reste ici quand même ? ajoute Anaia.

- Non, tranche le chef. C'est trop dangereux. On ne peut pas prévoir quand aura lieu le prochain séisme, et je ne veux avoir aucune de vos morts sur la conscience. Nous partirons demain matin, au lever du soleil.

- Pourquoi au lever du soleil ? s'incruste mon ami.

- Parce que ça fait classe, répond Lyl avec un clin d'œil, provoquant l'exaspération de sa sœur et la mienne.

.oOo.

- Écoute, il a besoin de s'endurcir. Je ne sais pas comment c'est possible pour un Soldat d'être aussi faible !

Anaia soupire.

- Armand, fait-elle, arrête de t'acharner contre lui. Il a un grand cœur, on ne peut pas lui reprocher ça...

- S'il doit tuer quelqu'un, un jour, comment fera t-il ? Nous allons entrer en guerre. Une vraie guerre. Ils seront au moins un million, nous ne somme qu'une centaine pour le moment. Ils sont mieux formés, mieux organisés, mieux armés, sans pitié. Nous allons tous devoir nous y mettre !

- Chacun ses qualités et ses défauts, le sien est de ne pas trouver le courage nécessaire pour tuer quelqu'un.

Un ricanement se fait entendre.

- N'en ris pas, il n'y a rien d'amusant. Cela n'a rien à voir avec son rôle, tu le sais bien. C'est son défaut, comme toi tu as les tiens.

- J'en suis conscient, mais avoir ce défaut en particulier est un énorme problème.

- Où est le mal ?

- Nous avons besoin d'hommes forts, pas de fillettes !

Un bruit de gifle l'arrête immédiatement, résonnant dans la chambre voisine.

- Armand. Ne méprise plus jamais qui que ce soit parce qu'il fait preuve de faiblesse. C'est clair ?

Silence.

- Très clair.

Des bruits de pas, légers, s'éloignent, laissant sans doute Armand seul dans sa chambre. Sur la pointe des pieds, au bord de ma fenêtre pour entendre, je quitte cette position inconfortable pour m'allonger sur mon sac de couchage, bercé par le vent chaud traversant l'appartement, sans porter à mon ventre qui crie famine.

Si l'eau douce a été ramenée et sauvée miraculeusement du bateau, la nourriture manque, et nous n'avons trouvé que quelques baies dans la forêt toute proche, trop peu pour nourrir un groupe de notre taille. Ainsi, changer de lieu de vie est primordial, au-delà des dangers d'un séisme.

Tieden est endormi depuis un moment déjà, comme tout l'immeuble, c'est pourquoi les deux dirigeants se sont permis de ne pas chuchoter.

Mais moi, je ne dormais pas.

Un soupire s'échappant de mes lèvres, les bras contre ma nuque, je prends conscience du point de vue d'Armand.

Alors, c'est comme ça qu'il me considère ?

Et moi qui pensais avoir réussi à me démarquer avec mon discours... Je me suis enfoncé.

Après, je ne suis pas seul. Anaia semble me soutenir, c'est déjà ça. Je dois tout faire pour lui donner raison et mettre l'Aristocrate face à ses torts.

Et ça commence dès demain.

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