Retour dans l'Ouest
Kronin et Raguard n’avaient jamais vu Malthor dans une telle fureur mais ils se gardèrent bien de faire le moindre commentaire et le retour en ville se passa dans un silence complet.
Même s’ils avaient plein de questions sur ce qui pourrait advenir dans l’Ouest.
Revenus à l’auberge, les trois hommes remarquèrent à peine le corset en cuir, les jambières ajustées et la nouvelle fine lame d’Aure.
Skögul, en revanche, perçut immédiatement la mine sombre et contrariée de Malthor.
Avant qu’elle ne cherche à en savoir plus, Raguard informa directement le reste du groupe de ce qu’ils avaient appris :
— Nous devons retourner dans l’Ouest sans tarder, réagit Aure.
— Oui, mais où exactement ? interrogea Enguerran.
— Sur nos terres, pour tout rebâtir, rappela la demoiselle comme une évidence.
— Je veux d’abord repasser chez moi, interrompit Malthor. Même si je ne l’ai pas toujours porté dans mon cœur, je dois au moins honorer la mémoire de mon défunt père.
Ils hochèrent tous la tête et Aure se rangea à l’avis général.
Le lendemain, ils reprirent la route pour le château de Sasse.
Il n’y avait malheureusement pas de raccourci pour couper vers l’Ouest depuis Thugdul, ce qui signifiait qu’ils devaient prendre à peu près la même route qu’à l’aller en sens inverse.
Il y en avait pour plusieurs semaines de chevauchée.
Malthor et Enguerran ouvraient la route en silence.
Juste derrière, Aure et Skögul discutaient longuement. Skögul racontant les batailles qu’elle avait livrées à une Aure fascinée. La demoiselle décrivant la vie de la cour au château de son père à la valkyrie intriguée.
Raguard et Kronin fermaient le convoi en échangeant de brèves suppositions pour essayer d’imaginer ce que le mal pouvait préparer à l’Ouest.
Chaque soir, leur campement dressé, la valkyrie initiait Aure au maniement de l’épée sous le regard attendri d’Enguerran.
Ils gardaient le coffre de pièces à tour de rôle.
Ils arrivèrent enfin en vue du château.
Après avoir remisé les chevaux et pris un peu de repos pendant que Malthor se recueillait sur la tombe de son père, ils se retrouvèrent dans la grande salle.
Les murs, en pierre calcaire finement taillée, étaient ornés des portraits des ancêtres Sasse dont les regards peints suivaient les invités avec une intensité troublante.
Au-dessus de la cheminée monumentale, un blason ancien était accroché. La poussière qui s’accumulait sur les rebords de l’âtre ne semblait pas l’avoir atteint tant il luisait comme au premier jour.
La table centrale, longue et étroite, était dressée avec une rigueur presque cérémonielle. Les couverts en argent poli brillaient sous la lumière des bougies des lustres en cristal.
Mais ce n’est pas cela qui impressionna le plus les compagnons.
Au bout de la table, Mandrax et la comtesse les attendaient.
Cette dernière dévisagea son fils avec soulagement. Elle invita ses hôtes à s’assoir d’un signe de tête.
Le magicien prit la parole de façon très solennelle :
— Cela fait plusieurs jours que j’espérais votre arrivée…
— Nous n’avons pas pu combattre les wendigos en noir, nous sommes arrivés trop tard, s’empressa la demoiselle.
— Je ne le sais que trop bien Aure, car en repartant précipitamment vers la frontière Ouest, ils sont parvenus à assassiner le prince Karavec.
Des cris d’exclamation et des regards médusés fusèrent dans l’assistance.
— Comment est-ce possible ? s’emporta Kronin en tapant du poing sur la table, le prince Karavec est très bien protégé ! Il a une garde personnelle bien entraînée, je sais j’en ai fait partie !
— Je ne sais pas Kronin, le prince revenait d’un voyage dans le Nord avec une protection insuffisante sans doute. Et ces wendigos en noir sont apparemment redoutables, d’une rapidité et d’une violence absolues.
— C’était donc lui, le dernier obstacle dont l’orc parlait, chuchota Malthor.
Mandrax le regarda interrogatif mais continua avec la même détermination :
— La mort du prince Karavec va complétement désorganiser l’Ouest. Son fils est encore trop jeune pour prendre le pouvoir avec la fermeté que la situation exige. Il a déjà bien du mal à retenir ses soldats et à assurer la défense de son château de Brennes.
— Surtout que Brennes est bien loin de la frontière, le mal passera d’abord par ici, soupira Kronin.
Un silence s’installa. Chacun semblant prendre progressivement la mesure de ces derniers événements.
La comtesse se lança, les yeux dirigés vers son fils.
— Justement, nous n’avons plus de temps à perdre, la première défense face au mal qui va venir de l’Ouest est effectivement notre château.
Aure vit les regards pleins de compassion de Skögul et Enguerran se poser sur elle. Elle se leva brutalement :
— Et celui de Dual que nous allons reconstruire ! s’écria-t-elle avec ferveur.
La comtesse lui jeta un regard méprisant.
Mandrax vint s’assoir à côté d’elle et lui prit la main :
— Nous n’en aurons pas le temps Milady ! Selon les anciens écrits, le mal avait mis à peine plus d’un an pour se rassembler de l’autre côté de la frontière avant d’attaquer lors de la dernière grande bataille. Alors que nous aurons besoin de plusieurs années pour rebâtir votre château. Nous devons organiser notre défense ici.
Aure retira vigoureusement sa main, un voile sombre passa dans ses yeux :
— Avec les nombreuses pièces que nous avons gagnées, nous pourrons le reconstruire plus rapidement !
Un silence gêné envahit la grande salle.
Skögul s’approcha d’elle et lui posa les mains sur les épaules, les autres compagnons s’écartèrent.
— Ces pièces nous seront très précieuses pour embaucher des mercenaires. Si les wendigos sont venus à bout aussi facilement de la garde du prince Karavec, ce n’est pas l’armée du château de Sasse qui les retiendra…
Aure se laissa tomber sur sa chaise. Les larmes coulaient sur ses joues.
La comtesse se leva et quitta la pièce.
Enguerran vint à ses côtés.
— Dès que nous aurons repoussé le mal, nous reconstruirons le château de Dual Mademoiselle, vous avez ma parole.

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