Chapitre 36

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Les combats font rage.

A droite, à gauche, partout en-dessous de moi, je vois des jeunes de la Ligue au corps-à-corps avec des Patrouilles, après que les stocks de munitions soient épuisés des deux côtés. Les gardiens de la base ne devaient pas s'attendre à une attaque, et encore moins de cette ampleur - bien que d'une taille risible, la Ligue est, d'après ce que je vois d'ici, à peu près équivalente en terme de membres. Aucun adolescent n'est blessé au point de ne pas pouvoir se battre, ce qui est plutôt un bon point.

En haut du mur, je n'ai pas encore touché le sol, et assiste aux duels sans agir, tant ils sont nombreux et me laissent du choix d'action. Les jeunes Soldats et Soldates observent la scène, médusés, sans savoir où se placer. Je ne peux que comprendre qu'ils soient indécis. Dans leur situation, j'aurais réagi de la même manière.

Je vais les aider à ne plus l'être.

Décidé, je désescalade le mur qui me sépare du combat puis saute et vais les rejoindre en courant, le plus discrètement possible pour ne pas servir de cible.

J'aperçois du coin de l'œil Tieden mettre un coup de tête à une Patrouille, l'envoyant au sol pour un moment. Parfait. Anaia frappe avec la crosse de son fusil, se débattant comme une démone et donnant du fil à retordre à ceux qui sont chargés de la neutraliser. Quand à la Patrouille secourue sur l'île, elle n'a pas rejoint ses camarades, qui ne semblent pas tout saisir de la situation. Ou ils sont bêtes pour ne pas avoir compris, ou ils sont suffisamment intelligents pour user davantage d'énergie à sauver leur peau qu'à chercher à connaître la véritable identité du jeune homme.

- Filles et garçons de cette base ! clamé-je, criant presque pour me faire entendre de tous les Soldats.

Ils m'observent, ébahis, curieux et questionnés, me mettre debout sur un monticule d'ordures dans un coin de la cour, juste devant eux.

Ce n'est pas la chose la plus élégante, mais c'est la seule que j'ai trouvée pour arriver à les dominer en taille. La plupart d'entre eux semblent avoir entre quinze et dix-huit ans - il s'agit d'une tranche d'âge équivalente à celle de la base du Grand Canyon -, et me dépassent presque tous.

- Nous défendons des valeurs communes ! continué-je. Ces hommes (je désigne les Patrouilles du doigt, largement reconnaissables par leur uniforme) agissent sous les ordres de personnes mal intentionnées qui dirigent...

Je comprends qu'un discours trop long va seulement les endormir et coûter la vie à des jeunes de la Ligue - quant aux Patrouilles, jamais plus je ne pleurerai sur le sort de l'un d'entre eux. Je dois être synthétique.

Pour espérer mieux les toucher, je tente de me souvenir de comment je me sentais lorsque j'étais dans leur position. Qu'est-ce que j'aurais aimé entendre ? Qu'est-ce qui m'aurait convaincu ?

- Je suis comme vous, j'ai, moi aussi, été forcé à quitter ma Zone pour me retrouver ici, dans un endroit affreux, aux conditions de vie terribles. Ecoutez-moi. Je comprends votre sentiment de trahison, votre désir de vérité, votre besoin de liberté. Je suis comme vous, je veux revoir ma famille, retrouver mes amis, remonter le temps, mais c'est trop tard, et on le sait tous.

Si certains ne semblent pas approuver, tous se taisent et restent attentifs jusqu'au bout. Je dois faire en sorte qu'ils rejoignent la Ligue. C'est ma mission, je dois l'assumer pleinement. Je dois réussir. Je n'ai pas le choix.

Et, si, pour réussir, je dois exagérer ou mentir, il n'y a aucun problème. Nous sommes en guerre. Tous les coups sont permis.

- J'ai pleuré, la nuit, des douleurs des entraînements, de la faim qui me tiraillait et m'empêchait de trouver le sommeil. Puis j'ai tellement pleuré que j'ai arrêté, parce que j'ai compris que ce n'était pas ce qui allait résoudre mes problèmes. Je suis comme vous.

On avait dit synthétique, le discours.

- Quand j'étais à votre place, je ne croyais plus en rien, mais j'aurais aimé que quelqu'un me tende la main, alors... Battez-vous avec nous. Jamais votre aide ne sera négligée. Vous nous rejoindrez et pourrez enfin songer à tuer pour la bonne cause, pour retrouver la liberté, la vérité, tout ce en quoi vous avez cessé de croire.

Très honteux de cette fin ridicule, je me précipite sur le champ de bataille, où les combats font toujours rage. Manquant de tomber à ma sortie du tas d'ordures, je me rattrape et conserve ce qu'il me reste de dignité.

Derrière moi, je sens des présences : j'ai été suivi, et, pour une fois, je m'en réjouis.

Avec une satisfaction la plus totale, j'assiste à l'arrivée des Soldats et des Soldates, qui prennent place aux côtés de mes amis et leur apportent une aide précieuse, à ce moment où le combat s'éternise. Ceux-ci ne cachent ni leur surprise ni leur soulagement, et quand leurs yeux croisent les miens, je me sens utile, pour la première fois depuis que j'ai rejoint la Ligue.

Je m'empare d'un morceau de bois et me fraie un passage à coups de planche, utilisant principalement mon bras intact pour atteindre Armand, le plus proche, légèrement à l'écart. Malgré tous les doutes que j'aurais pu avoir, il se débrouille assez bien et semble en bon état. Seul un bleu caractéristique autour de l'œil droit vient ternir son image de combattant.

- Alors, le panda, on a besoin d'aide ?

- Ta gueule  !

Surpris par cette réaction peu aristocratique, je resserre ma prise autour de la planche, tant que mes jointures deviennent blanches. Vu la carrure de la Patrouille dont s'occupe Armand, je vais devoir faire appel à toute ma force et ma volonté pour le vaincre.

Alors que l'ennemi s'avance pour frapper le chef au visage, je me jette sur lui et lui enfonce mon morceau de bois dans le ventre, tentant de ne pas porter attention à la douleur qui suinte de mon bras.

Sous adrénaline, encouragé par le regard d'Armand posé sur moi, je vois la Patrouille pliée en deux, sans souffle, et saisis l'occasion. Je la pousse en arrière, me mets à cheval sur elle, m'empare de sa gorge et serre, ignorant ma propre blessure, serre, résistant le plus possible aux pressions de l'homme, qui tente de me repousser avec l'énergie du désespoir, mettant lui aussi ses mains autour de mon cou. Je serre plus fort encore, sens, sous mes mains, cette Patrouille qui étouffe, serre jusqu'à ce que l'homme ne se débatte plus. Plus du tout.

Lorsqu'enfin cela est fait, je relève mes manches et regarde autour de moi, constatant avec un très grand plaisir une importante diminution des ennemis tenant encore debout, et une hargne très visible, appréciable, chez les jeunes de notre camp.

Nous savons pourquoi nous nous battons, nous avons un objectif très précis qui nous tient à cœur. C'est peut-être ce qui pourrait faire la différence et être à l'origine d'un changement de système.

Les seules personnes convaincues du bon fonctionnement de ce dernier sont ceux qui dirigent.

Ni ceux qui apportent de l'aide, ni ceux qui se battent. Ceux qui dirigent.

Mes yeux croisent ceux d'Armand. Grand ouverts, comme sa bouche, le garçon semble largement sous le choc de ce qu'il vient de se passer.

Je lui offre mon plus beau sourire.

- Alors, ça y est, je m'y suis mis ?

Je m'éloigne, cherchant une autre cible, laissant le chef de la Ligue pantois et complètement désarçonné.

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