Un voyage dans l'incompréhension

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Le château de Sasse était à deux jours de trajet à cheval.

Aure était mutique.

Enguerran et les trois hommes de garde s’étaient mis en formation serrée au cas où les wendigos traînaient encore dans les parages. Un homme devant, un homme derrière, un à la gauche d’Aure et Enguerran à sa droite.

Après avoir passé la deuxième nuit dans une auberge sur le chemin, Enguerran essaya de renouer le dialogue avec Aure alors qu’ils étaient attablés dans la grande salle pour prendre le casse-croûte du matin avant de repartir. Elle trempait sans conviction son pain de seigle accompagné d’un morceau de lard dans de la bière.

— Mademoiselle, j’ai réfléchi à ce qui a pu se passer, cela m’obsède depuis deux jours.

Aure leva les yeux vers lui en continuant à mastiquer son lard. Elle ne comprenait pas en quoi ce qu’il pourrait bien lui dire l’aiderait à retrouver sa famille.

— Je n’ai vu dans les décombres aucun reste d’une bannière des gardes-frontière. Cela voudrait donc dire qu’ils venaient d’ailleurs, mais de où ?

Aure leva un sourcil, pas pour la question qu’elle n’avait pas vraiment comprise, mais parce que pour la première fois depuis longtemps, elle découvrait le visage d’Enguerran animé d’une vive émotion. Il avait les yeux écarquillés par l’incompréhension et il se pinçait la lèvre inférieure jusqu’au sang.

Avec la même ferveur, il rapprocha son visage de celui d’Aure et chuchota alors que des étrangers rentraient dans l’auberge :

— J’imagine donc qu’ils ont été surpris par ces wendigos arrivés de nulle part et que votre père a eu très peu de temps pour réagir.

Aure mastiquait toujours alors que ses yeux se troublaient. Elle visualisait son petit frère et sa petite sœur terrorisés quand ses monstres avaient surgi sur eux.

Elle n’était même pas là pour les défendre.

Comment les aurait-elle défendus d’ailleurs ?

Enguerran enchaîna, les yeux maintenant irrigués de sang. Elle l’avait rarement vu autant parler.

— Et dire que je n’étais pas présent ! Le marquis a certainement pris trop de temps à organiser notre défense en mon absence.

— Tout est de ma faute, si vous n’aviez pas dû venir me chercher, ma famille serait sans doute encore en vie, sanglota Aure en laissant tomber sa tête sur la table.

Enguerran se trouvait à nouveau démuni face à sa détresse. Il regrettait amèrement ses propos et tenta de se rattraper en bafouillant :

— Non… non, pas du tout, ce n’est pas ce que je voulais dire… Vous n’y êtes pour rien…

Se rendant compte qu’il valait mieux finalement qu’il ne dise rien, il termina son casse-croûte en silence.

Aure finit par relever la tête, les yeux dans le vide.

Enguerran en profita pour terminer d’exprimer la rage qu’il avait en lui.

— J’espère au moins que le prince Karavec a envoyé ses troupes immédiatement pour venir à bout de ces wendigos et éviter qu’ils ne se répandent dans tout l’Ouest.

— Elles seraient arrivées trop tard pour sauver mon père de toute façon. Brennes, la ville princière de l’Ouest, est à quatre bonnes journées du Dual, répliqua Aure qui semblait retrouver un peu de forces.

Même si son père ne la conviait que rarement à ses discussions politiques avant son départ du château, elle se souvenait qu’il ne portait pas le prince de l’Ouest dans son cœur.

« Il ferait mieux de défendre ses terres plutôt que de perdre son temps à essayer de nouer de vaines alliances avec les autres provinces » l’avait-elle entendu crier à travers les épais murs du château lors d’un de ses légendaires accès de colère.

Voyant un voile sombre apparaître dans les yeux d’Aure, Enguerran préféra en rester là sur les spéculations qui ne feraient qu’aggraver son chagrin. Et il s’agenouilla face à elle de façon très cérémoniale.

— Mademoiselle, malgré le drame que nous vivons, vous savez que vous pouvez toujours compter sur mon épée pour vous servir comme j’ai toujours servi votre père.

Aure leva un sourcil, touchée par cette déclaration maladroite mais sincère.

Puis ils reprirent la route, préférant finalement garder le silence.

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