Chapitre 51

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- Papiers, ordonne t-elle en tendant la main vers nous.

Tieden et moi échangeons un regard paniqué avant de nous tourner vers la femme, qui attend quelques mètres plus loin.

- C'est la règle, annonce celle-ci, un air contrit sur le visage. Ici, tout le monde me connait, je n'ai plus à présenter le moindre justificatif.

- Ah, bien sûr, fait mon ami, cherchant dans ses poches comme s'il espérait y trouver, cachée, une fausse carte d'identité.

C'est ça, le hic de ne pas suivre le plan d'Armand. Lui nous avait conseillé d'accéder par effraction, et non pas en toute légalité, par la porte d'entrée. Peut-être aurions-nous dû nous méfier un peu plus.

- Je crois que je les ai laissées au camion, déclaré-je, faussement mortifié.

- Vous avez du temps devant vous, déclare la femme. Si vous souhaitez, je pense que vous pouvez y retourner...

- Bonne idée, approuve Tieden en me prenant le bras pour faire demi-tour.

Je peux clairement lire dans ses yeux "Allons-nous en de ce plan foireux et faisons comme prévu", mais la femme nous retient :

- ... Mais, puisque ce serait dommage que Monsieur Spiegel ne vous reconnaisse pas à votre juste valeur en pensant que vous êtes comme tous les autres, à arriver en retard, je pourrais vous faire rentrer. Qu'en pensez-vous ?

Merde.

- Ce serait fantastique, valide le faux Vincius avec un sourire forcé.

- Excusez-moi, tente t-elle donc, je suis Elda Toscani et ces deux messieurs sont avec moi. Est-ce qu'il serait possible de les faire entrer ?

La seconde Poussiéreuse tend une feuille et un stylo.

- Vous devez signer une déposition, indique cette dernière d'une ton morne, et préciser l'identité de ces deux personnes qui vous accompagnent.

La femme s'exécute, pleine de bonne volonté, tandis que Tieden et moi la maudissons en notre for intérieur. Comment pourrons-nous duper Monsieur Spiegel ? Nous échouerons. Il faudrait donc que l'on parvienne à semer le désordre avant d'atteindre le bureau de celui-ci.

Ce qui pourrait nous avantager serait l'absence de système de sécurité, comme nous l'a dit Armand. Selon lui, ce bâtiment est une vraie passoire. Effectivement, sans faire face à la moindre révolte, ils n'ont jamais rencontré ce genre de nécessité.

A moins que, témoins de la fuite de l'Aristocrate, ils aient investi et qu'alors tous nos plans tombent à l'eau.

La Patrouille vérifie la déposition et s'écarte pour nous laisser entrer. Les portes s'ouvrent, découvrant un hall aussi magnifique que le bâtiment.

Le rez-de-chaussée est encore plus impressionnante lorsqu'on est dedans. Le verre et la pierre se relaie pour former une sphère parfaite, de manière irrégulière, ce qui en fait, je pense, tout son charme.

Nous avançons et, derrière une voute en pierre blanche, rejoignons deux énormes escaliers de marbre qui se retrouvent pour n'en former qu'un, bordé de bustes, sculptés, d'un réalisme sans nom, fixés contre les morceaux de mur faits en pierre. Puisqu'il s'agit du rez-de-chaussée, je suppose qu'il n'y avait aucune obligation de poids quand à la tenue de la structure. Des colonnes soutiennent le tout, vertes et noires, et deux tableaux sont aussi visibles. Ces paysages représentant tous deux la mer, encadrés d'or, accompagnent parfaitement le tout.

Le souffle coupé, j'aperçois la femme sourire avec satisfaction :

- Ici, le thème est porté autour de l'antiquité gréco-romaine, indique t-elle. Malgré tout, nous avons choisi d'ajouter de la modernité à cette pièce pour ne pas trop se rapprocher de cette époque poussiéreuse.

Nous gravissons les marches du second escalier, qui s'enroule autour d'une large barre métallique et prenons de la hauteur, voyant à notre droite le sol s'éloigner à travers la sphère et les lumières devenir plus petites à chaque marche.

- Vous avez l'air fascinés, s'amuse t-elle. Je suis ravie que cela vous plaise !

Un, puis deux, trois étages, nous poursuivons notre escalade. Essoufflée, la femme a pris son fils dans ses bras et s'agace :

- Une semaine que le Grand Ascenseur est en panne ! Ce serait bien qu'ils le réparent avant votre départ, vous pourriez le tester.

Enthousiaste, j'assure avec conviction que ce serait une expérience très enrichissante. A croire que ma nouvelle identité a une influence sur ma manière de m'exprimer !

Au fur et à mesure que nous évoluons dans la structure, nous traversons des styles très différents, qui, je pense, correspondent à des cultures, celles qui différenciaient les États lorsqu'ils étaient encore indépendants.

Les œuvres d'arts se mélangent à des aspects plus traditionnels de la vie d'avant, et, bien que je n'aie jamais visité de musée de ma vie, je pense que cela est ce qui s'en rapproche le plus. Parmi ces objets de la vie quotidienne, on retrouve des vêtements, et je meurs d'envie de les essayer. Si nous remportons cette bataille, je me fais la promesse d'en récupérer et de les amener avec moi.

- Nous arrivons, renseigne la femme en reposant Martin par terre.

Nous sommes dans une sphère de verre brun. Des morceaux de bois s'y ajoutent et remplacent la pierre du rez de chaussée. Des arbres poussent partout autour de nous et forme des bancs ou des tables, à la manière d'une salle d'attente. Elle s'assoit et nous l'imitons, subjugués, une nouvelle fois, par la beauté du lieu.

Dans une petite coupelle, sur la "table" placée au centre de la pièce se trouvent des figurines représentant des petits soldats. Martin s'y précipite, s'en empare et joue avec, au sol.

Je me sens très mal à l'aise. S'il savait que voir des amis mourir n'a rien de glorieux, rien d'héroïque. S'il avait conscience des horreurs auxquelles participent sa maman et son papa, sans doute l'entièreté de sa famille, peut-être qu'il ne jouerait plus à faire la guerre, mais que, comme moi dans ma zone, il préfèrerait les loups touche-touche ou les éperviers.

Illusion. Jamais quiconque de son milieu ne voudra jouer à ce genre de jeu, et on n'y joue pas tout seul.

La porte en bois massif, à notre droite, s'ouvre soudain, laissant place à deux hommes à la carrure d'armoires à glace vêtus de costumes noir et blanc et un troisième, plus petit, plus mince. Monsieur Spiegel.

Le directeur du building mâche un chewing-gum, chose relativement insupportable compte tenu du silence régnant dans la pièce. Il est vêtu d'un costume à carreaux multicolores trahissant son côté tordu, et, en-dessous, une chemise assortie. Ses cheveux, entièrement blancs, sont mis sur le côté avec soin. Il nous adresse un grand sourire.

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