Chapitre 39

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Anaia avait raison.

Même si on aurait pu le deviner, effectivement, parmi les jeunes de la Ligue, quelques-uns ont des connaissances en matière d'engins. Il s'agit notamment d'Ouvriers, qui, connaissant le fonctionnement des engins, ont compris assez vite comment les faire avancer.

Les trois autres conducteurs sont connus, puisqu'il s'agit d'Anaia, Lyl et Vincius, ce dernier à la tête du véhicule dans lequel je suis confortablement installé.

Très rapidement, un système de relai s'est mis en place, afin que ça ne soient pas toujours les mêmes qui marchent à côté du camion ou qui soient assis à l'intérieur, subissant les violentes secousses causées par la route défoncée.

Heureusement, en raison de ma blessure au bras, les dirigeants de la Ligue ont déclaré que je pouvais rester assis tout au long du trajet, ce qui convient parfaitement à mes petites jambes. Les camions des Patrouilles n'ont rien à voir avec ceux que nous avions empruntés pour aller à la Base puis gagner le bateau. Les sièges sont confortables, disposés les uns derrière les autres : deux à l'avant, trois au deuxième et troisième rangs. A droite et à gauche du véhicule, des fenêtres permettent d'observer ce qui se passe à l'extérieur.

Tranquillement installé, ma tête cognant la vitre de temps en temps, je regarde, hypnotisé, Tieden dessiner l'esquisse des paysages qui nous entourent, dans un cahier, le même que celui dans lequel il avait fait nos portraits le jour où je l'ai rencontré, lui et ceux avec qui j'ai, par la suite, partagé mon dortoir.

Soudain, quelque chose me traverse l'esprit.

- Tu ne l'as pas donné ?

Le garçon lève les yeux vers moi, surpris de ma question si subite, d'autant plus que nous sommes avec cinq autres jeunes que nous ne connaissons pas.

- De quoi ?

- Ton carnet. A la Base, on nous avait demandé de leur remettre toutes nos affaires personnelles. Tu ne l'as pas fait ?

- Je leur ai remis mes affaires personnelles, réplique l'autre.

- Ah oui ? Et ton carnet, alors, c'est quoi ?

- Mon carnet, siffle t-il, c'est ma vie. Bien plus qu'un affaire personnelle.

- Tu aurais dû nous en parler !

- Je te remercie de me penser suffisamment stupide pour avoir seulement songé à aborder le sujet.

- Stupide ?

- Ouais, t'as bien entendu. Me dis pas que t'aurais préféré que je finisse comme Rellov ? (Il soupire.) C'est débile comme remarque.

- Mais... Comment est-ce que tu as fait pour le cacher ?

- Tu sais, Hérion, un pull, ça cache l'élastique du short. Et, tenu par l'élastique, on met ce qu'on veut dedans.

Choqué par ses paroles, je me retourne vers la vitre et ne dis plus un mot jusqu'au changement suivant, où Tieden quitte enfin le véhicule pour marcher. Je le regarde faire l'effort, suer à grosses gouttes sous le soleil, tandis que je suis confortablement assis, à l'ombre, et cette simple pensée me procure de la satisfaction.

Allez, pensé-je, plus que cinq kilomètres.

.oOo.

Après une longue sieste incessamment chahutée par des secousses ou des changements, j'entends la voix d'Armand s'élever et nous indiquer à tous que nous pouvons quitter les camions. Nous voilà arrivés au plus proche des zones.

Enfin, la libération peur commencer.

A peine ai-je posé le pied au sol, m'étirant pour sortir de ma torpeur, qu'on m'assigne à un groupe, dans lequel je retrouve Tieden et Anaia. A mon plus grand bonheur, Armand ne sera pas là, et la Patrouille non plus.

Ce dernier est assez discret, malgré le fait qu'il soit (indéniablement) compétent, et ait appris - lors de sa formation, sans doute -, à ne pas se plaindre. Malgré tout, me séparer de lui ne me pose aucun souci, bien que je sois toujours responsable de ses actes. Il n'est, selon moi, pas totalement innocent : avoir conservé la tenue des Patrouilles, après son entrée à la Ligue ? Être connu des celles-ci, même appartenant à une base lointaine ?

Tout cela lui constitue un dossier louche, que je préfère ne pas emmener avec moi en voyage.

Notre groupe, donc, formé de sept personnes (peut-être le plus petit), récupère des armes, de l'eau et de la nourriture, que nous chargeons à l'arrière d'un camion. Dotés d'un talkie-walkie pour communiquer, nous resterons en contact avec les autres unités, puisqu'Armand, face à la menace des Marcheurs de l'Ombre, a eu la superbe idée de séparer la Ligue en petits groupes.

Je plains sérieusement ceux qui sont à pied et portent tout sur leur dos, malgré le fait que les zones qu'ils doivent libérer sont plus proches que la nôtre.

Est venu le moment des adieux. A l'arrière du camion, je charge les sacs et l'équipement, surveillant du coin de l'œil ce qui se passe à ma gauche. Lyl s'approche de sa sœur, lui remet une carte qui a une précision toute relative avant de poser un baiser sur son front.

Il s'éloigne et c'est maintenant au tour d'Armand de s'avancer. Tout mon attention est désormais portée sur le chef. Je suis prêt à bondir.

Il la prend dans ses bras et elle lui rend son étreinte, puis ils se reculent et l'Aristocrate lui souffle quelques mots que, même en tendant l'oreille, je n'arrive pas à saisir. Une chose, par contre, est largement perceptible. L'intensité de son regard, ne laissant aucun doute quant à ses sentiments.

Un air nostalgique sur le visage, il la regarde venir vers moi et m'aider à charger les paquets.

- Tu n'as pas l'air bien blessé, commente-t-elle.

Je l'ignore.

- Est-ce qu'il y a quelque chose entre Armand et toi ?

Elle secoue la tête de droite à gauche, très sérieuse.

- T'es ridicule.

- Réponds-moi ! Est-ce qu'il y a déjà eu quelque chose ?

Anaia se tourne pour me faire face et affirme, d'une voix qui me surprend par sa force et sa certitude :

- Je l'ai toujours considéré comme un frère. Rien de plus.

- Et lui ?

Elle hausse les épaules avec désinvolture, passablement agacée.

- Aucune idée.

- Et moi ?

Ces mots ont franchi mes lèvres avant que je ne réalise vraiment leur sens ou même l'impact qu'ils pourraient avoir. Je la vois s'immobiliser, le regard fixé sur le sac de couchage qu'elle porte entre ses mains.

- Toi ? répète t-elle d'une voix blanche.

- Oublie.

Sans relever les yeux vers moi, le visage caché par ses longs cheveux, lâchés, elle poursuit le chargement.

Dégoûté de ma propre lâcheté, je me tourne vers ma gauche et vois qu'Armand a les yeux rivés sur Anaia. Son regard est empli d'une douceur et d'une tendresse qui n'ont absolument rien de fraternel.

Je pince les lèvres et serre les poings. Ce n'est pas le moment de m'énerver. Pas du tout le moment. Tentant de garder mon calme, j'enchaîne les caisses, lourdes, et tente de me focaliser sur les instants à venir.

Nous allons libérer des zones.

Réaliser un rêve.

Non ?

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