Retour dans le Dual
Le soleil était haut dans le ciel. Aure était éblouie par les rayons qui se reflétaient sur l’armure d’Enguerran qui chevauchait à ses côtés.
Leur voyage durait depuis déjà cinq jours. Elle en ressentait les conséquences sur ses membres endoloris.
Mais les vertes plaines de l’Ouest qu’ils avaient atteintes la veille lui avaient remonté le moral et fait oublier sa douleur.
Enguerran était venu la chercher avec trois hommes d’armes pour assurer sa protection dans ces vallées hostiles. Le marquis de Dual avait insisté pour que ce soit son chevalier le plus courageux et le meilleur combattant de son armée qui escorte sa fille.
Preuve de ce qu’Aure représentait pour lui.
D’une trentaine d’années environ, Enguerran avait une stature et une autorité naturelle très impressionnantes pour Aure. Elle qui n’avait pas eu l’occasion de côtoyer beaucoup d’hommes ces dernières années.
D’autant qu’il n’était pas dénué d’un certain charme. Ses traits fins et ses yeux noisette amenaient une certaine douceur à son visage émacié et son expression fermée.
C’est pour parfaire son éducation que son père l’avait envoyée dans la congrégation religieuse du Val plus au Nord. Cela faisait plus de deux ans maintenant.
Elle ne s’en était pas plaint.
Elle savait que c’était le sort réservé à toutes les filles de seigneurs.
Mais ce temps lui avait paru très long. A étudier et apprendre les bonnes manières. Le seul sujet qui l’enthousiasmait était la compréhension de leur vaste monde, elle qui avait toujours rêvé de voyager accompagnée d’un prince charmant.
Elle se remémora alors une question à laquelle les sœurs de la congrégation n’avaient pas souhaité répondre.
Cela lui donnait une bonne occasion de rompre le silence et la monotonie du voyage.
— Enguerran, en étudiant les cartes de notre monde, je me suis rendu compte à quel point nos terres étaient proches de la frontière Ouest. N’est-ce pas trop dangereux ? tenta Aure en tournant la tête vers lui.
— Non demoiselle, elles sont surveillées nuit et jour par des gardes qui se relaient, soupira-t-il, imperturbable.
— Mais contrairement aux autres parties du monde, il n’y a pas d’éléments naturels qui nous protègent, le mal pourrait attaquer à tout instant, s’indigna Aure espérant susciter une émotion chez lui.
— Peut-être… Mais le mal n’a plus attaqué depuis des siècles, affirma-t-il d’un ton sec qui trahissait son agacement.
Enguerran s’exprimait très peu et Aure avait bien du mal à imaginer ce qu’il pouvait penser de façon générale et la concernant en particulier.
Ce qui n’était pas le cas des trois autres soldats les accompagnant. Elle comprenait à travers leurs regards appuyés sur certaines parties de son anatomie qu’ils n’étaient pas insensibles à ses charmes.
A seize ans, elle avait maintenant un corps de femme. Ses cheveux blonds délicatement bouclés tombaient en cascade sur sa poitrine ferme. Sa cotte longue bleu pastel en lin, sa préférée dès qu’il faisait beau, laissait deviner ses tétons d’un rouge sang qui tranchait avec sa peau blanche. Et elle était fendue à mi-cuisse pour qu’elle soit plus libre de ses mouvements sur le cheval.
Enguerran avait beau essayé d’être rassurant, elle en voulait à son père de ne pas leur avoir parlé de ce mal qui rodait à quelques lieues de chez eux.
Il préférait sans doute les garder dans l’insouciance de l’enfance, elle, sa jeune sœur et son petit frère.
Les battements de son cœur s’accéléraient à la perspective de jouer à nouveau avec eux. Elle pouvait entendre leurs rires quand ils jouaient au loup dans les champs avoisinant le château. L’odeur des foins coupés lui revenait en tête, le chant des oiseaux, le doux écoulement de la rivière qui passait plus loin.
Et quand elle leur racontait des histoires de princesse, de chevalier et de dragons pour les aider à s’endormir. Leurs yeux émerveillés posés sur elle essayant de lutter contre le sommeil. Une larme se forma tendrement à la perspective de les serrer bientôt dans ses bras.
Mais c’est son père qui lui manquait le plus. Depuis que sa mère était morte en donnant naissance à son troisième enfant, elle entretenait une complicité forte avec le marquis.
C’est certain qu’il allait la trouver bien changée ! Lui qui avait vu partir une jeune fille maladroite et un peu écervelée allait maintenant retrouver une femme prête à être mariée.
En tout cas, ce serait dans l’ordre des choses.
La vue de certaines collines familières rajouta à son émotion et les larmes commencèrent à couler sur ses joues. Un frisson parcourut son corps lorsque la douce brise du Dual la caressa comme pour la remercier de son retour.
Ils arrivaient dans les terres du marquis et n’allaient pas tarder à apercevoir le donjon dépasser à l’horizon.
Mais elle fronça soudainement les sourcils :
— Enguerran, voyez-vous cette fumée noire dans la direction du château ? demanda Aure, le doigt pointé droit devant.
— Oui, Mademoiselle, ça ne me dit rien qui vaille, nous ne sommes pas dans la période où nos paysans effectuent les brûlages. Accélérons !
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