Le métro
C’est la fin de ma journée de travail. J’entame mon parcours habituel dans la jungle urbaine entre marche à pied et métros.
Le trafic du métro est régulièrement en proie à des incidents qui bloquent leur circulation sur la ligne. J’ai découvert les coulisses décevantes des transports en commun Montréalais. Toutefois, lorsque j’entends la douce voix de la STM (Société de Transport Montréalaise) annoncé l’interruption du trafic, je n’ai jamais été spectateur de la dite panne. Une vague information sur “un problème technique”, “un incident sur la voie”, “un objet” ou “une personne blessée et/ou malade” contraint cet arrêt. Aucun autre détail. Vous attendez plus ou moins longtemps et le trafic reprend.
Ce jour-là, j’ai la réponse à cette curiosité. C’était une journée calme et tranquille. Je suis dans la rame de métro et on arrive à une station. Nous sommes à l’arrêt. Je suis assis en train de lire. J’entends une explosion à l’autre bout du métro. Il se passe trois secondes avant que tout le monde court dans la panique la plus totale en direction de la sortie. Les gens crient. J’entends “courez ! courez !”. Par chance, je suis dans le wagon à côté de la sortie. Je cours comme tout le monde.
Pendant que je monte l’escalator, je me dis que tout peut s’arrêter à la seconde. Vais-je être happé par la foule ?
Alors voilà, tout peut-il basculer aussi facilement ?
Je cours et j’arrive à penser : “Le bâtiment va-t-il exploser ?”, “Y-a-t’il des flammes derrière moi ?”, “Des blessés ?”.
J’ai le temps d’imaginer tous les scénarios. C’est la première fois que frappe l'instinct de survie.
Aussi court le moment soit-il, le mal est fait.
J’arrive dehors. Je vais bien. Il y a un homme qui s’approche de moi pour me demander si je viens de vivre l’accident. Je lui dis que oui. On est perdu. Je pense à lui dire qu’un pneu à peut-être explosé. Il a l’air convaincu. Il repart.
Je regarde autour de moi et, comme si de rien était, la vie suit son cours dans le quartier, sur les trottoirs. Pardon, mais qu’est ce que je viens de vivre à l'instant ? Tout est déjà du passé. Un calme apparent qui ne laisserait pas transparaître ce qui s’est joué quelques mètres plus bas sous terre durant la minute précédente.
J’erre pendant quelques minutes, hagard dans la ville.
Il y a cet événement et vous n’en connaissez pas la cause. Peu importe, les conséquences sont là. Vous vivez ce qui vous déstabilise et participe à l’angoisse existentielle de perte, de mort.
Je revis ces angoisses.
Pourquoi m'a-t-on exposé une nouvelle fois à cette fulgurance qui me glace le sang ? Une montée d’adrénaline toxique. Comme un poison sur l’instant qui cristallise l’ensemble. Fragilisez, vous pouvez vous briser en mille morceaux.
Le lendemain de l’incident sur la ligne, je suis en quête de réponse. Je demande à un agent. C’est un pneu qui a explosé. On a tous en tête les attentats, ou le fait divers macabre d’une personne qui serait passé à l’acte. Bref, cet événement invoque les plus sombres des scénarios, mais surtout, il trompe sur ce que nous allons nous fabriquer à cause de lui. Grave ou non, les leçons tirées s’observent dans la manière de le subir ou non.
Le déguisement que nous faisons porter aux épreuves façonnent le spectacle dans lequel nous décidons de continuer à vivre.
Un métro. Une fulgurance. C’est ce centième de seconde qui vous fait basculer d’une vie à une autre.
Une mort.
Un coup de foudre.
Une annonce.
Ce dont je suis sûr c’est que je ne suis sûr de rien.
J’ai 6 ans. Je suis dans ce métro. C’est l’explosion. Je suis tout seul. Je marche. Elle est à côté. Ce n’est plus le métro. C’est une chambre. Elle est là. Allongée.
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