Chapitre 54

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Les lourdes caisses sous le bras, nous empruntons un des ponts, relié directement au bureau de Monsieur Spiegel à la manière d'un balcon prolongé jusqu'au bâtiment suivant. Cette passerelle étant faite de verre, je sens mes jambes trembler lorsque je me retrouve à cent mètres de hauteur au-dessus de la Ville, illuminée à présent.

Au loin, des coups de feu et des cris trahissent la présence du combat. Aucune détonation ne semble plus forte que les autres et je devine que c'est parce que l'État, craignant même une rébellion des Patrouilles, a choisi de ne leur donner que des armes se limitant au fusil et au pistolet. En souhaitant que cela ne se retourne pas contre eux, ils ont produit l'effet inverse.

Alors que nous atteignons l'autre bâtiment, j'aperçois un échelle. Voilà par où nous allons rejoindre le combat.

- Allez-y, ordonne Lyl. Nous, on s'occupe des bombes.

Nous hochons la tête, décidés, et nous avançons. Je passe le premier. Le vide, en-dessous, me donne la nausée, et je serre les barreaux métalliques tant que la jointure de mes doigts devient blanche. Je lâche un profond soupir. Tout va bien se passer.

Alors que nous nous rapprochons du combat, nous entendons les déflagrations diminuer progressivement. Les Patrouilles, mais aussi tous ceux qui ont été liés à la Ligue, manquent de munitions. Je soupire, désolé.

Comment est-ce possible que nos ennemis, alors ici chez eux, soient aussi mal préparés ?

Nous descendons les étages les uns après les autres. Mon pistolet, secoué, quitte ma poche et va s'écraser des mètres plus bas. Tant pis, je ferai sans.

Malgré les caisses incroyablement lourdes sur mon dos, ma douleur au ventre et mon vertige, je fais tout mon possible et vois le sol se rapprocher rapidement. Lorsqu'enfin je l'atteins, je m'y laisse tomber avec soulagement, Tieden sur mes talons.

- C'est là-bas, déclare celui-ci en désignant l'allée voisine d'un geste de la tête.

Nous approchons au pas de course, la caisse en métal tapant contre le bas de mon dos.

Au détour d'une rue, nous croisons deux jeunes portant sur une civière l'un d'entre nous, en piteux état. Ils l'amènent à l'infirmerie, installée légèrement en retrait, loin des Patrouilles et des tirs.

Avec surprise et soulagement, nous comprenons que nous menons le combat, celui-ci s'étant décomposé en petit groupes et ayant d'ailleurs pris possession de tout la partie extérieure de la Ville. À notre droite, des Patrouilles affrontent des adultes de la Ligue, des Paysans, qui se battent et défendent nos valeurs férocement avec ce qui leur reste : leurs poings.

Forcés de poursuivre notre chemin pour aller au plus près de l'action, nous leur crions un bref encouragement avant de nous éclipser.

Nous courons à présent sur les pavés des rues sinueuses, les murs et le sol couverts de taches de sang bien que les corps demeurent introuvables.

Alors que les bruits et les personnes sur civières se multiplient, Tieden et moi, à contresens, sommes de plus en plus sur nos gardes. Si nous nous faisons attaquer, il serait impossible pour nous de nous défendre en raison de la lourde cargaison sur notre dos.

Droit devant, trois Ouvriers et cinq Patrouilles s'opposent violemment. Je distingue deux corps, allongés au sol, sans vie. Seulement, les Patrouilles sont trop nombreuses et, malgré les efforts fournis, nos alliés sont perdus. L'un d'entre eux reçoit un coup dans le ventre et rencontre les pavés. D'un regard entendu, Tieden et moi posons nos caisses et en ouvrons chacun une, déballant leur contenu sur le sol de la rue.

Mes doigts rencontrent le métal froid de l'épée. Je soulève l'objet, lourd et dur à manier. Si nous avons reçu des cours d'escrime au gymnase, quand j'étais petit, jamais je n'avais songé être amené un jour à utiliser ce genre d'arme dans une situation critique. Seulement, elle est beaucoup plus lourde que celles que j'avais l'habitude d'utiliser...

Mon ami s'en rend compte et m'interroge :

- Ça va aller ?

- Ouais, affirmé-je malgré mes craintes. Pas de soucis.

Décidés, nous nous avançons vers les Patrouilles. Dès qu'ils nous voient, ils se jettent sur nous, laissant un court répit aux Ouvriers. Aussitôt, je saisis mon épée et la fais tournoyer devant moi, empêchant quiconque de m'approcher de trop près.

Nous rejoignons nos alliés, enjambant les corps mis sur notre chemin. Je pourfends l'air à droite, à gauche, et sens parfois la lame rencontrer une résistance, ressenti annonceur de bonnes nouvelles. À mes côtés, l'Ouvrier à terre quelques instants plus tôt frappe ses bourreaux, principalement au visage tandis que Tieden, refusant de perdre des munitions pour "si peu", utilise bras et jambes pour nous défendre.

D'un revers de manche, j'essuie la sueur de mon front, qui trempe mes cheveux, tombant sur mes yeux et diminuant ma visibilité. L'homme contre lequel je me battais s'éloigne, et une autre Patrouille prend le relai. Je sens progressivement ma respiration s'entrecouper et mes bras tétaniser. Dans un grand effort, je plante l'épée en travers du corps de l'homme devant moi.

Ses yeux, noirs, me regardent une dernière fois avant de me fixer, vides. Nos ennemis ne sont pas responsables de leur situation. Si j'avais eu le choix, je les aurais blessés. Seulement, ils sont coriaces et prêts à tout pour nous voir tomber.

Je retire la lame avec force, ma victime s'effondrant pour ne plus se relever, mon uniforme taché de sang. Avec une angoisse grandissante, je vois l'ennemi qui avait disparu faire son retour.

Celui-ci se rapproche dangereusement, et, avant que je puisse l'attaquer avec mon épée, il saute et, d'un coup de pied, l'envoie valser quelques mètres plus loin. Désarmé, je recule mais mon dos cogne contre celui de Tieden. L'homme sort un poignard de sa ceinture et je comprends que c'était la raison de son départ.

Il plonge vers moi, je tente d'éviter l'attaque mais suis trop lent et sens la lame s'enfoncer dans ma cuisse, l'entaillant profondément. Je grimace de douleur et, alors que l'homme lève son arme à nouveau, ses yeux s'écarquillent et il tombe au sol, révélant le visage de Liago, tenant dans sa main un poignard similaire, à présent couvert de sang.

Ses cheveux blonds sont trempés par la transpiration, les manches de sa veste relevées jusqu'aux coudes. Sloane est à sa gauche, elle aussi transpirante. Son visage, fermé, exprime une concentration extrême. Chaque coup sera précis et douloureux pour l'adversaire.

J'entends des bruits de pas se rapprocher rapidement, et, alors que je suis convaincu qu'il s'agit d'ennemis, je vois des uniformes de zones apparaître. Mes amis n'ont pas fait le trajet seuls. D'autres jeunes les ont accompagnés

Ignorant la douleur, je me relève et encercle, avec mes alliés, les Patrouilles restantes. Elles ne vont pas pouvoir se battre encore longtemps.

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