Chapitre 37

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Nous rentrons au camp, euphoriques, et la fierté que je ressens ne diminue pas. Au contraire. La reconnaissance est visible dans les regards mais aussi dans les mots de mes camarades : un grand nombre d'entre eux sont venus me remercier.

J'ai tenté d'avoir une discussion avec Armand afin de m'assurer de ne plus jamais être sous-estimé mais celui-ci semble m'éviter le plus possible, s'éclipsant dès que je me montre.

Les jeunes Soldats et Soldates ont aussitôt été dispersés à travers les différents groupes formés au sein de la Ligue, le plus souvent par affinités. Je suppose donc que Tieden en a pris un ou une sous son aile, bien que je n'aie pas encore eu le temps de lui parler.

La tête haute, je traverse donc le camp, Anaia à ma droite.

- Tu vas où ?

- Je te suis, répond-elle.

Surpris, je me tourne dans sa direction.

- Ah bon ? Mais pourquoi ?

Ses sourcils se froncent, et je me dis que cette question n'aurait pas nécessairement dû franchir mes lèvres.

- Pour te soigner. Ne me dis pas que tu ne comptais plus toucher à ta plaie ?

Je jette un coup d'œil à mon bras gauche, la douleur étant moins vive qu'auparavant. Sans aucun doute, la fierté qui m'anime est à l'origine de ce changement.

Malgré tout, le bandage blanc est couvert de taches brunes, et je ne peux qu'approuver l'idée de le changer. Je me tourne vers la jeune fille, qui me regarde toujours, attendant mon autorisation.

- Merci, soufflé-je comme réponse.

Elle hoche la tête imperceptiblement et nous poursuivons notre avancée jusqu'aux matelas étalés au sol. Je m'assois en tailleur sur l'un d'entre eux et Anaia juste à côté de moi.

Elle retire mon bandage, prenant le plus de précautions possibles pour éviter de me faire mal, et je détourne le regard. Ce n'est absolument pas nécessaire de voir mon propre bras charcuté.

Elle nettoie maintenant la blessure, et je serre les dents pour ne laisser échapper aucun bruit. Elle fait de son mieux, le minimum est de me taire. Lorsqu'elle a fini, elle s'empare d'une pommade et l'étale méticuleusement autour de la plaie. Sans savoir s'il s'agit des effets de la crème ou d'autre chose, je sens des vagues de chaleur parcourir mon corps et je me dis que ça pourrait être drôlement pratique en hiver.

Anaia s'empare finalement d'un morceau de tissu propre qu'elle enroule autour de ma plaie et serre légèrement, ferme à l'aide d'une épingle à nourrice puis se penche en arrière comme pour me voir en entier.

- Tu n'as aucune autre blessure ?

- Non, réponds-je, je suis arrivé vers la fin de la bataille.

- Bien, fait la jeune fille et se relevant. Je vais m'occuper d'Armand, je pense que lui aussi va avoir besoin de soins.

Aucun son ne sort de ma bouche, et j'imagine Anaia s'affairant autour du chef de la Ligue.

Sérieusement ?

Cette simple pensée me dégoûte, et je ressens alors une vive haine à l'égard de l'Aristocrate.

Comment peut-être revenir vers lui après ce qu'il a fait, après qu'il nous ait envoyés mourir, en "reconnaissance" ? Comment ose-t-il simplement prétendre à conserver sa position ?

Je ravale ma colère et m'assois près de Tieden, seul, en tailleur dans l'herbe, à quelques mètres.

Il n'a pris ni Soldat ni Soldate sous son aile. Légèrement surpris, je m'en réjouis cependant : une personne supplémentaire augmenterait les risques de disputes, déjà élevés avec Tieden et la Patrouille qui se détestent mutuellement.

Je m'entends grogner :

- Anaia vient d'entrer dans la tente du "chef".

- Bah alors ? raille mon ami. Jaloux ?

Je lui donne un coup d'épaule - petit, parce qu'il gagnerait si nous venions à nous battre - mais ne nie rien. Peut-être que je le suis.

Peut-être.

Mais c'est absolument hors de question pour moi de l'admettre.

.oOo.

Les étoiles brillent au-dessus de nos têtes, comme de nombreuses fois auparavant. Je remarque que souvent, je suis amené à contempler le ciel. Seulement, les personnes avec lesquelles je le fais disparaissent de ma vie par la suite.

Sloane et Liago. Elven.

Ce soir, il s'agit d'Anaia et de Tieden, et, bien que nous ne soyons jamais sûrs de rien, maintenant que nous sommes ensemble, dans la Ligue, seuls les Patrouilles ou les dirigeants pourraient nous séparer.

Je lâche un soupir, lourd de regrets.

Tous me manquent. Leur absence est chaque jour un peu plus douloureuse, bien que je tente de reporter ma souffrance sur autre chose. Inscrite en moi, je crains de ne jamais pouvoir m'en défaire. Mais, quelque part, peu m'importe. Si je dois vivre avec, je le ferai.

Seulement, je dois métamorphoser cette douleur en force, en fierté.

En identité.

- Vous dormez ? interroge Tieden faiblement.

La lune, à moitié pleine, éclaire tout les environs d'une pâle lumière. Remuant dans mon sac de couchage pour le regarder, je lui réponds :

- Non. J'y arrive pas.

- Moi non plus, souffle Anaia.

Silence.

- C'est demain, qu'on part ? demandé-je pour parler d'autre chose que notre difficulté à nous endormir, devenue chronique au fur-et-à-mesure du temps.

- Oui, acquiesce la Poussiéreuse. Demain, nous avons la matinée pour nous préparer, et nous partons dès que tous les bagages sont faits, organisés et chargés à bord des camions, en direction de d'autres bases.

- Quand est-ce qu'on va enfin se poser ? râle mon ami.

- Ouais, renchéris-je, c'est vrai que ça pourrait être pas mal de s'arrêter, au moins un jour.

La jeune fille, la mâchoire serrée, nous jette un regard noir avant de déclarer avec une froideur qui se dégage aussi de ses yeux :

- Si vous n'êtes pas prêts à sacrifier un peu de votre temps et de votre énergie pour espérer remporter la bataille finale, alors nous ne pouvons plus rien faire pour vous.

Tieden soupire bruyamment, ne cherchant en aucun cas à cacher son mécontentement :

- Écoute, tu peux quand même comprendre qu'on veuille se poser, à un moment, non ? Me dis pas que ça t'es jamais arrivé, je te croirais pas.

Sans répondre, elle le fusille du regard et nous tourne le dos. Pour ne plus nous voir, sans doute. Cette simple pensée me blesse et je sens mon cœur se serrer, bien que je ne comprenne pas tout-à-fait pourquoi.

- Qu'est-ce qu'elle peut être susceptible...

Je ne dis rien, décidant de ne pas prendre position. Sur le fond, je suis d'accord avec Tieden, mais je m'en veux d'avoir contribué à froisser Anaia. Après tout, elle devrait comprendre, elle qui fait partie de la Ligue depuis longtemps.

Et puis, je ne pense pas que grand-chose puisse lui manquer, dans son ancienne vie.

Après tout, c'était une simple Poussiéreuse.

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