Chapitre 47

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La dernière heure de trajet est passée à une vitesse incroyable.

Tantôt riant, tantôt pleurant mais toujours avec tendresse, Edina (la mère d'Elven) et moi avons partagé les souvenirs qu'il nous reste de son fils, qui a aussi été mon ami, et a eu un rôle très important dans mon parcours.

Mais Anaia, la mine sombre, interrompt cet instant magique et me fait signe de la suivre. Docile, j'obéis, cherchant ce qui pourrait la pousser à cesser de conduire le camion pour venir me chercher. Actuellement, les autres jeunes de la ligue doivent l'attendre. Mais pourquoi moi ?

- On a un problème ? demandé-je, tentant de suivre son rythme rapide, bousculant de nombreux habitants et m'excusant tous les deux pas.

- Non, aucun, fait-elle avec sarcasme.

D'accord, elle m'en veut. Il faut que j'essaie de tempérer sa colère pour réussir à comprendre ce qu'il se passe.

- J'ai compris que tu me détestais, mais c'est pas le moment d'exprimer ta haine, ok ?

- Je ne te déteste pas.

Je lève les yeux au ciel. Mais oui, bien sûr.

- Bon, qu'est-ce qu'il y a ?

- Des sacs.

- Pardon ?

- Un énorme tas de sac à dos nous bloque le passage, comme une muraille. Ça va nous prendre un temps fou à déblayer pour que le camion passe.

Bouche-bée, je tente d'imaginer une muraille de sacs à dos, sans succès. En quoi est-ce que ça peut nous bloquer la route ?

- Alors on a besoin d'être tous là pour prendre une décision censée et que tous soient d'accord, conclut la jeune fille.

- On ne peut pas la contourner, cette barrière ?

Elle laisse échapper un petit rire.

- Tu nous penses vraiment si bêtes ? A droite et à gauche, il y a des rivières, et le courant pourrait emporter le camion. On ne sait pas depuis quand elles nous entourent, mais si on cherche, ça pourrait nous prendre des heures.

Je refuse d'être vaincus par des stupides sacs à dos, avant même que le moindre combat ne débute, avant même qu'on aie pu faire nos preuves. Je laisse échapper un soupir.

- Pourquoi est-ce que c'est toi qui as été chargée de m'en parler ?

- Personne ne voulait le faire, assène t-elle. Moi non plus, d'ailleurs, mais j'ai pensé que j'étais la plus apte à te ramener.

Je suis immédiatement blessé par ces mots. Que ce soit la seule à pouvoir me ramener est une chose, mais qu'aucun ne veuille le faire en est une autre.

Je ne réponds rien, de toute façon trop essouflé. Cependant, nous atteignons le début du cortège et je distingue, droit devant, une masse sombre qui s'élève au-dessus des têtes.

Nous ralentissons le pas jusqu'à nous arrêter.

De quatre mètres et d'une longueur qui est impossible à estimer d'ici, cet obstacle m'interroge. Des dizaines, des centaines de sacs sont empilés pour former un mur, à la manière de briques.

Mais l'un d'entre eux retient mon attention.

Au milieu, à mon niveau, noir, il un bracelet brésilien attaché à la poignée.

Je m'avance, lentement, sans porter attention aux réprimandes d'Anaia. Je le touche du bout des doigts.

Je ferme les yeux douloureusement. Tout est calculé. Je ne pourrai pas retrouver mes affaires personnelles. On souhaite nous affaiblir physiquement mais aussi moralement.

- Qu'est-ce que c'est ? questionne la jeune fille. Tu as déjà vu ce sac ?

- Je ne sais pas comment ils ont fait, mais ce sont les nôtres, répond Tieden avec amertume en se plaçant à mes côtés. Ceux qui contiennent les affaires personnelles auxquelles on a été forcés de renoncer lors de notre arrivée à la Base. Le mien est juste ici.

Il désigne un sac, à la droite du mien et l'effleure à son tour.

- Récupérez-les ! s'exclame Doën avec enthousiasme, puisque, de son point de vue, tout est si simple.

- Impossible, affirme le garçon roux. On devrait tous les retirer et ça prendrait des heures. C'est un message qu'on nous fait passer. Pour avancer, nous devons renoncer.

- Mais, si on s'y met à plusieurs... insiste le jeune homme.

- Non, le coupé-je avec autorité. C'est impossible, t'as entendu ?

Un ton que je regrette aussitôt : son regard, tremblant et soumis, trahit son respect. Mais un respect permis par la peur, pas de quoi me rendre fier.

- Bon, coupe Brava, la seconde fille du groupe de huit, qu'est-ce qu'on fait, du coup ?

- On porte, proposé-je.

- En récupérant quelques uns des sacs en haut du mur, renchérit Tieden. On abandonne le camion ici. Il allait nous encombrer, de toute façon. C'est mieux comme ça.

- Qui est pour ? interroge Anaia.

Tous levons la main. Tous, sauf Doën, qui la garde le long de son corps.

- Doën ? observe la jeune fille. Qu'est-ce que tu proposes ?

- Qu'on retire les sacs. On est nombreux, et...

- C'est quand même fou d'être têtu à ce point-là ! le coupe mon ami avec colère. C'est quoi ton but, dans la vie ? Qu'on arrive trois heures après les autres,  quand le combat sera fini ?

- Calme toi, tente de le raisonne Anaia. Mais Tieden a raison, Doën. On ne peut pas se permettre d'avoir le moindre retard.

Le garçon visé rit, désabusé.

- Bah ouais, c'est clair, pourquoi on m'écouterait, pour une fois ? Ce serait bête, quand même, de me porter la moindre attention !

Dans la plus totale incompréhension, je jette un regard aux autres jeunes, et remarque qu'ils semblent aussi perdus que moi. Pourquoi est-ce qu'il fait une crise juste au pire moment ?

- Écoute, mon pote, commence Tieden, on veut bien t'écouter, mais là t'as tort donc ça sert à rien que tu parles pour rien dire. On a de l'Aristo à tuer, nous.

Sur ces mots, il s'éloigne en direction du camion et commence à le décharger, rapidement imité par Anaia et moi.

- Allez les gars, on va pas se laisser avoir par un taupe, pas vrai ?

- Une taupe ? répété-je, incrédule.

- Ouais, je crois bien que c'en est une. Je vois aucune autre raison logique qui expliquerait le fait qu'il pète un câble alors qu'il a parfaitement tort.

- On est tous fatigués, le défend la jeune fille. Et puis, il faut se rendre à l'évidence. Qui le choisirait lui, comme taupe ?

- Je sais pas, mais on peut toujours être surpris.

Soudain, surgissant de nulle part, Doën agrippe Anaia et lui met un couteau sous la gorge, provoquant la stupeur générale.

Tout est devenu silencieux.

La lueur, dans les yeux du garçon, expriment une rage sans nom. Une haine sincère, profonde, l'anime tandis que la jeune fille, malgré son courage habituel, ne peut cacher sa panique.

Je sens mon cœur battre à tout rompre face à cette situation que je ne contrôle pas du tout.

Tieden avait raison.

Il y a une taupe parmi nous et elle s'appelle Doën.

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