Chapitre 53

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Anaia fait son entrée, Lyl sur ses talons.

Aucun des deux ne semble blessé, ce qui est déjà une bonne nouvelle. Je détourne le regard. Par pudeur. Je me suis senti trahi, humilié et je me sens mal vis-à-vis d'eux, qui croient encore à cette victoire. Je vais être obligé de leur annoncer.

- Hérion ! s'exclame la jeune fille en venant vers moi. Tu saignes ! Tu devrais...

- Où est Armand ?

- Il arrive.

Si elle semble vexée, elle ne se focalise pas là-dessus et se détourne pour rejoindre son frère, qui vérifie que la femme est bien morte. Ça a l'air d'être le cas. Anaia récupère Martin, le prenant dans ses bras. Le petit garçon, ne se sentant absolument pas concerné par la situation, regarde la nouvelle venue avec des grands yeux.

Soudain, un bruit de pas me fait tourner la tête. Dans l'entrée se tient Armand. Essoufflé par la montée des étages, il transpire mais, comme les deux autres, est intact. Je me précipite sur lui et l'immobilise sans porter attention au petit cri de surprise de Lyl, mon bras pressant son cou, le canon de l'arme à ma ceinture à présent contre sa tempe. Alors que sa respiration s'apaise, la mienne accélère.

- Tue-moi, murmure t-il calmement. Tue-moi.

Haletant, je le force :

- Dis-leur. Dis-leur ce que t'as fait.

Il garde le silence, et je vois une larme rouler sur sa joue.

- DIS-LEUR ! hurlé-je. DIS-LEUR COMMENT TU NOUS AS TRAHIS, TOUS !

Je vois Anaia et son frère commencer à comprendre la situation, bien qu'ils espèrent ne pas être arrivés à la bonne conclusion.

- Je suis avec eux, souffle l'Aristocrate simplement. Je suis avec eux mais mon cœur est avec vous.

Tous les yeux sont rivés sur lui. Lyl et Anaia, sous le choc, gardent le silence. Celui-ci, total, enveloppe la pièce et rend l'ambiance étouffante.

- J'ai appris à vous aimer, affirme t-il avec conviction. Je partage votre combat, je défends la même chose que vous.

- Tu nous as vendus ? demande Anaia, très directe. RÉPONDS !

- Non, assure t-il. J'ai tenté de les mettre en déroute. Ça n'a pas fonctionné.

- C'était déjà trop tard, suppose Lyl, les yeux rivés vers le sol. Mais ça change rien.

- Avant... commence Armand. Avant la fin, je vous donne un conseil pour la victoire. Tout n'est pas perdu. La bague bleue de Spiegel, appuyez dessus. Le code est 8460.

Nos regards convergent sur l'objet désigné. Fin, le bijou ne semble pas pouvoir servir pour quoi que ce soit, et encore moins pour un combat.

- Hérion, fait Armand, suppliant à présent. Tire. Si ça peut tous vous soulager, fais-le. Ne vivez pas dans le regret de m'avoir laissé en vie.

Mes yeux croisent ceux de Tieden, le seul à regarder droit devant lui. Il hoche la tête, lentement, de haut en bas.

Alors que la larme de l'Aristocrate quitte sa joue pour aller s'écraser au sol, une détonation retentit et résonne dans mon crâne avec force.

Je lâche le corps sans vie, qui rencontre le carrelage dans un bruit sourd.

Le frère et la sœur essuient leurs yeux d'un revers de main. Sans dire un mot, nous nous tournons tous, d'un même mouvement, vers le cadavre du propriétaire du building, son alliance brillant autour de son doigt.

Lyl, le plus proche, la retire avec précaution. Il s'en empare et presse avec douceur le saphir présent au bout de l'anneau.

Aussitôt, les murs couverts de crânes s'écartent pour laisser place à une large pièce, entièrement blanche, dans laquelle sont entreposées, derrière une vitre épaisse, des dizaines et des dizaines d'armes, de la mitraillette au gourdin, toutes présentes en un seul exemplaire.

- Des essais, souffle Anaia tandis que nous entrons. Ce fou a entreposé des essais d'armes.

Je passe à côté d'un arc massif, qui, vu son envergure, doit peser dans les dix kilogrammes. A côté sont rangées, avec précaution, des flèches de cinquante centimètres. Je grimace à la simple idée d'être touché par l'une d'entre elles.

Juste à côté, une épée magnifique est exposée. En métal argenté, elle est assez simple. Dans la poignée, des motifs sont gravés. Des arbres.

Fasciné, j'avance ma main. Elle rencontre la vitre et, lorsque je l'écarte, remarque qu'elle a laissé une trace. Je m'empresse de l'essuyer et me détourne.

- Attendez, fait Lyl d'une voix blanche. Venez voir.

Nous nous approchons de lui, prudemment, pour prendre connaissance de ce qui l'a dérouté. Des bombes. Leur portée est indiquée en lettres grasses, disposées au-dessus de ce qui semble être un mode d'emploi.

Nous demeurons là, sans un geste, à contempler, éblouis, tout le pouvoir que nous a conféré Armand en nous donnant cet indice.

Plus que de simples armes, Armand nous a offert la victoire.

.oOo.

Spiegel est mort.

Si tout était prévu pour pouvoir faire face à une révolte, ils n'avaient en aucun cas songé que l'on puisse quitter ce bureau vivants, et encore moins qu'eux aient pu y laisser la vie. La tour vidée dans son intégralité ne représente plus aucune menace. Tous les employés sont sûrement cloîtrés chez eux à attendre la fin de l'"exercice".

Malgré ces bonnes nouvelles, je n'arrive pas à ressentir la moindre satisfaction. Il faut dire que tuer est ami est rarement considéré comme un acte enrichissant.

Personne ne devrait avoir le droit de disposer de la vie de quelqu'un comme j'ai eu. J'ai stoppé celle du chef de la Ligue brutalement, alors qu'il aurait pu, je le sais, aller plus loin. Tellement plus loin...

Mais, au fond de moi, quelque chose me dit que c'est ce qu'il voulait. Armand était habile dans l'art de manier les mots. Il connaissait mes faiblesses. S'il avait souhaité survivre à tout prix, il aurait su le faire. Et ça n'aurait sûrement pas été en me suppliant de mettre fin à ses jours.

Sans doute préférait il mourir avec honneur, maintenant que nous avions découvert ce qu'il cachait depuis toujours, ce secret qui a dû peser lourd sur ses épaules, des années durant.

Je me jure que tout ce qu'il s'est dit ce soir restera entre Anaia, Lyl, Tieden et moi et que nous emporterons son secret dans notre tombe. Il est mort en héros. Personne ne pourra jamais lui enlever ça.

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