Chapitre 38

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Puisque telle est la décision du collectif, nous allons partir ce matin, dès que tout sera organisé et conviendra à l'organisateur. Les Patrouilles peuvent mettre jusqu'à quarante-huit heures pour être mis au courant de ce qui se passe ici et faire leur arrivée, mais nous préférons ne pas nous attarder pour éloigner tout danger potentiel.

Seulement, dès le réveil, quelque chose me trouble.

Tieden me secoue, puissamment, et, dès que j'ouvre les paupières, mes yeux croisent les siens, affolés :

- Les six jeunes qui gardaient le camp... Ils ont disparu.

Je me redresse brutalement, comprenant l'agitation et le chaos qui règne autour de moi. Encore une fois, je suis le dernier éveillé - le dernier informé. Dans les regards, on peut lire un angoisse profonde. Effaré, je demande :

- Tous ?

Mon ami hoche la tête gravement et confirme :

- Tous.

Sans prendre la peine de m'habiller, je m'acharne contre la fermeture éclaire de mon duvet, mais celle-ci, d'une qualité médiocre, cède, et, sans y porter la moindre attention, j'arrive à m'extirper hors du sac de couchage.

- Où sont les autres ?

- Ils nous attendent.

D'un pas précipité, nous grimpons la pente herbeuse et gagnons un rocher, à une centaine de mètres du camp, sur lequel sont assis Armand, Anaia et Lyl. Tous trois ont une visage grave. Donc, l'Aristocrate possède un cœur. Pour être un surprise, c'en est une.

Après une rapide escalade, nous rejoignons le groupe et nous asseyons parmi eux. Aussitôt, Armand prend la parole :

- Ce qui est arrivé est désastreux. Horrible, affreux, injuste. Pour nous, absolument... Déroutant. Nous devons réfléchir à des solutions pour éviter que cela ne se reproduise...

Désintéressé, je me plonge dans la contemplation d'Anaia, qui enroule une mèches de ses cheveux autour de ses doigts et tire dessus avant de la relâcher pour en saisir une autre. Un tic nerveux.

J'esquisse un sourire.

- Hérion. Je ne te dérange pas ?

- Non, ça va.

Puis, apercevant le regard désapprobateur de la jeune fille mais aussi des trois autres garçons, je me rectifie :

- Pardon. Tu peux continuer.

Non sans un dernier froncement de sourcils, l'Aristocrate reprend :

- Ceux qui ont fait ça n'ont laissé aucune trace.

- J'ai une idée, lâche soudain Anaia.

- Ah ?

- Ils sont partout. Des zones jusqu'aux bases, en passant par les ambassades, ils sont parmi nous. Je ne vois que...

- Non, la coupe Armand avec une froideur que je considère intolérable. C'est impossible.

Je vois la jeune fille tirer à nouveau sur une mèche de cheveux et son frère déglutir avec difficulté. Visiblement, cette idée semble très déplaisante aux deux Poussiéreux.

- Il faut se rendre à l'évidence, poursuit-elle. C'est la seule solution.

- Attendez, les interromps-je, de qui parlez-vous ?

- Des Marcheurs de l'Ombre.

- Ne sois pas stupide ! s'énerve le chef de la Ligue en se levant brutalement. Tu sais bien que cette unité a été dissoute il y a vingt ans !

- Je sais, mais tu es forcé d'admettre que tout ça ressemble beaucoup à leurs méthodes.

- Elle a raison, renchérit son frère. Armand, nous sommes partis de la Ville il y a cinq ans. Qu'est-ce qui se passe en cinq ans ? Beaucoup de choses. On ne peut pas savoir combien de révoltes il y a eu, combien de zones on dû être vidées ni encore ce qu'il se passe actuellement à la Ville.

- Le seul moyen serait d'y retourner, reprend la jeune fille, et ça tombe bien, c'est notre objectif final. Nous saurons ce qu'il s'est passé. Mais, en attendant, nous nous devons d'envisager le pire pour mieux protéger chacun des membres de la Ligue.

- Attendez ! m'exclamé-je. Qui sont ces Marcheurs de l'Ombre ?

Elle se tourne vers moi, et, plongeant ses yeux dans les miens, explique d'une voix assurée :

- Des mercenaires infiltrés partout, dans chaque institution sur l'ensemble du territoire. Uniquement des volontaires, pratiquement toujours des criminels qu'on relâche pour exécuter un travail considéré comme le pire. Pour donner une comparaison, ils sont largement plus compétents que les Patrouilles, pour la simple et bonne raison qu'ils éprouvent un plaisir sincère à traquer, torturer, assassiner.

- Ils avaient été supprimés il y a vingt ans, poursuit Lyl, en raison d'un début de révolte dans leur unité, qui n'avait d'ailleurs pas abouti. Mais il n'est pas impossible qu'ils aient repris du service.

- Pas impossible du tout.

- Vous savez ce que j'en pense, proteste Armand. Je trouve ça ridicule. Il peut s'agir d'un animal sauvage...

- Six adolescents, dévorés ? Sans qu'il reste la moindre trace ?

- Pas nécessairement dévorés, mais, je ne sais pas, emportés...

- Sans la moindre trace ? répète Anaia. Ce sont des professionnels. On ne les voit jamais, même avant de mourir. Tu dois le reconnaître. Ils sont revenus.

Je le vois blêmir au fur-et-à-mesure que la jeune fille parle et impose ses arguments. Si déplaisante soit-elle, cette idée semble plutôt convaincante.

- Alors, conclut le chef de la Ligue, si c'est ce que vous pensez, nos espoirs diminuent d'un coup. Nous devons changer de stratégie et libérer les zones directement, pour attiser la colère populaire, ainsi détourner l'attention des autorités et espérer atteindre la Ville le plus rapidement possible.

                                                                                    .oOo.

Au milieu de la cohue, je me faufile pour saisir mon sac à dos et le mettre dans le coffre du camion le plus proche, déjà bien rempli. Après avoir contourné l'engin, j'ouvre la portière et me faufile à l'intérieur.

A travers la vitre sale, j'aperçois Armand se prendre la tête entre les mains. Ravi de le voir dans une position inconfortable, je baisse la vitre et profite du spectacle.

- Mais comment c'est possible... souffle t-il. Nous avons une dizaine de camions, et nous ne sommes pas capables de trouver des personnes pour les conduire ?

Anaia s'approche de lui, et pose ses mains sur ses épaules pour le calmer. Je sens ma mâchoire se contracter mais je ne dis rien. Je n'ai aucune envie d'offrir la moindre satisfaction à Armand. Même s'il ne me voit pas, d'ailleurs.

- Parmi tous les jeunes que nous avons, je doute qu'il n'y ait absolument personne qui sache conduire. On va faire le tour des rangs et trouver des adolescents qui savent manier un volant, ne t'inquiète pas.

Elle s'éloigne d'un pas léger, tandis que le chef reste debout. Je crois voir sa main trembler légèrement, avant qu'il la plonge dans sa poche de veste, kaki.

Mes lèvres s'étirent en un sourire narquois.

Alors, on a peur ?

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