Chapitre 32

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- Allez, Hérion, on est presque au sommet.

Tieden me tend la main, m'aidant à me relever après une énième chute due à la faim. Ma tête tourne et m'empêche de faire l'effort correctement.

Le chemin, distinguable seulement par les nombreux passages et les herbes écrasées, est particulièrement peu adapté à la randonnée. La pente, excessivement raide, les herbes rendues jaunes par la chaleur et le soleil nous arrivant à la taille, le relief montagneux ou encore les rochers imposants posés à flanc, tout semble mis en place pour ralentir notre progression.

Cela fait trois heures maintenant que nous avons quitté la petite ville. Armand, chef des opérations, guide le groupe. D'après lui, passer par le sommet de la montagne nous fera gagner au minimum cinq heures, plutôt que de la contourner dans son intégralité.

Le prochaine destination serait la base de Maza Upe, à environ vingt kilomètres d'ici, pas très grande et peu peuplée en raison de révoltes provoquant la mort de la plupart des habitants des zones de la région. Afin de ramener des jeunes avec nous pour agrandir les rangs de la Ligue, nous devrons utiliser la force et courir des risques - les Patrouilles ne connaissant aucun autre moyen de communication.

Peut-être pourrons-nous aussi obtenir de quoi manger. En tous cas, je l'espère, car le voyage s'annonce long et le manque de nourriture pourrait nous empêcher d'atteindre notre objectif.

Celui-ci serait, bien entendu, d'atteindre l'endroit où tous les pouvoirs sont réunis.

Le cœur du système.

La Ville.

                                                                          .oOo.

Cachés du regard redoutable des Patrouilles par une falaise, trente-cinq mètres au-dessus du bâtiment, nous attendons patiemment qu'une nuit noire s'empare des lieux avant d'agir.

Au-dessus de nos têtes, le ciel embrasé transforme la plaine en une large étendue de braises, rougeoyantes. Tout est calme et j'observe le paysage grandiose avec sérénité. La nuit tombera, c'est une certitude, dans une heure environ.

La base de Maza Upe a été construite au milieu d'une large plaine d'herbes sèches, hautes, entourée par des falaises qui plongent à pic. Seul un endroit, en pente douce, permettrait d'atteindre le bâtiment. Cependant, il faudrait y arriver sans que nous nous fassions repérer, ce qui représente sans doute la tache la plus complexe à laquelle nous allons être confrontés.

Les végétaux seraient, d'après Armand, suffisamment hauts pour qu'on y évolue sans se faire localiser. Le vent, violent, nous aiderait à passer inaperçus et camouflerait nos moindres bruits.

- Bien ! fait l'Aristocrate, enjoué, entouré des jeunes de la Ligue pressés de l'entendre. Nous avons besoin, pour prendre connaissance du niveau danger, d'un groupe d'éclaireurs, volontaires.

Je lève la main aussitôt, décidé à être utile et à me rattraper aux yeux du dirigeant de la Ligue.

Cependant, le regard de ce dernier se pose sur moi mais se détache aussitôt. Il fait signe à deux garçons et une fille de se lever, et ceux-ci prennent position à côté de lui.

- Il nous manque une dernière personne ! s'exclame Armand.

Anaia s'approche de lui et lui souffle quelque chose dans l'oreille. Son froncement de sourcils traduit son mécontentement.

- Hérion, siffle l'Aristocrate, viens.

J'obéis, droit, et vais me positionner aux côtés des trois autres adolescents.

- Vous allez donc approcher la base sous quatre angles, en empruntant chacun un chemin différent. En fonction duquel d'entre vous tombe le premier, nous allons obtenir l'accès le plus sécurisé pour faire circuler le reste des troupes.

Un long silence lui répond.

- Nous n'avons pas signé pour un suicide, intervient la fille à ma gauche.

- Vous n'avez signé pour rien du tout, réplique le chef de la Ligue en rejetant la tête en arrière avec dédain. Vous êtes libres de partir quand bon vous semble.

La fille rit jaune.

- Comment ça, partir quand bon nous semble ? Il s'agit d'une chance inespérée, pour nous, d'obtenir notre liberté ! Comment passer à côté ?

- Alors ne critiquez pas.

- Nous faisons partie, aussi bien que toi, de cette Ligue !

Le visage rendu rouge par la colère, les poings serrés, elle semble décidée à se battre si l'occasion vient à se présenter.

Anaia vient se placer devant Armand et prend la suite :

- Effectivement. C'est pourquoi c'est important pour nous de savoir ce que vous en pensez.

Tous regardent la jeune femme d'un regard suspicieux, dubitatif. Aucun ne semble convaincu par cette tentative de rattrapage.

Elle soupire.

- Nous devons trouver un moyen d'agir. Des sacrifices seront nécessaires, vous le savez tous.

- Allez-y, vous ! fait quelqu'un dans l'assemblée.

- Ouais, qu'Armand y aille !

Les voix s'élèvent, de plus en plus nombreuses, remettant pour la plupart en cause la légitimité de l'Aristocrate à diriger un groupe composé uniquement de personne placées en-dessous de lui dans la hiérarchie fixée par le système - et que nous avons pour objectif commun de faire disparaître. Effectivement, son ancienne appartenance aux classe dirigeantes peut questionner, bien que je n'aie, quant à moi, aucun doute concernant sa sincérité.

- C'est hors de question que j'y aille ! clame l'Aristocrate avec colère.

- Moi, j'y vais, interviens-je, une lueur de défi dans le regard.

Tous me fixent alors avec de grands yeux surpris.

- S'il le faut, je prendrai le chemin le plus risqué. La liberté est dure à obtenir, mais, obtenue, nous serons animés par la fierté. Il ne faut surtout pas que les regrets prennent le dessus.

Sceptiques, leurs yeux posés sur moi, aucun ne semble convaincu. Je laisse échapper un soupir. Ils m'exaspèrent.

Tieden se lève et vient se place à ma droite. A défaut de courage, j'ai des alliés.

- J'y vais aussi, fait-il en direction du groupe de jeunes.

Puis, à mon intention, il ajoute, à voix basse :

- J'espère que tu sais ce que tu fais.

Bien que la réponse sincère soit non, j'hoche la tête en signe d'affirmation. Il est, de toute façon, trop tard pour le trahir.

La Patrouille, cachée dans la foule, la mâchoire serrée, s'avance à son tour.

Grâce aux soins qui lui ont été prodigués et au repos qui lui a été accordé, ses blessures se sont remises avec une rapidité surprenante. Je suppose aussi que, en tant que Patrouille, sa formation a dû comprendre de nombreuses chutes et donc de nombreuses guérisons. D'une voix grave et fatiguée, il s'adresse aux adolescents de la Ligue :

- Si vous êtes lâches, c'est pas notre faute. On se battra jusqu'au bout.

Touché par son acte et l'emploi du "on", m'incluant, je m'avance.

- Personne d'autre ?

- Si, moi.

Anaia fait un pas dans notre direction, sans porter attention à Armand, qui semble tenter de l'en empêcher.

Bras croisés, regard sombre mais déterminé, elle se met à ma droite. Le vent faisant danser ses cheveux châtains, bouclés, ses traits fins relâchés, je ne peux m'empêcher de la trouver belle.

Me sortant de ma rêverie, Armand prend la parole, contre toute attente :

- Vous êtes quatre, note t-il. Dans cinquante minutes, vous devez être prêts à descendre.

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