Chapitre 43

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Après un déjeuner rapidement englouti, Anaia, Doën et moi appelons Armand pour connaître les nouvelles et recevoir les ordres.

Assis dans le gymnase, éloignés de toute personne afin d'éviter une possible trahison (nous ne sommes jamais à l'abri), la jeune fille prend le talkie-walkie et joint Armand.

- Ici Anaia, fait-elle.

- Bien reçu, répond l'Aristocrate après un temps qui me semble infini. J'ai une très mauvaise nouvelle. Baissez le son, je veux être sûr que personne n'entende

- C'est fait, affirme Anaia, de l'inquiétude perceptible dans sa voix.

Le garçon se remet à parler, sous la forme d'un grésillement, continu. Si elle semble comprendre, Doën et moi sommes largement exclus de l'échange, incapables de percevoir le moindre mot.

Je la vois blêmir, et une larme coule sur sa joue. Elle me tend le talkie-walkie, que je récupère et prends le relai.

- Armand ?

- Un massacre, fait la voix grésillante de celui-ci. C'est horrible.

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Ce matin, tous les habitants de la zone 23 553 ont été retrouvés morts. Tous.

- ...

- La seule chose qu'on a pu récupérer, c'est un message, planté avec un couteau dans la porte aux cent serrures, comme vous l'appelez. Une menace. Si nous ne cessons pas, il va arriver le même sort aux habitants des autres zones qui se sont ralliées à nous.

- Mais, s'ils le pouvaient, pourquoi est-ce qu'ils ne nous ont pas tous massacrés ?

- Excellente question.

Je peux presque entendre son sourire et voir ses yeux pétiller.

- Je suppose que c'est du bluff. Les Marcheurs de l'Ombre n'ont pas besoin d'être beaucoup pour faire des massacres, mais si leur unité a, effectivement, été remise en service il y a peu, ils ne doivent pas être nombreux et ne peuvent ainsi pas agir sur plus de trois zones. Ça expliquerait pourquoi ils ont choisi celle-ci, légèrement en retrait car construite relativement récemment.

J'hoche la tête, à peine rassuré.

- Qu'est-ce que tu comptes faire, maintenant ?

- Libérer en masse.

.oOo.

Le vent me fouette le visage, faisant danser des mèches rebelles et m'envoyant de la poussière dans les yeux. Impossible pour moi de voir quoi que ce soit dehors, alors je remonte la vitre.

A bord du camion, nous sommes prêts à obéir aux ordres d'Armand en ouvrant grand les portes aux cent serrures qui se placeront sur notre chemin, espérant qu'un maximum d'habitants, curieux, nous suive. Nous approchons, lentement mais sûrement, de la prochaine zone à libérer : la mienne.

Soudain, le camion s'arrête.

J'entends mon cœur tambouriner encore plus fort qu'avant et un important mal de ventre traduit mon stress. Que vais-je découvrir ? Seront-ils morts, eux aussi, tués par les Marcheurs de l'Ombre ? Leur zone aura t-elle été incendiée suite à une révolte ?

Je suis placé à la droite d'Anaia, qui tient le volant. Je lui jette un regard implorant. Elle le soutient, puis se détourne avec un soupir :

- C'est d'accord, vas-y. Nous n'avons pas besoin d'être nombreux pour ouvrir des portes. Par contre, tu as une responsabilité supplémentaire, qui est d'en convaincre le plus possible. C'est clair ?

- Très clair, accepté-je avec un grand sourire.

Alors que je commence à me lever et saisir la poignée de la portière pour l'ouvrir, elle retient mon bras avec force :

- Attends ! Dernière chose.

Je lève les yeux vers elle. Les siens, bruns, reflètent une réelle peur, et j'éprouve une satisfaction, coupable : ce n'est peut-être pas le meilleur moment pour ressentir ce genre d'émotion. Je ne sais même pas ce qui m'attend.

- Sois prudent.

Son regard, ferme, indique clairement qu'un refus m'empêcherait d'accéder à ma zone. Flatté malgré tout, je n'ai pas le temps de m'attarder ici. La nécessité de retrouver les miens dépasse tout et je me dégage en affirmant :

- Compte sur moi.

Mon pied touche le sol de graviers, et je sens le stress monter davantage. Après une grande inspiration, je me tourne pour faire face à la porte aux cent serrures.

La dernière fois que je l'ai vue remonte à mon départ. Ce jour-là, le Sage m'avait accompagné, et je lui témoignais encore un minimum de respect. L'après-midi même, j'avais compris qu'il n'était pas celui que l'on pensait.

J'observe le grand panneau, et, refusant de faire sauter la serrure, me conduis comme toute personne civilisée et toque.

Personne n'ouvre. Il n'y a pas le moindre bruit.

Je sens ma peur grandir, s'intensifier un peu plus à chaque seconde.

Je toque à nouveau.

Silence.

Cette fois-ci, la panique me saisit à la gorge : je saisis l'arme à ma taille, pointe le canon en direction de l'unique serrure visible de l'extérieur et presse la détente.

Boum.

Je pousse la porte avec toute ma volonté, toute ma force et parviens à la faire pivoter suffisamment, dans un grincement sinistre.

Ce matin encore, j'étais certain que j'allais aujourd'hui retrouver les miens, seulement, toute certitude est ébranlée et cette assertion laisse progressivement place au doute.

J'entre.

La zone est vide.

Paralysé par la peur, je dois faire un effort surhumain pour parvenir à m'avancer, d'une lenteur extrême, vers les dortoirs.

C'est impossible... Il n'ont pas pu...

Je cherche, au sol, sur les murs, toute trace de combats ou d'assassinats, mais ne vois rien. Ils n'ont pas pu mourir. C'est impossible.

Je refuse de l'admettre.

Courant presque, je pousse la porte qui mène au couloir des chambres. Je ne m'intéresse pas aux premières, ni celles de droite, ni celles de gauche. J'attends d'être arrivé presque au bout pour tambouriner contre celle derrière laquelle s'étendait la chambre de Liago, comme un possédé, et hurler :

- Ouvrez ! OUVREZ !

Seul un silence de plomb me répond.

Sans plus un bruit, je me laisse glisser le long de la porte qui demeure close. Non, non... Alors comme ça, on part sans dire au revoir ? J'ai toujours cru que les adieux était un passage obligé, dans une vie. Je suis parti, mais j'ai dit au revoir. Ils n'ont pas pu faire ça, ils n'ont pas pu...

Le silence vient augmenter la douleur, appuyant, confirmant, mes doutes, mes peurs. Apparemment, j'ai toujours été le seul à me soucier de cela.

Peut-être ont-ils eu la certitude que j'avais péri. Après tout ce que j'ai vécu, j'aurais pu y croire, moi aussi, sans aucun effort d'imagination.

- C'est Hérion, soufflé-je en enfouissant ma tête entre mes mains, la première larme roulant sur ma joue, suivie presque immédiatement par d'autres.

Soudain, quelque chose me fait relever la tête. Un bruit, un mouvement : une porte a pivoté sur ses gonds, laissant apparaître un visage connu.

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