Chapitre 48

5 minutes de lecture

"Je sais me battre", pensé-je, comme tentant de me rassurer. Sauf que ce n'est pas moi qui ai besoin de me rassurer, mais Anaia.

C'est encore pire.

- Videz tout le chargement dans la rivière ! ordonne Doën d'une voix tremblante. Au moindre signe suspect, je tire !

Mes yeux accrochent à ceux de la jeune fille, et, malgré la menace du couteau contre sa gorge, cette dernière me fait comprendre d'obéir.

La mâchoire serrée, je me dirige vers le camion et commence à décharger, lentement suivi par Tieden et les autres jeunes. Alors que je me tourne vers le traître, je vois qu'Anaia cherche à attirer mon attention. Son regard, tout d'abord fixe, plonge ensuite soudainement vers le bas.

Je me retourne vers le camion et commencer à chercher tandis qu'elle m'encourage, ses yeux parlant pour elle. Je glisse mes mains sous les lourdes caisses de matériel, fébrilement. Tieden vient se placer à ma droite.

Son regard, interrogateur, croise le mien. Il a compris.

Il soulève deux caisses, tandis que je me mets sur le ventre pour atteindre le fond du coffre. Ma main touche quelque chose de froid et de lourd. Une arme. Chargée. Elle avait tout prévu.

Sans me précipiter, je m'en empare et, à l'attention d'Anaia, hoche la tête, presque imperceptiblement, pour lui faire comprendre que j'ai trouvé sans alerter Doën. Tieden s'empare d'une caisse, je l'imite et nous nous dirigeons vers la rivière.

Mes yeux ne quittent pas le garçon à la lame. Il est trop près de la jeune fille, jamais je ne pourrai tirer sans la blesser.

- Plus vite ! s'exclame celui-ci en pointant la lame vers nous, comme pour nous effrayer.

Heureusement qu'il est stupide.

Anaia saisit cette chance pour lui faire une clef de bras, la lame tombe au sol, elle s'y jette à plat ventre tandis que je lâche la caisse et, pointant le pistolet sur Doën, presse la détente, le coup part et atteint le garçon au ventre. J'entends, derrière moi, dans la foule, des cris de surprise, peut-être d'horreur.

Les mains tremblantes, mes yeux dans ceux du garçon, je recharge le pistolet, tire une seconde fois, il s'étale au sol dans un bruit sourd, je recharge une troisième fois. Alors que je compte poursuivre jusqu'à vider l'arme, les bras de Tieden viennent m'entourer doucement, m'en empêchant.

- Hé, calme-toi, souffle t-il. Il est mort.

Je sens mes jambes me lâcher et tombe à genoux, alors que mon ami relâche son étreinte. Il me fait face, pendant qu'Anaia vient en courant vers moi Je commence à pleurer, le corps secoué de sanglots incontrôlables.

Mon ami me prend dans ses bras, sa carrure imposante m'apportant un certain réconfort.

- T'inquiète pas, fait-il avec une tendresse insoupçonnée. Pleure, c'est normal de relâcher aussi près du but.

Une minute passe, peut-être deux. Je prends conscience du tee-shirt trempé du garçon et m'écarte vivement.

- Bah qu'est-ce qu'il y a ? demande t-il avec un sourire réconfortant.

- Non, rien.

Je lui adresse à mon tour un sourire, faible.

- Merci.

L'étonnement visible sur son visage, il se détourne et assène, en direction des autres jeunes, nous entourant :

- Cet abruti aura réussi à nous faire perdre notre temps. Allez, on va porter des armes, grimper ces putains de sacs et atteindre la Ville avant le coucher du soleil.

M'approchant du mur, je saisis mon bracelet brésilien et le dénoue. Je ne peux pas laisser un souvenir d'enfance croupir à côté du cadavre d'un ennemi. Alors que j'entoure mon poignet avec, Tieden s'en empare et demande :

- Ça va là, c'est pas trop serré ?

- Non, non, c'est parfait.

- Cool.

Avec application, il fait une petite boucle et finalise le nœud.

- Voilà, j'espère que ça va tenir.

Je regarde mon poignet avec satisfaction. Offert par Sloane pour mes dix ans, ce bracelet me ramène aussi à Tieden. Plus le temps passe, plus il gagne de la valeur.

                                                                                  .oOo.

Le mur, long d'une dizaine de mètres, a été franchi par l'entièreté du groupe en quarante-cinq minutes, un temps plus court que celui estimé. Ayant enfin retrouvé la terre ferme, nous sommes forcés d'accélérer le pas.

Le rendez-vous étant fixé aux alentours de dix-neuf heures, nous avons encore du temps devant nous, malgré les précieuses minutes perdues.

                                                                                  .oOo.

Le soleil commence à décliner à l'horizon mais il fera nuit noire dans deux heures. Nous devons profiter du peu de lumière qu'il reste pour attaquer. Sans, nous serons désavantagés en raison de notre méconnaissance du terrain et, face à nous, les Patrouilles ne rencontreront aucun problème.

C'est donc pour les mettre en difficulté que nous avons choisi cette heure de la journée, même s'il faut admettre qu'elle colle parfaitement à l'estimation de notre heure d'arrivée.

J'ai été surpris par le nombre que nous sommes. Le groupe d'Armand a libéré des zones de Paysans tandis que Vincius était, lui, dans une unité qui a ramené des Ouvriers en grand nombre, et ça a été des Soldats qui ont fait leur retour aux côtés de Lyl. Les Poussiéreux, eux, dispersés dans les zones - exceptées celles des Paysans-, apparaissent dans chaque groupe.

Debout, entouré de Lyl, Anaia, Tieden et moi, Armand affronte la foule du regard.

- Nous sommes dix-mille-cinq-cent-trente-quatre ce soir, ensemble réunis pour une cause commune, déclare l'Aristocrate d'une voix forte pour que tous l'entendent.

Je le soupçonne d'improviser ce nombre, bien qu'approximativement, nous devons nous en rapprocher. Sans le connaître, j'aurais pu supposer qu'il n'a rien préparé, mais, pour l'avoir côtoyé, je vois dans ses yeux illuminés qu'il attend ce jour depuis longtemps. Très longtemps.

- Droit devant, poursuit-il en faisant un large geste de la main, accompagnant ses mots, à dix minutes d'ici s'étend la Ville, son immensité en largeur, mais surtout en hauteur. Ses habitants nous attendent, tout le laisse à croire. Tous sont prêts à défendre leur petit appartement, tous croient être motivés.

Une colère sincère danse dans ses yeux et je devine qu'être un Aristocrate l'a fait souffrir bien plus que ce que l'on pourrait croire. Il faut dire que se savoir responsable de la souffrance de milliers de personne sans pouvoir agir doit être insupportable.

- Comme lors des jeux d'enfants. Le plus dur n'est pas d'attaquer mais de fuir. Lorsqu'ils nous verront déterminés comme nous ne sommes, lorsqu'ils comprendront qu'ils vont perdre, il sera déjà trop tard. Nous les aurons vaincus.

Un silence s'ajoute à l'atmosphère tendue, électrique.

- Ce combat est le combat de notre vie. Même si nous échouons, nous n'aurons aucune honte et périrons la tête haute.

Sous les regards impatients, cette colère, contenue, va exploser. Il le sait, et lâche enfin :

- AUX ARMES !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Adèle Delahaye ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0