Chapitre 34

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Enfermés dans un cachot depuis une heure maintenant, épuisés, assoiffés, affamés, nous attendons de savoir ce que nous allons devenir.

Un mal de tête affreux me terrasse, sans compter la douleur de mon bras gauche. Plié en deux, la respiration saccadée, j'essaie tant bien que mal de ne pas perdre connaissance. Un bandage fait avec des morceaux de tissu empêche l'hémorragie d'être trop forte, mais, malgré cela, la douleur persiste et j'ai peur qu'il y ait une infection. Il faudrait désinfecter ça en vitesse, mais nous n'avons ni les produits faits pour ni la lumière nécessaire pour mener ce nettoyage à bien.

L'humidité luisant sur les murs sombres, des gouttes d'eau coulant contre ma nuque, je tremble de froid. En plein Floréal, voilà qui est inhabituel.

- J'y crois pas... souffle Tieden, encore sous le choc. Comment il a pu...?

Je secoue la tête. Je n'en ai aucune idée. Moi aussi, j'étais assuré de sa fidélité. Comme je le disais, il est humain. Ma faiblesse, ses défauts, vont nous coûter la vie. La mienne, mais aussi et surtout celle de Tieden et d'Anaia.

A moins que...

A moins qu'Armand n'ait saisi à quel point la situation dans laquelle nous nous trouvons est critique et n'ait enclenché une cellule de crise, grâce à laquelle nous survivrons.

Il s'agit de notre seul espoir.

                                                                                         .oOo.

Une demi-heure est passée, peut-être plus. La douleur rend chaque seconde plus longue, et chaque seconde rend la douleur plus insupportable.

Soudain, un bruit se fait entendre. Tieden, surpris, esquisse un mouvement, et je tend l'oreille.

Doucement mais sûrement, la porte s'entrouvre pour laisser place à Vincus. Tous reculons, instinctivement, mais comprenons vite que ce n'est pas la peine : il n'est pas armé. Le jeune homme s'avance vers nous, sans refermer la porte derrière lui, laissant un mince filet de lumière pénétrer dans la pièce. Le regard de Tieden oscille entre le garçon et l'ouverture, mais ne bouge pas pour autant.

- Écoutez, chuchote le nouveau venu. Nous allons sortir d'ici.

Sa gestuelle nous exhortant au calme, aucun de nous ne réagit, se contentant de le fixer d'un regard vide.

Pourquoi lui faire confiance ? Il nous a vendus, tous les trois, et semble être vénéré par les Patrouilles, ici. Quel serait son avantage à nous sauver ?

- Nous allons quitter cette base, sans prendre aucun risque. Vous êtes prêts à me suivre ?

Silence.

Perdant patience face à notre placidité, il insiste :

- Si vous restez là, vous mourrez. Je suis votre seul espoir.

Absolument ravis qu'il en soit conscient, mis face à nos responsabilités, nous nous décidons enfin à le considérer sérieusement comme une chance d'évasion.

                                                                                            .oOo.

Toujours pas la moindre trace de la Ligue, et voilà que je croise les doigts pour qu'ils n'interviennent pas. La moindre action de leur part pourrait faire échouer tout le plan élaboré par Vincius.

Patrouille ou pas, ennemi ou pas, il est, comme il l'a très bien rappelé, notre dernière carte.

Ne pas le suivre serait renoncer à tous nos projets de liberté : sans quitter la base de Maza Upe, comment poursuivre notre progression vers la Ville ?

La nuit, plus sombre encore, couvre tout le bâtiment de sa noirceur. Les seules lumières, brisant cette uniformité, sont les lampes que les Patrouilles dirigent toujours vers la plaine, sans paraître vraiment concernés.

Lorsque Vincius Lei pénètre dans une salle où les gardiens de la base sont rassemblés, il interroge les hommes :

- Excusez-moi ? Je vais reprendre la route, pour être sur d'arriver chez Aldo à temps. Seulement voilà, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir et je voulais savoir si vous pourriez nous prêter un véhicule et des provisions.

Attablés autour d'une table de bois, jouant aux cartes, ils lui indiquent les lieux qui pourraient l'aider. L'un d'entre eux lui jette des clefs de contact depuis sa place, qu'il attrape en vol. Nous, les mains liées, observons la scène, un peu en retrait.

Quelques instants plus tard, le camion est chargé, nous dedans, et nous sommes enfin prêts à quitter les lieux. Vincius descend du véhicule, dans la cour, devant la porte, et exige qu'on lui ouvre. Personne ne trouve rien à répliquer.

Les deux Patrouilles poussent les lourds battants et attendent que l'on parte, dans le plus grand des silences.

                                                                                         .oOo.

L'ambiance, tendue, ne s'apaise que lorsque nous arrivons (enfin) à une centaine de mètres du campement de la Ligue, en contrebas.

Nous sortons du camion, aidés par la Patrouille qui nous détache à l'aide d'un canif. Aussitôt, j'entends la voix d'Armand s'élever.

- Vous voilà ! Vous ne pouvez pas savoir combien on s'est inquiétés !

Silence.

Anaia, la Patrouille, Tieden et moi passons à côté du garçon sans lui jeter le moindre regard.

Il nous a envoyés mourir. Je n'aurais jamais dû me proposer, et entraîner plusieurs personnes avec moi. Si elles avaient été blessées, je m'en serais voulu toute ma vie.

- Hé ! proteste l'Aristocrate en nous rejoignant, pressant le pas. Qu'est-ce qu'il y a ?

- Les autres avaient raison ! invective Anaia. T'es qu'un lâche !

Elle saisit ma main et s'éloigne, me traînant presque, gravissant la pente, raide, d'un pas rapide. Arrivés près du camp, reconnaissable par quelques lampes allumées le plus discrètement possible afin de ne pas être vus depuis la base, nous nous dirigeons vers des matelas réservés aux blessés.

Sa main dans la mienne me procure une satisfaction sans nom. Une chaleur venue de nulle part a effacé toutes traces de cette nuit froide, et ma douleur, bien qu'encore largement présente, semble un peu plus supportable.

Au-delà de cela, le fait qu'Anaia se range de mon côté et non de celui d'Armand me rend heureux car je n'aurais pas supporté de la voir parler comme si de rien n'était avec celui qui m'a gentiment permis de me retrouver avec une balle dans le bras.

La fille me fait assoir sur un des matelas. Elle plonge ses grands yeux bruns dans les miens, très sérieuse, et souffle :

- Tu m'a sauvé la vie.

Totalement perdu, j'esquisse un sourire que je veux modeste.

Sans répondre quoi que ce soit, elle s'affaire à soigner ma plaie tant bien que mal, déchirant des bandes de tissu, blanc, les plongeant dans l'eau et nettoyant tant bien que mal la plaie, m'arrachant des gémissements de douleur.

- Je pense que ce n'est pas trop grave... Mais je ne peux pas, admet-t-elle. J'ai besoin que quelqu'un retire la balle.

- Moi, fait une voix.

Nous nous retournons d'un même mouvement pour faire face à la Patrouille qui vient visiblement de se changer.

- J'ai appris à faire ça. Vous avez une cuillère ?

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