Chapitre 42

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2 semaines plus tard...

20 zones.

Nous avons agi dans 20 zones, et libéré 13 d'entre elles.

Au total, 2 432 personnes nous ont suivis, suivi leur instinct, pris leur courage à deux mains, rejoint la lutte.

2 432 personnes, parmi lesquelles des femmes, des hommes, des enfants, tous menés par un groupe de sept jeunes, partis avec un camion, quelques provisions, des armes et des uniformes de Patrouilles.

Et je suis parmi eux.

On aurait pu croire que le fiasco de la zone 23 480 influencerait négativement le déroulement des opérations suivantes. Cependant, comprenant que toute discussion était cause de désaccord, le groupe a cessé d'en tenir compte et a su réagir, en prenant des mesures à toujours respecter. Parmi elles on retrouve l'interdiction du port d'armes, d'adopter un ton menaçant quelle que soit la raison, et, ajouté récemment, de se tenir à moins d'un mètre des habitants.

Si notre taux de réussite peut sembler bas, il fait partie des plus élevés de l'entièreté des unités de la Ligue, et c'est avec une fierté sincère que nous annonçons, chaque soir, les nouvelles à Armand et Lyl, par talkie-walkie. Ces instants ne durent jamais, par crainte d'être repérés grâce aux ondes, que pourraient capter aussi les Patrouilles.

Depuis les disparitions, le jour de notre départ, nous n'avons eu aucune nouvelle des Marcheurs de l'Ombre. Malgré tout, cet évènement reste un souvenir douloureux, une menace qui plane constamment au-dessus de nos têtes. Chaque signe potentiel est pris très au sérieux, et tout phénomène étrange est éclairci le plus vite possible.

Nous avons rapidement été forcés de régler des problèmes de logistique. Effectivement, il est impossible de loger 2 432 personnes dans une zone où le maximum s'élève à 200. Chaque groupe demeure donc chez lui, et vit exactement comme avant, tandis que les sept jeunes de la Ligue et moi partageons la chambre de d'autres adolescents de la zone 23 482, notre sac de couchage posé contre le sol.

Après nous être levés, nous nous entraînons dans le gymnase jusqu'à midi, où, après un court repas, commence la libération des zones. En général, si nous échouons, nous n'en faisons qu'une en un après-midi, mais une victoire peut nous apporter l'énergie de tenter pour une seconde.

A notre plus grande surprise, nous avons remarqué que les tempéraments varient en fonction du lieu de vie. Effectivement, les habitants de la zone 23 482 sont, globalement, très positifs et joviaux, tandis que ceux de la zone 23 496 sont particulièrement inexpressifs. C'est d'ailleurs cette raison qui a orienté notre lieu de vie principal.

La nourriture est livrée en début de chaque semaine, nous n'en aurons bientôt plus et serons, de toute façon, forcés de quitter les lieux. Les Poussiéreux chargés de transformer les aliments bruts en plats ayant été libérés eux aussi, ils transmettent aujourd'hui leur façon de faire à tous, et chaque repas est réalisé collectivement.

Seule ombre au tableau : le Sage ne s'est pas montré depuis que nous avons commencé la Libération des zones (ni chez nous, ni chez aucune autre unité de la Ligue). C'est inquiétant quand on sait que je l'apercevais parfois jusqu'à cinq fois par jour.

"C'est calculé, a dit Armand deux jours plus tôt. Rien n'est jamais laissé au hasard. Si le Sage ne se montre pas, ce n'est pas parce qu'il est tombé soudainement malade. Cet homme est increvable."

Au fur et à mesure du temps, de nouveaux mots ont fait leur apparition dans le langage de l'Aristocrate, et l'entendre les prononcer me surprend chaque jour un peu plus. Je crois d'ailleurs que je ne m'y ferai jamais.

"C'est parce que l'État ne voit pas une seule raison de l'envoyer ici alors qu'ils savent pertinemment qu'il y a de fortes tensions, a-t-il expliqué. Ce serait stupide. Ce qu'ils pourraient faire, par contre, ce serait armer la Ville et attendre notre arrivée avec impatience, nous affamer ou tenter, par n'importe quel moyen, de nous dissuader de poursuivre le combat."

Lorsque je lui ai demandé pourquoi massacrer des hommes ne semble avoir aucune importance pour l'État, il a ri avant de soupirer et affirmer, affligé :

"Il y a encore beaucoup de jeunes dans les bases, beaucoup d'autres zones, loin d'ici, beaucoup de Patrouilles ou de futures Patrouilles. L'industrie du bébé a mis du temps à se développer, mais elle est aujourd'hui d'une efficacité redoutable. Nous ne devons en aucun cas sous-estimer tous ces facteurs."

L'industrie du bébé, une chose effrayante dont j'ai pris connaissance il y a peu, et ce grâce à Anaia, qui, prise de pitié un soir où j'étais particulièrement désespéré, a accepté de répondre à chacune de mes questions, discussion qui a dérivé. L'industrie du bébé, comme tous l'appellent, désigne le fait que des filles soient élevées jusqu'à ce qu'elles soient en âge de procréer.

Seulement considérées comme de simples récipients dans lesquels se développent des embryons, on leur donner juste assez pour survivre, jusqu'au neuvième mois, où les bébés naissent. Elles portent à nouveau un bébé, et ce jusqu'à ce qu'elles n'en soient plus en capacité. De nombreuses d'entre elles

Les petites filles sont parfois dirigées vers l'industrie du bébé, mais, généralement, les nouveaux venus sont disposés dans des unités de formation de Patrouilles, où, dans le meilleur des cas, ils évoluent et parviennent à suivre la rudesse de l'entraînement. Certains n'y arrivent tout simplement pas, et passent leur vie entière en unité de formation sans jamais être affecté au moindre poste.

Si Armand a raison, nous avons devant nous des instants des plus sombres, des plus douloureux, lors du combat final. Nous avons toujours su qu'ils le seront, seulement, cela se dessine au loin et confirme nos craintes. Ce combat, mené pour atteindre la liberté, la vraie, la seule, l'unique, pas clandestine et restreinte.

Une liberté sincère, qu'on accueillerait avec une fébrilité nouvelle. Quel espoir, pour nous, qui l'avons heurtée de plein fouet lors de notre départ de la zone, et l'avons supposée chose acquise !

Si Armand a raison, cependant, toutes les cartes sont rebattues. Nos chances de survie diminuent soudainement. Nos espoirs se consument et notre contentement disparaît : si l'État et les Marcheurs de l'Ombre sont derrière tout ça, nous n'avons presque aucune chance de nous en sortir.

Presque.

Mais nous devrons le faire.

Pour nous, pour tous ceux qui nous suivent, croient en ce projet que nous portons communément.

Parti de rien, me voilà à diriger, avec six autres adolescents, 2 432 personnes. Il me semble qu'enfin, j'ai trouvé ma voie.

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