Le jour d'avant

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Les bêtes avaient été attachées dans des étables de fortune qui côtoyaient les petits logements dans lesquels les paysans s’entassaient.

Elles tremblaient, ressentant la nervosité des hommes, femmes et enfants qui avaient quitté leurs terres pour se réfugier.

Les soldats couraient, les visages tendus, les mains serrées sur leurs épées ou leurs arcs. Les armuriers hurlaient des dernières consignes, les forgerons martelaient d’ultimes pointes de flèches.


L’air sentait la sueur, le fer chaud et la peur.


Aure passait auprès de chacun pour leur distribuer un sourire, une parole rassurante. A cette femme aux joues creusées, à ces enfants blottis contre leurs mères, à ce vieillard silencieux.

Ils avaient fui leurs chaumières, abandonné leurs champs, leurs souvenirs. Leurs regards se perdaient dans les hauteurs des remparts, là où les hommes d’armes scrutaient l’horizon.

Entre deux préparatifs, Enguerran jeta un regard dans sa direction. Il se remémorait la petite gamine potelée et maladroite, demandant à ses sujets de s’ébahir devant sa nouvelle robe, qui avait quitté le château de Dual pour le couvent il y a quelques années.

Aure était maintenant élancée et musclée. Elle avait gardé sa lame légère à la ceinture mais portait également un sabre dans le dos aussi lourd que ceux maniés par les hommes.

Sa longue chevelure blonde soigneusement tressée et sa poitrine toujours généreuse étaient les derniers attributs féminins qui la distinguait des autres guerriers.

Elle se pencha sur une fillette qui tenait fermement contre elle un petit sac de toile. Ses petites mains étaient tellement crispées que ses phalanges en devenaient blanches. La guerrière tenta de la réconforter en lui caressant la joue mais la petite puce ne comprenait pas tout, elle sentait que le monde autour d’elle vacillait. Aure comprit qu’elle attendait sa mère et la petite finit par accepter d’ouvrir son sac. Dedans, un morceau de tissu, une figurine de bois sculptée par son père et une poignée de graines qu’elle refusait de jeter.

Sur le chemin de ronde, Enguerran et Malthor observaient les collines avoisinantes. Les mercenaires connaissaient maintenant tous la position qu’ils devaient tenir sur les remparts. Les deux hommes préféraient regarder devant, vers l’ennemi qui allait approcher. Ils avaient livré un nombre incalculable de batailles mais jamais ils n’avaient défendu un château avec autant de bouches à nourrir, autant de vies à protéger.


Ils évitaient de se retourner pour essayer de l’oublier.


Surtout que Malthor avait un mauvais pressentiment.


Il inspira profondément. Le vent portait une odeur de cendres.

Il pensa à ses frères d’armes, à ceux qui tomberaient demain. Pour la première fois, il n’était pas certain de survivre à cette bataille. Était-ce cela que les autres appelaient la peur ?

Des prières montaient comme des murmures désespérés d’une chapelle improvisée. Celui qui faisait office de prêtre, les mains tremblantes, bénissait les soldats, les enfants… Toutes celles et ceux qui venaient à lui.

Ce n’était pas la première fois que le mal traversait la frontière à l’Ouest, mais d’habitude un prince l’attendait avec suffisamment d’hommes pour le contenir. Comme le prince Balthar l’avait fait dans le Sud face aux Jötunn.

Mais cette fois, de façon inédite, le mal avait comploté, affaibli les défenses avant son attaque et désorganisé la province.


Raguard, Kronin et Skögul s’assurèrent que tous les paysans et les soldats plus ou moins bien entraînés étaient bien à l’abri dans la troisième enceinte. Ils fermèrent le pont-levis et donnèrent les dernières consignes aux mercenaires restés avec eux : préparer l’huile bouillante, distribuer les dernières armes …

Puis les compagnons se rassemblèrent tous avec la comtesse dans la grande salle du donjon pour un dernier repas avant la bataille.

Kronin et Raguard s’enivraient joyeusement, feignant l’insouciance.

Skögul et Aure semblaient comploter discrètement.

Enguerran, Mandrax et la comtesse parlaient politique.


Malthor restait seul.


Alors que tout le monde se levait pour essayer d’aller dormir quelques heures avant le combat, le colosse retint Aure par le bras et la garda à l’écart.


— Aure, je n’ai pas voulu en parler devant les autres mais je ne peux pas garantir que nous serons victorieux demain.

— Je sais bien Malthor… Mais s’il-te-plaît, continue à te comporter comme d’habitude. Tant que nos combattants ne sentiront pas la peur chez toi, ils seront plus courageux.


Il laissa glisser sa main le long de son bras pour prendre la sienne. Et il parla moins fort.


— Te rappelles-tu la promesse que tu m’as faite ?


Aure se troubla. Elle était concentrée sur la bataille et avait complétement oublié qu’elle avait offert sa virginité à Malthor.


— Je ne devais l’honorer que lorsque tu m’aurais aidé à venger mon père ! protesta-t-elle.


Skögul et la comtesse qui étaient restées à la porte regardèrent respectivement la demoiselle et le guerrier pour essayer de décrypter ce qui se passait.

Malthor leur rendit un regard noir.


— Et penses-tu que je puisse me dérober maintenant ? Cela fait deux ans que tu es venue me trouver et que je me bats pour que nous soyons prêts à venger ton père.

— Nous devions passer ensemble la première nuit dans mon château, il est encore loin d’être reconstruit ! murmura-t-elle indignée.

— Tu es déjà dans ton château et nous venons de passer plus d’un an à le renforcer et l’embellir !


Les pensées s’entrechoquaient dans la tête d’Aure et son cœur battait à tout rompre.


Malthor continuait à lui caresser la main.


Elle tourna la tête et fit un signe de tête à Skögul qui comprit qu’elle pouvait la laisser.

Le colosse fusilla sa mère du regard jusqu’à ce qu’elle quitte la pièce également.


Aure n’avait pas imaginé que les choses se passeraient comme cela mais ils seraient certainement tous morts demain.


Était-ce pour ne pas décevoir Malthor ?

Était-ce pour avoir l’occasion de goûter au moins une fois au plaisir charnel ?

Ressentait-elle finalement quelque chose pour lui ?


Elle se le demandait encore lorsqu’elle referma sa main sur la sienne et le suivit dans sa chambre.

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