Chapitre 52

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- Ah ! s'exclame Spiegel lorsque nous faisons notre entrée. Bienvenus ! Asseyez-vous donc !

Je remarque que les deux gardes du corps sont armés, et, alors que de nombreux doutes s'installent en moi, les deux colosses ferment la porte et se placent devant, comme pour éviter toute évasion avant la fin de la discussion. Je déglutis avec difficulté. Si quoi que ce soit tourne mal ou si nous ne parvenons pas à agir, la seule issue est close. "Rapidité" sera le maître mot.

La pièce est aménagée avec un large bureau noir, au centre, derrière lequel est placé un siège de la même couleur et qui semble d'ailleurs particulièrement confortable. L'homme aux cheveux blancs va s'y installer tandis que la femme reste debout à sa droite. Nous nous installons pour leur faire face, notre délicat postérieur posé sur une banquette moelleuse.

Le long du mur sont affichés des crânes humains, chacun assortis d'une arme et d'un petit écriteau - le nom du mort. Je me sens soudainement devenir nauséeux.

Il nous regarde avec bienveillance - une feinte, évidemment. Cet homme commet des massacres de masse et, en toute logique, est dans l'incapacité la plus totale d'éprouver la moindre once de complaisance. Son sourire me fait froid dans le dos avant de quitter toute chaleur lorsqu'il s'adresse à nous :

- Hérion et Tieden, je suppose.

Aussitôt, je me sens mal. Comment cet homme connaît-il notre identité alors que nous avons tout fait pour la cacher ? Est-ce qu'ils ont des caméras ? La femme savait-elle qui nous étions avant de nous faire rentrer ? Sommes-nous tout simplement tombés dans un piège ?

Nous voyant totalement perdus, il esquisse un sourire satisfait avant de développer :

- Amand nous avait dit que ce serait sans doute vous qu'il enverrait.

- Armand ? répète Tieden d'une voie blanche, persuadé, comme moi, d'avoir mal compris, mal entendu.

- Bien sûr ! Il est de notre côté. Pourquoi, vous n'étiez pas au courant ?

Alors, depuis le début, nous avons placé notre confiance, notre vie entre les mains de gens qui ne nous ont jamais réellement considéré comme autre chose que des Soldats, des obstacles, des ennemis, ce que nous étions avant de prendre conscience du fonctionnement de cette société. Je refuse d'y croire.

Notre mine déconfite parle pour nous.

- Fascinant... souffle l'homme, m'envoyant dans la figure une vague d'air mentholé.

Il se met à me tourner autour, à la manière d'un zoologue rencontrant pour la première fois un spécimen rare.

- Anaia et Lyl aussi ? demandé-je, animé par la nécessité de savoir.

- Non, répond t-il à mon plus grand soulagement. Armand avait besoin de personnes pour l'accompagner, pour survivre et être crédible. Il s'est donc lié d'amitié avec eux et leur a proposé son plan d'évasion. Chaque jour, il plantait dans leur tête une petite graine de révolution. Chaque jour, les Poussiéreux se sentaient un peu plus proches du garçon, et, ainsi, deux ans plus tard, ils ont quitté la Ville.

Pourquoi est-ce qu'il ressent la nécessité de nous dire cela ? Peut-être pour que l'on perde tous nos moyens. En clair, exactement ce qu'il se passe actuellement.

Mon ami exprime à présent une hargne sincère :

- Mais quel est votre intérêt à faire ça ?

- Organiser une révolte, un combat, nous mène à affronter une situation à laquelle nous pourrions faire face à l'avenir. Ainsi, nous vérifions de nombreuses choses, dont le niveau de qualification des Patrouilles.

Je sens tout espoir s'envoler et ressens comme un gros coup derrière la tête. L'entièreté des explications tient debout. Le fait qu'Armand soit avec eux expliquerait un grand nombre de choses.

Les sacs à dos, celui de Tieden et le mien, puisque l'Aristocrate connaissait notre numéro de zone. L'attaque de la plage. La construction d'une base souterraine en si peu de temps. Jamais je ne m'étais demandé comment il était possible qu'ils aient rejoint l'île, s'ils n'étaient qu'une trentaine. Sûrement pas à la nage. Je demeure assis, tête baissée, consterné par ma propre bêtise.

- Alors vous n'avez rien soupçonné, poursuit le directeur du building, toujours aussi inquiétant.

- Il y avait des signes avant-coureurs, affirme Tieden, la voix tremblante.

L'homme penche la tête vers la gauche et le fixe de ses yeux sombres, comme s'il accordait une sincère importance aux paroles de mon ami. Foutaises.

- Et quoi donc ?

- La... La Patrouille. S'il ne travaillait pas pour vous, Armand l'aurait exécuté. Toute personne normale est beaucoup trop prudente pour accepter un assassin dans son groupe.

- Intéressant... commente Monsieur Spiegel, le même air bizarre sur le visage. Ce qui est drôle, c'est que ce jeune homme n'a jamais été parmi nous. C'est une Patrouille, certes, mais nous n'avons jamais réussi à le joindre. Il vous a d'ailleurs sauvé la mise, il me semble, à la base de Maza Upe.

- Effectivement, reprend Tieden, comme si discuter pouvait nous laisser la moindre chance de survie. Le fait que son nom inspire le respect chez les Patrouilles nous a marqués et a éveillé de la méfiance à son égard, bien que ça n'ait apparemment pas été juste.

- Son nom ? Quel nom ?

- Vincius Lei.

L'homme part d'un rire sonore, et tape des mains, ravi, comme toute personne devant un spectacle particulièrement réjouissant. Sauf que pour moi, cette discussion n'est qu'horreur.

- Mais enfin, fait-il en essuyant une larme de rire au coin de son œil, il ne s'appelle pas Vincius Lei !

Mon ami et moi échangeons un regard, interloqués. Toutes nos intuitions étaient mauvaises : nous avons soupçonné un innocent et jamais nous ne lui avons posé la moindre question à ce sujet, égoïstement confortés dans l'idée que nous avions forcément raison.

- A qui appartient ce nom, alors ? questionne le garçon roux, une sincère inquiétude dans la voix.

- A un de mes généraux, mais il se déplace très rarement. Il souffre d'arthrose, et passe le plus clair de son temps allongé à lire.

Il esquisse un sourire satisfait.

- Voilà pourquoi nous avons eu la vérification de votre identité lorsque vous avez annoncé vos pseudos respectifs à Elda. La finesse, jeunes gens, la finesse ! Votre ami en était dépourvu, vous également.

- Vos Patrouilles n'en ont pas non plus, réplique le garçon roux.

- En effet, mais eux ne s'en sont jamais cachés.

Je vois Tieden serrer les dents. Il faut avouer qu'il n'est jamais agréable de se faire cracher dessus, et ce devant des gens que l'on rencontre pour la première fois de notre existence.

- Qu'est-ce que vous comptez faire de nous ? interrogé-je le plus calmement possible.

Quitte à mourir, autant mourir dignement. Quitte à avoir des derniers mots, autant les prononcer avec panache.

- Je ne sais pas encore, répond l'homme en toute honnêteté. Vous tuer, c'est une certitude, mais dans quelles conditions... L'entièreté de la question est là.

Je déglutis avec difficulté, tandis qu'il observe ses ongles parfaitement manucurés.

- Fusillés, je suppose. Votre exécution fera plaisir aux Sujets et montrera l'exemple au cas où des Poussiéreux aient envisagé la moindre révolte, la moindre petite escapade.

Il y a quelque chose qui cloche.

- Pourquoi ne pas nous tuer maintenant ?

- Ce sera plus amusant, demain tu ne crois pas ? Vous ferez un beau spectacle.

- Je ne trouve pas la fusillade très spectaculaire, intervient la femme, Martin jouant toujours avec ses petites figurines à côté d'elle.

Je n'en reviens pas : entourés d'un sadique et de son équivalent féminin, nous sommes en train de discuter des conditions de notre mort ?

- Hum, effectivement, approuve l'homme, pensif. Que diriez-vous d'un écartèlement ? Ça sera sans doute plus enthousiasmant.

Elle approuve d'un sourire chaleureux et il tape dans ses mains avec bonne humeur. Mais quels déséquilibrés..!

- Bien ! Maintenant que nous avons réglé ces petits détails logistiques, je vais vous laisser.

Accompagnant ses mots d'une petite courbette, il s'éloigne, suivi de près par ses gardes du corps.

Mais, au moment où les portes s'ouvrent en grand, des coups de feu brisent le silence. Quatre, et voilà quatre personnes à terre : les deux armoires à glace, monsieur Spiegel et Elda. Tieden et moi, interloqués, regardons en direction des déflagrations sans comprendre.

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