Victor Hugo

Mia était un beau bébé, si tant est que l'on puisse qualifier un bébé de "beau". Saku n'aurait su dire. Lui ne voyait que l'âme, et ce qu'il voyait était somptueux. Lumineux. Pénétrant.

Exactement comme dans son souvenir.

Il était ravi de ce constat, même s'il n'en avait jamais douté. Saku ne doutait pas. C'était un luxe, ou une malédiction, qui appartenait à l'homme, et seulement à lui. Du haut de ses milliers d'années d'existence, il n'avait cessé d'observer les critères de beauté défiler dans un mélange d'incompréhension et de curiosité.

De l'être humain, il était curieux. Jamais jugeant, toujours aimant, parfois désabusé, mais surtout curieux. Il était loin le temps où, lui aussi, avait expérimenté cet état. A certains moments, il devait l'admettre, cela lui manquait.

Oubliant l'environnement austère de la salle de travail - quels mots infects pour l'endroit où le miracle de la vie se produisait - Saku concentra son attention sur la petite fille.

Elle le fascinait. Faisait trembler son enveloppe éthérée. Irradiait les pores d'une peau qu'il n'avait plus. Lui faisait éprouver des sensations que le reste ne parvenait qu'à effleurer, pâles ersatz d'émotions qui n'appartenaient qu'à l'être venant de naître.

Mia n'avait pas pleuré, comme cela arrive parfois lorsque l'enfant paraît. Elle avait ouvert ses yeux, de grands yeux sombres plein de sagesse, sur le monde qui l'accueillait désormais. Il avait perçu son essence, celle qu'il aimait tant, soupeser les alentours. Elle se souvenait encore, un peu, mais très vite, cela cesserait. Elle deviendrait ce bébé, cet enfant, cette femme, qui avait une mission à accomplir, une mission pour laquelle elle avait signée.

Saku savait qu'elle y parviendrait, tout comme il savait que ce serait dur. Cela importait peu, puisqu'il la guiderait dans cette entreprise. Il avait été désigné pour ce rôle, et il lui était impensable de ne pas y mettre tout son coeur.

Mia n'était pas sa seule mission, loin de là, mais elle primait sur les autres. Il en avait décidé ainsi, si tant est, là encore, qu'il y ait des choses à décider. Le destin, comme le nommait les humains, balayait parfois les traces d'un libre arbitre auquel il avait toujours cru.

En réalité, il ne se posait pas vraiment la question de la nature du lien qui l'unissait à Mia. Les hommes questionnent, les siens acceptent, et c'était une des nombreuses différences entre les deux entités.

La petite fille gazouilla. Son observation terminée, elle se blottit contre sa mère. Peu pressée d'attraper le sein tendu, elle entreprit de jauger le visage rempli d'amour qui la regardait. Saku sourit. L'enfant défiait la vie, déjà, d'une façon tout ce qu'il y avait de plus saine, cette façon de dire, avec un aplomb déconcertant "je ne suis pas d'ici, je ne le serai jamais, mais j'ai des choses à accomplir, quoique vous en pensiez, quoique vous disiez, quoique vous croyiez."

Oui, c'était un beau bébé, et bien que l'absence mordait son coeur, il était heureux.

Mia vivait, et il pouvait la regarder vivre. Un jour, elle lui reviendrait. Demain, dans mille ans, il verrait bien. Le temps, en ces lieux, n'avait cours. Là encore, c'était une préoccupation d'hommes, dont la mortalité avérée posait bien des cas de conscience pour cette espèce à la durée de vie si courte.

Ce qui se passerait dans l'attente de ce moment béni déterminerait tant et tant de choses qu'y penser lui donnait le vertige, aussi, il cessa de réfléchir, préférant se repaître de l'image du bébé désormais endormi entre les seins maternels.

Aujourd'hui était le début d'une grande aventure qui, il y était préparé, aller transformer le monde dans lequel l'enfant avait choisi d'évoluer.