Chapitre 50

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Tieden me fait un signe de la main et je quitte ma cachette pour le rejoindre.

Ce, aussi vite que me permet la douleur : en descendant du toit du bâtiment pour atteindre la rue, je me suis pris la gouttière et, emporté par mon élan, ai été forcé de renoncer à revenir intact. Mon tee-shirt, tâché de sang sur l'avant à cause de cet évènement, est aussi couvert de transpiration. Bien que la nuit se rapproche, la chaleur ne diminue pas et le stress combiné à l'effort n'arrange pas ma situation.

- Ça va ? s'enquiert le garçon.

- Ouais, t'inquiète. Je saigne presque pas.

Son regard, inquiet, m'indique que je ferais mieux de mettre au moins un bandage. Sauf que nous sommes dans la Ville et que notre temps est compté.

Pour ne pas être vus, nous sommes contraints de nous accroupir derrière les véhicules rangés sur les bords de la route, tout en faisant attention à ne croiser personne.

Malgré l'attaque, imminente, la vie semble s'y dérouler comme d'habitude, et je me demande si les habitants ne sont pas au courant ou s'ils laissent, tout simplement, les Patrouilles se charger d'éliminer cette menace. Les tours sont illuminées de haut en bas et, à travers leur vitrage parfait, on peut apercevoir des personnes s'affairer. Des voitures, silencieuses, circulent les unes derrière les autres dans les larges rues et des boutiques sont visibles ici et là, leurs enseignes brillant au loin jusqu'au bout de l'avenue.

Alors que je sors de derrière une voiture rouge, je tombe nez-à-nez avec un petit garçon, qui doit avoir aux alentours de sept ans. Ses grands yeux bleus s'écarquillent en me voyant. Vêtu d'un superbe uniforme blanc et bleu, ses cheveux blonds tombent en boucles sur ses épaules. Il a des joues rouges et fait facilement deux têtes de moins que moi.

Tandis qu'il reste la bouche ouverte, sans rien dire, je m'accroupis et l'interroge :

- Excuse-moi, est-ce que tu sais si nous sommes encore loin du centre général d'informations ? Nous souhaitons seulement poser quelques questions à Monsieur Siegel.

- Je veux un petit cheval, fait-il sans porter attention à ma question.

- Un petit cheval ? répété-je.

Il hoche la tête avec conviction, les sourcils froncés venant accentuer l'importance de sa demande. Tieden, arrivant à l'instant et comprenant ma situation, me murmure à l'oreille :

- C'est un gosse de riche, Hérion, faut pas faire gaffe. Viens, on s'en va.

Mais je l'ignore et ne le suit pas lorsqu'il agrippe mon bras pour s'en aller :

- Comment est-ce que tu t'appelles ?

- Martin.

- MARTIN ! hurle quelqu'un.

Mon ami et moi nous retournons vivement pour faire faire à une femme, sans doute la mère de l'enfant. Ses cheveux, soigneusement coiffés en un chignon, sont d'un blond plus sombres que ceux de Martin. Sa robe, en soie blanche, est en mouvement en raison du léger vent qui souffle et a dû faire l'objet d'heures de travail : cintrée, avec les manches larges qui se resserrent au niveau des poignets et des volants en dentelle.

Elle nous fixe de ses yeux clairs, tandis que son fils la rejoint et entoure sa jambe de ses petits bras. La femme caresse les boucles blondes de l'enfant.

Je me sens soudain exclu. Avec mon uniforme de Patrouille, je devrais être au front, pas dans la Ville. Seulement, ces uniformes nous offrent un avantage :

- Excusez-moi, commencé-je, sauriez-vous où se trouve le Spiegel Building ?

Elle penche la tête et nous adresse un sourire.

- Seriez-vous des Patrouilles ?

J'hoche la tête en signe d'affirmation, plutôt rassuré par cette réaction. Peut-être même qu'il se dessine un moyen d'entrer dans la tour dont nous avait parlé Armand.

- Absolument. Je suis Véga, me présenté-je le plus solennellement possible, et voici Vincius Lei. Je suis son adjoint.

Je jette un rapide coup d'œil à Tieden et vois son visage de décomposer lorsque j'annonce notre fausse identité. Je ne sais absolument pas si qui que ce soit s'appelle Véga, mais, ce qui est certain, c'est que je ne peux pas passer pour un homme dont le nom inspire la peur chez les Patrouilles. Seul mon ami en a l'étoffe.

Celui-ci se reprend d'ailleurs bien vite, affichant un sourire satisfait, et accompagnant à cela quelques mots :

- Enchanté.

- Moi de même. Je suis surprise, je ne vous pensais pas si jeune !

Son enthousiasme ne provoquant aucune réaction, elle poursuit, toujours avec courtoisie et bonne humeur :

- Vous cherchiez donc le Spiegel Building ?

J'hoche la tête en signe d'affirmation.

- J'y allais justement, quand Martin a décidé de faire demi-tour... Que diriez-vous que nous nous y rendions ensemble ?

- Je... débute Tieden.

- Excellente idée, le coupé-je en affichant un sourire ravi.

Nous reprenons donc notre marche, cette fois-ci sans interruption et sans avoir besoin de se cacher derrière la moindre voiture. Droits, très peu à l'aise, nous suivons la femme, son fils tenu par la main.

Arrivés au croisement suivant, Tieden pointe du doigt un petit écriteau, fixé au mur.

- Allée Évrard Spiegel, lit-il. On y est.

Droit devant s'élève un bâtiment des plus improbables et je suppose aussi qu'il s'agit d'une prouesse architecturale. Construit avec des sphères de verre de couleurs différentes, empilées, il contient une soixantaine d'étages mais surtout les bureaux des hommes les plus importants du système.

Chaque sphère au plafond solide s'est vue attribuer une couleur liée à un thème et est reliée par une espèce de pont à un bâtiment environnant. Au-dessus de l'entrée - une sphère de verre mi-opaque mi-transparente, composée ici et là de pierre blanche, trouée par une porte de métal gardée par deux femmes que je suppose être des Poussiéreuses - sont disposées des larges lettres lumineuses qui indiquent "Spiegel Building".

Je ne peux réprimer un soupir admiratif, auquel la femme réagit :

- C'est la première fois que vous venez ?

- Moi, oui.

- Mais votre ami non, affirme t-elle. Je ne sais pas si vous vous souvenez de moi, j'ai pris votre appel lorsque vous avez indiqué souhaiter rencontrer Monsieur Spiegel.

Je sens Tieden très mal à l'aise mais, cette fois-ci, je n'y peux rien. C'est à lui de répondre, pas à moi. Allez. Une petite improvisation.

- Ah oui, c'était vous ? commence t-il de manière très peu naturelle, avant de se corriger :

- Je veux dire, bien sûr que c'était vous. C'est drôle, vous n'avez pas la même voix en réalité et au téléphone.

- Vous non plus, rit-elle. D'ailleurs, vous êtes en avance, non ?

Je blêmis. Notre "allié", la Patrouille, Vincius Lei avait vraiment pris rendez-vous aujourd'hui, seulement un peu plus tard. Je sens ma colère monter à l'égard de ce traître, mais ce n'est pas le moment. Nous risquons fortement de le croiser, et de nous mettre dans une situation délicate... Mais il est trop tard pour faire marche arrière.

- Ah... Ah bon ? bégaie mon ami, pris au dépourvu.

- Bien entendu, reprend la femme, vous avez une demie-heure d'avance.

- C'est parce que j'aime bien avoir un peu de temps pour me poser, explique Tieden si sérieusement que j'aurais pu y croire. Et puis, pour moi, être en avance est très important. C'est une question de respect.

- Vous avez bien raison. Malheureusement, tous les hommes ne pensent pas comme vous. Voyez, certains arrivent même en retard !

- Ah oui ? Quels impolis !

Nous voilà arrivés devant l'entrée du Spiegel Building. Alors que la femme passe, Martin, silencieux, lui tenant toujours la main, une des deux Poussiéreuses nous interpelle :

- Attendez !

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