Chapitre 33

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Immobiles au milieu des herbes hautes, vêtus d'un habit kaki offert par Armand, nous attendons patiemment que l'on nous donne le signal de départ. Dans la nuit la plus totale, un vent violent en action, les Patrouilles balayent de temps en temps la plaine d'une lampe torche puissante.

Anaia et moi sommes chargés de tenter un chemin à l'ouest de l'entrée principale. Arrivés, nous aviserons et ferons un signe aux autres de la Ligue, restés en haut de la falaise, qui descendrons et nous rejoindront - ou non,  si notre passage s'avère dangereux.

Camouflés du mieux possible, fondus dans les herbes tels de caméléons, nous nous mettons en mouvement lorsque qu'une caillou dévale la pente douce, faisant ployer les herbes. Le signe. Je jette un rapide regard aux Patrouilles : elles ne semblent avoir rien remarqué.

Nous avançons donc, et, si tout se passe comme prévu, Tieden et le blessé en font de même de leur côté. En espérant qu'ils arrivent à se supporter mutuellement, ce qui pourrait s'avérer utile afin de ne pas indiquer leur position, et nous trahir d'une pierre deux coups.

La jeune fille devant moi, prudente, a un bon rythme, bien que ça ne soit pas évident d'avancer en rampant. Elle s'arrête soudainement, comme si la peur l'avait saisie.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Chut !

J'obéis, sentant la crainte monter en moi. Qu'est-ce qui aurait pu la stopper ? Un animal ? Un ruisseau ?

- Passe devant, ordonne Anaia à voix basse.

Je prends donc la tête du convoi, mais, alors que nous avons réussi à atteindre un rythme correct, je m'immobilise.

Les herbes, devant moi, sont beaucoup plus courtes et moins denses qu'avant. Jamais nous ne pourrons passer sans nous faire voir, à moins de...

Trop tard.

Déjà, la lampe d'une Patrouille est rivée sur moi, aveuglante. Dans un élan, je me jette à ma gauche pour protéger Anaia.

C'est là que j'entends la détonation.

Puis une douleur atroce dans mon bras gauche. Je hurle.

- STOOOP ! s'écrie une voix lointaine.

La lumière disparaît aussitôt, comme si la Patrouille qui la tenait avait brusquement changé de cible.

J'entends le souffle chaud de la jeune fille contre mon cou. Plié en deux, dans le noir, je ne vois pas ma blessure. Par contre, je sens un liquide chaud et visqueux couler contre ma main droite, qui tente tant bien que mal de ralentir l'hémorragie.

- C'est ta Patrouille, me souffle Anaia très bas, la panique perceptible dans sa voix. C'est ta Patrouille qui a crié.

Complètement déboussolé, je ne sais plus quoi penser. Sommes-nous morts ou perdus ? Est-ce que le jeune homme que j'ai sauvé vient de cette base ? Est-il déjà venu ici ? Connait-il ces hommes ?

- Va-t'en, lui ordonné-je, la respiration rendue haletante par la douleur.

Elle semble avoir une légère hésitation, avant de disparaître rapidement à travers les herbes, sans le moindre bruit. J'espère sincèrement qu'elle va avoir le temps de prévenir les autres, sans se faire attraper...

J'entends des cliquetis métalliques, et un frottement, comme l'ouverture d'une porte. Des pas approchent rapidement, puis la lumière revient, très vive.

Malgré la douleur sourde et la lampe en pleine figure, je relève la tête et distingue trois Patrouilles. Parmi elles, l'un des hommes tient les poignets de Tieden avec force, l'autre pointe une arme et une lampe en notre direction, nous aveuglant. Le dernier était le garçon auquel j'ai épargné la vie, sur l'île, totalement libre, un sourire sur son visage, bien visible malgré la noirceur de la nuit.

Il portait son uniforme de Patrouille, pourtant abandonné depuis notre départ de l'île, troqué contre des habits plus traditionnels. Seulement voilà, son regard ne trompe pas. Il est animé par une haine profonde.

Envers nous.

- Lève-toi, ordonne le garçon froidement.

J'obéis, sans jeter le moindre regard à ma blessure pour ne pas m'évanouir. Le sang ne sang ne m'a jamais attiré plus que ça, bien au contraire.

- Je t'ai sauvé la vie ! m'exclamé-je avec toute la colère permise par une balle enfoncée dans ma chair.

- Je n'ai jamais été redevable à personne et je ne le serai jamais.

Cette phrase, d'une extrême cruauté, me touche bien plus que je ne pourrais l'admettre et m'ôte tous les mots de la bouche. Pour le sauver, je me suis discrédité aux yeux de ceux qui comptent pour moi, notamment Tieden bien qu'il ait accepté mon choix. J'ai été considéré comme faible par Armand, et voilà qu'exiger un minimum de reconnaissance est trop demandé ?

Il agrippe mon poignet droit avec force, me faisant mal, ainsi que celui de Tieden et nous menotte ensemble.

- Voilà, vous ferez moins les malins, comme ça.

La Patrouille sort un pistolet de sa poche et pose le canon de l'arme, froid, contre ma tempe.

- Il est chargé. Au moindre geste, je tire.

En essayant de marcher de manière fluide pour ne pas voir mon crâne exploser, nous gagnons la base de Maza Upe, bâtiment de béton que je ne pensais pas si haut, vu depuis la falaise, sans que personne ne fasse allusion à l'absence d'Anaia. Comment la Patrouille a-t-elle pu oublier ce détail ?

Aussitôt entrés, les habitués de la base ferment les lourdes portes de bois, épaisses de cinq centimètres et hautes de quatre mètres. Autrement dit qu'une évasion par l'entrée est tout bonnement impossible.

- Donc, récapitule la Patrouille à la lampe, un marqueur de mauvaise qualité dans une main, prêt à marquer sur un morceau de papier sorti de sa poche, vous êtes ?

- Vincius, affirme le traître, son pistolet toujours contre ma tempe. Vincius Lei.

L'homme relève la tête vivement. Une surprise à l'état pure se lit sur son visage, comme si le jeune homme était un dieu vivant.

- Le... Le Vincius Lei ?

- Lui-même.

Le désir de regarder la réaction de Tieden grandit de minute en minute, mais je dois résister à la tentation. Au moindre geste, le doigt du garçon presse la détente, et c'en est fini de moi.

Tandis que les deux Patrouilles semblent sous le choc de cette révélation, l'ancien adolescent de la Ligue soupire.

- Vous êtes d'une inefficacité mortifiante...

- Pa... Pardon !

- Hé ! crie quelqu'un. Regardez qui on a trouvé !

Une Patrouille répugnante s'avance, tenant entre ses doigts sales les cheveux d'Anaia, aux bouts desquels la jeune fille se débat tant bien que mal, prise au piège. Je sens tous mes espoirs s'envoler d'un coup. Nous n'avons plus aucune chance.

Nous allons mourir là, dans cette base, sous les ordres d'Armand. Et tout cela uniquement pour prouver que j'avais du courage. Je regrette. Être lâche n'aurait pas changé grand-chose.

Je n'aurais jamais dû partir.

- Ah ! s'exclame Vincius Lei, ravi. Il ne manquait plus que toi, Anaia, pour te joindre à la fête !

Le regard noir que celle-ci lui jette dépasse toutes mes attentes, mais ne fait en aucun cas flancher les Patrouilles.

- Vous savez, commence le nouveau venu, on en voit jamais des filles ici. Si vous pouviez nous la laisser, juste...

- C'est hors de question, le coupe l'ancien membre de la Ligue. C'est une prisonnière de marque, destinée à servir Aldo.

L'homme siffle, visiblement fasciné.

- Bah ça alors ! Une Poussiéreuse ?

- Exactement.

Si une ombre de doute est audible dans la voix de Vincius, elle s'efface bien vite, remplacée par une certitude sans faille :

- Une Poussiéreuse en fuite. Il est de mon devoir de la ramener saine et sauve, dans le meilleur des états pour qu'elle garde une qualité équivalente à celle d'avant son escapade.

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