Chapitre 41

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Cela fait vingt minutes, désormais, qu'Anaia et le garçon de la Ligue - d'ailleurs nommé Doën - ont pénétré dans le réfectoire, accompagnés par l'homme aperçu derrière la porte aux cent serrures et une femme, à la même carrure que celui-ci.

Tieden, les quatre autres jeunes et moi devons garder la porte afin d'éviter toute infraction. En somme, nous restons debout et attendons, avec le plus de patience possible, qu'enfin le message passe et que nous puissions quitter cette zone qui n'est même pas la mienne.

Soudain, un coup résonne dans la pièce. Après un regard entendu, nous poussons la porte à l'unisson, nous retrouvant face à l'homme, laissant derrière lui Anaia et Doën mais aussi la femme qui l'accompagnait, inconscients. Sans comprendre, j'envoie un coup de poing, supposant le motif suffisant pour attaquer, qu'il évite prestement.

Comprenant que l'ennemi n'est pas de taille, je me jette entre les jambes de celui-ci et parviens à me faufiler dans le réfectoire, rampant misérablement au sol et laissant derrière moi mes compagnons aux prises avec un homme à la largeur d'épaules deux fois plus importante que la mienne. Lorsqu'enfin je me suis relevé, je cours en direction d'Anaia et vérifie son pouls.

Son cœur bat normalement. Elle a seulement été assommée.

Je me tourne à présent vers Doën et reproduit le geste : lui aussi, seulement évanoui.

Ouf.

Redirigeant mon regard vers la porte, je réalise que mes camarades sont en difficulté. La fille gît au sol et le garçon métis saigne du nez. Tieden, lui, semble intact.

Je retourne le corps d'Anaia, la mettant en position latérale de sécurité, chose utile apprise lors de discussions avec des jeunes de la Ligue. Pendant la manœuvre, ma main heurte un objet lourd et froid, que je sors et dont je m'empare. Un petit pistolet. Je prends connaissance de l'arme : six coups, chargé.

Alors, d'un pas tranquille, je viens me placer derrière l'homme, toujours en lutte avec le reste de notre petit groupe. Tieden esquive un coup de poing, et son regard croise le mien. Lui, comme les autres, n'ont pas besoin d'un signe de ma part pour s'écarter. Ils savent parfaitement ce qu'ils ont à faire et s'exécutent.

Aussitôt, je presse la détente et suis projeté en arrière par la puissance du coup.

L'homme ne bouge plus, comme saisi par une terrible surprise. Une tâche brune prend petit à petit de l'ampleur sur son uniforme noir, gagnant du terrain un peu plus à chaque seconde. Mais, malgré tout, il reste debout. Immobile mais vivant, sans aucun doute.

J'appuie à nouveau, et une deuxième déflagration se fait entendre, déchirant mes tympans et mettant tous mes sens en alerte. L'homme tombe, cette fois-ci, à genoux, comme soumis, avant de s'étaler, face contre sol, mort. Je vois les yeux de Tieden emplis d'effroi.

Pourquoi ?

Je les sauve.

Quelle ingratitude.

Mais, avant que je comprenne ce qui m'arrive, je sens ma tête tourner et tout devient noir.

Boum.

                                                                                 .oOo.

Lorsque je reprends connaissance, j'ai la bouche pâteuse et un mal de crâne abominable. Ma douleur au bras gauche s'est éveillée à nouveau, et je crains qu'elle refuse de me quitter. Pourtant, je me déferai bien de sa compagnie.

J'ai la désagréable impression d'être évanoui depuis un temps considérable : plusieurs heures, en tous cas.

J'ouvre les yeux et trouve aussitôt, penchés au-dessus de moi, Tieden et Anaia. Tous deux laissent échapper un soupir de soulagement lorsque mon regard croise le leur, dans lequel je lis de l'inquiétude. Je ne peux m'empêcher de me réjouir : au moins, si je meurs, eux me pleureront.

Je suis visiblement allongé sur trois des sièges du camion, ce qui explique pourquoi je suis si bien installé.

- 'Lors, balbutié-je, contents de m'r'voir ?

J'aurais préféré énoncer ces mots clairement et avec panache, mais il faut croire que l'instant qui suit l'évanouissement n'est pas le plus glorieux d'une existence.

L'inquiétude dans leurs yeux disparait instantanément pour laisser place à autre chose. Seraient-ils irrités ?

- Pourquoi t'as fait ça ? questionne Tieden sèchement.

Je les regarde, médusé.

- Bah... J'ai fait ce qu'il y avait à faire.

La jeune fille fronce les sourcils, et me regarde comme si j'avais perdu la tête. Quand au garçon, il rigole nerveusement et poursuit son interrogatoire :

- Non, sérieux ?

Je ne comprends pas du tout.

- Ouais.

Son visage laisse clairement comprendre qu'il pense que j'ai perdu tout le sens commun et que je suis irrattrapable. Il se passe la main dans les cheveux, se penche vers moi et m'explique, d'un ton qu'il veut convaincant :

- On était des parlementaires ! On peut pas se permettre de demander de parler pour ensuite les tuer, comme des sauvages !

- Mais on peut pas non plus mourir là alors qu'il y a encore des dizaines de zones à libérer !

Il recule de deux pas, comme sonné par mes mots.

- Tu tues pour régler tes problèmes ? Tu vaux pas mieux que les Patrouilles, alors !

- Hé ! Me parle pas comme ça ! Je tue pour régler vos problèmes !

- Comment ça, nos problèmes ? L'homme nous a tapé dessus, mais c'est toi qui l'as tué. C'est nous qui avons dû nous retirer en urgence et t'emmener avec nous parce qu'on a mis en colère toute la zone ! T'y étais pas, à ce repli catastrophique ! Alors je te parle comme je veux, parce que faudrait que le message passe, un jour ou l'autre !

- T'as rien compris du tout ! J'arrive, je vous vois au sol, évanouis, c'est de la légitime défense !

Les yeux écarquillés, sur son visage un air de dégoût, je ne le reconnais plus. Comment ai-je pu supporter ce mec ?

- Tu deviens vraiment con, souffle t-il avant d'ouvrir la portière et de quitter le camion.

Je le regarde s'en aller, souhaitant qu'il ne revienne pas. Anaia, elle, n'a rien dit depuis le début de la "conversation". Tentant de rester calme, je me tourne vers elle :

- Et toi, t'en penses quoi ?

Elle enroule une mèche de cheveux autour de son doigt et tire dessus - comme à chaque fois qu'elle est dans une situation délicate ou stressante.

- Je...

Elle hésite. Je soupire, pris de pitié devant telle une difficulté à me dire clairement les choses.

- Je vais pas t'en vouloir, si t'es d'accord avec Tieden, hein ?

Anaia hausse un sourcil, l'air de ne pas comprendre.

- Je ne pensais pas à ça.

- A quoi alors ?

- A ce que tu m'as dit, quand on chargeait les bagages dans le coffre.

- Ah, fais-je en me relevant brusquement.

- Je voulais juste te dire que tout n'était pas très clair pour moi. Seulement, si tu continues à tuer des gens, ça risque de le devenir, mais de te déplaire.

Elle se lève doucement et, sans plus un mot, referme la portière derrière elle dans un claquement sonore.

C'est une menace ?

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