Le combat des géants
Le champ de bataille semblait s’étendre à pertes de vue. Du haut de la petite colline où se dressait le campement, les mercenaires pouvaient maintenant distinguer des centaines de masse difformes s’approcher très lentement. Le sol tremblait de plus en plus sous leurs pas.
L’armée de Balthar se mettait en place. Des milliers d’hommes des quatre coins du territoire. La plupart étaient des mercenaires. Mais le prince Balthar, qui trônait au milieu de cette immense ligne de front un peu en retrait pour ne pas prendre part au combat, avait eu la prudence de s’entourer de quelques centaines d’homme de son armée régulière, plus fiables si les choses tournaient mal.
Son général se mit à hurler : « les archers, préparez-vous ! »
En réalité, face à des Jötunn à la peau épaisse comme le cuir, les flèches ne servaient pas à grand-chose mais cela les ralentirait encore un peu plus. Tout comme les hommes à cheval qui étaient très peu nombreux ne seraient pas utiles. Même à cheval, un homme n’est pas plus grand qu’un Jötunn et plus de vitesse n’apportera rien face à des cibles aussi lentes.
Malthor, ses trois compagnons et Enguerran se tenaient en première ligne à quelques mètres devant et à droite du prince. Malgré les supplications d’Aure, Enguerran, vexé par la remarque de Malthor, n’avait pas renoncé à combattre. Il avait néanmoins pris le temps d’expliquer aux trois hommes d’armes comment assurer la défense d’Aure. Car si des mercenaires se mettaient à battre en retraite, nul doute qu’ils essaieraient de la violer.
De jeunes mercenaires, qui devaient combattre des Jötunn pour la première fois, se rapprochaient de Malthor dont la stature rassurait :
— Vous en avez déjà tué beaucoup ? questionna l’un d’eux, ses yeux espérant une réponse positive.
— Je n’ai pas compté, grogna Malthor sans même détourner le regard.
— Comment vous avez fait ? continua le novice avec une voix peu assurée.
Raguard, Skögul et Kronin ne purent réprimer un sourire. Malthor finit par tourner la tête dans sa direction :
— J’ai deux techniques : la première est de leur découper le mollet pour les obliger à poser un genou à terre et, sans se faire écraser, d’enfoncer mon épée dans leur cœur. Mais il faut s’y prendre à plusieurs fois pour percer la peau, commença-t-il d’un air penseur.
— Et la deuxième ? demanda le jeune mercenaire qui commençait à pâlir.
Le visage de Malthor s’illumina alors et il ne put réprimer un rictus diabolique :
— Ma préférée : j’escalade leur dos et enfonce mon épée à la base du crâne. La peau est plus tendre au niveau de l’échine. Mais il faut bien appuyer pour que la lame ressorte de l’autre côté et que ça provoque une mort instantanée. Avec un peu d’expérience, vous arrivez à le faire pour qu’il retombe sur le ventre, ça vous évite de vous faire écraser.
Le mercenaire fit un signe de tête en guise de remerciement avant de se précipiter vers les lignes arrières, certainement pour vomir ses tripes.
Enguerran, qui essayait de faire bonne figure, n’en perdait pas une miette. Il n’avait jamais affronté de Jötunn et n’avait pas prévu de mourir aujourd’hui.
Les cornes résonnèrent à nouveau, Malthor et ses camarades se mirent à hurler en brandissant leurs armes et dévalèrent la colline en direction des Jötunn. Tous les mercenaires se mirent à courir derrière eux. Enguerran se demandait pourquoi ils s’élançaient déjà alors que les Jötunn étaient encore à des centaines de mètres mais il en conclut que Balthar préférait que la bataille se passe le plus loin possible de lui.
Malthor arriva face au premier Jötunn et glissa sous son bras qui emporta trois mercenaires pas assez vifs derrière lui. A peine le Jötunn avait-il fini son mouvement que Malthor était déjà sur son dos en train de lui transpercer le cou avec son épée. Le Jötunn s’effondra en écrasant deux autres malheureux combattants qui ne s’étaient pas dégagés à temps. Cette première victoire rapide mit du baume au cœur des autres guerriers.
Malthor était déjà sur une nouvelle cible tandis que ses trois compagnons terrassaient leur premier géant avec une technique tout aussi efficace : Skögul lançait un couteau dans un des yeux du Jötunn détournant son attention pour que Raguard lui sectionne les tendons des mollets avec ces sabres. A peine au sol, Kronin lui explosait la tête avec sa masse. Ce morbide ballet n’avait pris que quelques secondes.
A leurs côtés, beaucoup de mercenaires subissaient un sort beaucoup plus funeste, écrasés par leurs pieds gigantesques ou traumatisés par leurs mains immenses.
Enguerran de son côté avait suivi la leçon et il venait de mettre à terre son premier Jötunn en lui coupant les mollets. Mais malgré sa vivacité, il n’arrivait à accéder ni à son cœur ni à sa nuque car le Jötunn se protégeait avec ses bras immenses et d’autres s’approchaient pour l’aider.
Ne voyant pas de solutions plus rapides, il se mit à entailler un premier bras jusqu’à l’arracher complétement. Il commençait à faire de même avec le deuxième quand un autre Jötunn arriva à sa hauteur, l’obligeant à lui taillader les jambes également pour l’immobiliser par terre. Il réussit finalement à accéder à la nuque du premier pour le tuer et à amputer les deux bras du second pour lui transpercer le cœur. Enguerran était épuisé mais néanmoins satisfait de sa technique laborieuse mais victorieuse.
Du haut de la colline, Aure sur son cheval essayait de distinguer les combats. C’était la première fois qu’elle assistait à une bataille d’aussi près. Son corps tremblait face à la violence des affrontements. Elle était très inquiète pour Enguerran qu’elle n’arrivait pas à identifier malgré son armure de chevalier…
Le seul qu’elle repérait au milieu des Jötunn était Malthor dont la stature était presque aussi imposante. Elle suivait sa progression méthodique faite de cous transpercés, de jambes lacérées et de cœurs écorchés. Elle en arrivait presque à avoir pitié des Jötunn qui, face à Malthor, commençaient seulement à comprendre ce qui les attendait alors qu’il était déjà trop tard.
Ce n’était malheureusement pas le même succès pour les autres mercenaires qui se faisaient massacrer les uns après les autres.
La bataille dura plus de dix heures.
Les Jötunn furent finalement tous décimés. Mais sur les plus de quatre mille mercenaires engagés, seule une trentaine se présenta devant le roi Balthar pour réclamer son dû.
La coutume voulait que le commanditaire doive séquestrer deux pièces d’argent par combattant engagé. Somme que se partageaient ensuite les survivants. Cela représentait donc environ deux cent soixante-dix pièces d’argent pour chacun ! Une somme très importante ! De quoi vivre pendant deux ans sans soucis !
Sans surprises, Malthor se présenta le premier pour récupérer ses pièces. La dureté des combats l’avait éloigné de ses compagnons mais il jetta un œil en arrière et fut satisfait de voir que Raguard n’était pas loin.
Les deux hommes tombèrent dans les bras l’un de l’autre, exténués mais heureux d’être en vie, tandis que Kronin progressait lentement vers eux en tirant sa masse pleine de sang.
Ils cherchèrent tous les trois Skögul du regard et furent rassurés de la voir arriver en boitant de l’est du champ de bataille.
Grisés par l’énorme récompense qu’ils venaient de gagner, ils sursautèrent lorsqu’un cheval qu’ils n’avaient pas entendu arriver se mit à hennir derrière eux.
— Mais où est Enguerran ? s’écria Aure en les regardant affolée.
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