Chapitre 56

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Cela fait maintenant dix minutes que j'erre dans les rues vidées de toute forme de vie, dans la nuit noire. Seuls des oiseaux se posent ici et là sur les corps, mangeant les restes.

Ma douleur n'a pas cessé et j'ai été contraint de faire de nombreuses pauses, n'étant jamais certain d'être en sécurité. La menace peut surgir de n'importe où, n'importe quand.

Alors que je passe devant une épicerie aux fenêtres défoncées - comme toutes celles de la Ville suite à l'explosion -, je perçois un bruit sourd. Un objet qui tombe au sol.

J'avance, lentement, en direction du local.

- Il y a quelqu'un ? demandé-je.

Rien ne me répond, pas même un gémissement de douleur. Mais le doute est présent, et j'ai envie de connaître l'origine de ce bruit. Il est vrai que la curiosité est un vilain défaut, mais c'en est un irrépressible.

Je pousse la porte qui produit un grincement affreux, et, dans le plus grand des silences, pénètre dans la petite salle. Des éclats de verre jonchent le sol et craquent sous mes pieds.
Soudain, j'entends quelque chose.

À peine me suis-je retourné qu'Anaia me serre contre elle.

Plus soulagé que jamais, surpris malgré tout, je prends quelques secondes avant de comprendre ce qu'il m'arrive. Lorsqu'enfin je réalise, un sourire étire mes lèvres et j'entoure la jeune fille de mes bras, la serrant fort, quitte à l'étouffer.

- Tu es blessé ! s'alarme t-elle, horrifiée, en reculant d'un pas.

- Ouais, acquiescé-je simplement.

Lyl sort de l'ombre à son tour et me donne une petite tape sur l'épaule. Son visage est couvert de petites égratignures, que je suppose venir d'éclats de verre.

- T'as eu le temps de te mettre a l'abri ? demande t-il.

Mon visage s'assombrit aussitôt. Ils ne sont visiblement pas allés se promener. Je lui réponds, amèrement malgré moi :

- Si je l'avais pas fait, je serais plus là.

- On n'avait pas prévu que le souffle soit si fort, commence sa sœur, vivement. On ne pouvait pas savoir !

Son frère pose sa main sur son épaule et l'arrête :

- Économise ta salive, Anaia. On aurait pas pu savoir, mais le mal est fait. Point. Nous avons gagné, et je suis sûr que nous ne sommes pas les seuls à avoir survécu. Nous allons chercher dans toute la Ville et nous allons en trouver.

Je vois ma vision se flouter et tout tourner autour de moi, tandis que je tente de rester concentré sur les paroles du jeune homme.

- Toi, ajoute t-il à mon intention, tu dois trouver quelqu'un pour te prodiguer des soins.

Sur ces mots, ma jambe droite me lâche et je tombe, retenu par Lyl si vite que je n'ai pas le temps de toucher le sol.

                                                                                      .oOo.

- Hérion, entends-je, faiblement.

J'ouvre les yeux avec lenteur. Allongé dans un lit blanc, entouré de blessés, Anaia est à mon chevet. J'ai été transporté jusqu'à un hôpital aussitôt réaménagé par les jeunes de la Ligue, des habitants de la Ville s'affairant dans tous les sens pour nous soigner - sous la menace, puisque ça s'est avéré nécessaire.

Les soins que j'ai reçus ont été si efficace que je me demande comment c'est possible : je n'ai plus mal à ma cuisse, le traumatisme crânien dont j'ai été victime n'a pas impacté le fonctionnement de mon cerveau et ma blessure au ventre est proche d'être cicatrisée. Bien que les pansements autour de ma jambe doivent être changés toutes les heures, d'après l'infirmière, je pourrai sortir d'ici deux semaines sans problèmes.

- Hérion, écoute-moi, fait la jeune fille à mes côtés.

Je me tourne vers elle dans un bruissement de draps.

- Oui ?

Elle lâche un long soupir.

- Tu sais, fait-elle, pour Armand, on n'était pas au courant. Lyl et moi, on a été aussi surpris que vous.

- Je sais.

- Ah..?

Son visage, tout d'abord surpris, exprime rapidement un sincère soulagement.

Deux adolescents font leur entrée, portant dans une civière un adolescent en piteux état. Je me relève soudainement, mais, d'une main, Anaia me force à m'allonger.

C'est devenu un réflexe. A chaque nouveau venu, j'espère voir apparaître le visage de Liago ou celui de Sloane. Cela fait maintenant trois heures que l'explosion est finie, et nous n'avons eu aucune nouvelle d'eux. Alors j'essaie de me convaincre qu'ils ont été blessés, puisqu'il m'est totalement impossible d'envisager leur mort. C'est tout simplement inimaginable.

Tieden, quant à lui, va très bien. Il a en fait quitté la cave en voyant que j'avais perdu connaissance afin d'aller chercher des secours. Lorsqu'il est revenu, j'avais déjà quitté la pièce.

- Bon, je vais te laisser, je vais aller voir Lyl. On a du travail, tu sais, pour la reconstruction.

- Bien sûr.

Je lui souris.

- A plus.

Elle s'éloigne et je laisse échapper un soupir. Les horreurs que j'ai vues me détournent de toute envie de parler avec qui que ce soit.

Tous les regards, autour de moi, ses sont ternis. Personne ne peut rester indifférent au drame qui a eu lieu.

Nous sommes libres, à présent, mais cette victoire a un goût amer.

Nous avons perdu notre leader - je l'ai tué.

Mes deux amis d'enfance ont disparu, et les retrouver devient jour après jour un peu plus improbable.

Je n'ai aucune nouvelle de mes parents.

Personne ne détient aucune information en ce qui concerne les Marcheurs de l'Ombre ou les Sages. Je n'ai aucune idée de là où ils sont, mais sans doute pas planqués à se laisser mourir gentiment.

Devant nous attendent des épreuves difficiles. Pas plus que celles que nous laissons derrière nous, mais différentes. Nous allons devoir agir sur la longueur, voir au long terme.

Sur les dix-mille-cinq-cent que nous étions au départ, on ne compte pour l'instant que quatre-mille survivants et, bien que des jeunes ayant fini leur préparation et que des blessés affluent encore, je pense que nous ne dépasserons pas les cinq-mille personnes. Soit plus de la moitié d'entre nous qui a péri.

Les Patrouilles survivantes ont été condamnées à mort par un jugement un peu hâtif prononcé par un tribunal de fortune installé entre les débris d'un centre commercial. Malgré tout, je ne compte pas m'opposer à la sentence, aussi cruelle qu'elle soit.

Les membres de la Ligue ont trop souffert : ils ont besoin de se sentir écoutés, se sentir soutenus et se sentir vengés, aussi.

Pour cela, mettre à mort ceux qui ont décimé nos rangs serait une des solution les plus adéquates.

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