Seule l'enfance est allègrement immortelle

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Dr Guy Farjon

Mia n'était pas une enfant bruyante. Douce, discrète, elle appréciait la solitude, ce qui lui valait des regards étranges, des réactions stupéfaites, des murmures malveillants.

A-t-on idée d'aimer le calme d'une nuit de rêves, la quiétude d'un ciel étoilée, le silence d'un coucher de soleil ?

Peut-on se passer de la compagnie de l'Autre, celui qui accompagne, qui embrasse, qui console ? Qui blesse, qui confronte, qui assassine ?

Mia avait huit ans, et l'avis des autres ne la touchait guère. Aucune présence autre que la sienne ne la comblait réellement. Ce n'était pas de l'égoïsme, encore moins de la misantropie, une simple acceptation que ce que l'on cherche à l'extérieur se trouve, en réalité, tout au fond de sa propre intériorité.

Les enfants savent. Les enfants vivent. Les enfants croient.

Ce sont des étoiles immortelles.

Saku ne se lassait pas de l'observer grandir. De la voir évoluer. De la regarder "être".

Il savait que cela ne durerait pas. L'enfance se fait vite faucher, bien trop vite, par l'âge de raison, celui du rationnel, du complexe, du réfléchi. C'était ainsi. Elle devait en passer par là, et s'il l'acceptait, il n'avait pas vraiment hâte que cela se produise.

Pour le moment, Mia lui parlait. C'était sans doute ça, une partie de son secret, de cette solitude acceptée, de cette sérénité qui impressionnait tellement les adultes. L'enfant n'était pas véritablement isolée. Elle l'avait, lui, tout comme il l'avait, elle.

Ses autres missions ? Des souvenirs déjà presque anciens. Son indifférence à l'égard de ses protégés lui vaudrait des remontrances un jour, mais il s'en moquait. Cela valait la peine.

L'enfant valait la peine.

Catalogué d'ami imaginaire par des psy qui pensaient avoir percé les mystères de l'inconscient, Saku se plaisait à cette place. S'il ne pouvait la toucher, il l'entendait. Il buvait ses paroles, lui répondant par tous les moyens à sa disposition, quelques arcs-en-ciel, des nuages dans le ciel, ou encore des plumes sur sa route. Ainsi, il lui assurait sa présence, son amour, son soutien, et, déjà, il lui apprenait à voir au-delà du visible, à écouter son coeur plutôt que sa tête.

Cette forme d'initiation, que la petite fille allait oublier, était toutefois essentielle pour la suite. Quand le jour viendrait, il suffirait de lui rafraîchir la mémoire. De lui rappeler ce qu'elle avait déjà appris, compris, perçu.

"Regarde, un tournesol !"

Elle rit en faisant tourner la fleur sur elle-même.

Qu'il aimait ce rire cristallin.

Doucement, il souffla une petite brise sur la main enfantine et les pétalent s'envolèrent, tourbillonnant dans les airs sous les yeux subjuguée de l'enfant.

En dévisageant ses traits extatiques, Saku pensa que Mia n'était pas seulement en vie. Elle était la vie.

***

Mia regagna sa maison au pas de course. Elle ne passait pas beaucoup de temps dehors, adorant la chaleur de son lit, dans lequel ses rêves prenaient la consistance de la réalité, mais lorsqu'elle s'aventurait dans la nature, elle perdait toute notion du temps.

L'Univers était passionnant, un vaste sujet d'étude pour un cerveau en constante ébullition, une paix du coeur et de l'esprit. Une façon de se ressourcer, de se reconnecter, de s'ancrer, comme disaient les adultes autour d'elle. Ces mots de grands, qu'elle aimait bien répéter en secret ou au chat de la voisine, elle se les appropriaient non par leur sens, mais au grès de leur vibration.

Mia aimait les mots. Elle aimait les prononcer et, plus tard, elle aimerait les écrire. C'était ainsi. Elle ne se posait pas de questions, jamais, ou alors, uniquement celles qui comptent.

Les nuages sont-ils fait de guimauve ? Où vont les larmes quand elles ne parviennent pas à couler ? Les anges mangent-ils du chocolat ?

- Marine t'invite à dormir chez elle samedi soir.

La déclaration de sa mère lors du dîner l'avait prise au dépourvu. Elle n'en avait pas envie, seulement, elle ne refusa pas. Confusément, elle commençait à sentir qu'il y avait des choses à dire, à faire, dans ce monde qu'elle ne comprenait pas toujours.

Parfois, elle songeait qu'elle venait d'ailleurs.

A certains moments, elle pensait qu'elle n'appartenait pas à cette famille, à cette Terre, à cet endroit qu'ils appelaient tous "maison".

Souvent, elle avait l'intime conviction que quelque chose, quelqu'un, l'attendait quelque part.

C'était paradoxal. Mia aimait être seule, profondément, tout en étant persuadée qu'une entité dont elle ne connaissait pas le nom se cachait quelque part, attendant simplement qu'elle le trouve.

Elle était une enfant pétrie de contradictions à un âge où cela ne choque pas. A un âge où, intuitivement, on sait que les contraires sont le symbole même de l'existence, et qu'il n'appartient à qu'à l'homme d'en voir l'unité et non l'opposition.

La petite fille était un oxymore, encore un mot de grand qu'elle ne comprenait pas, mais elle s'en moquait royalement.

Elle était, comme tous les enfants, le parfait exemple de ce que les adultes cherchent désespérément sans parvenir à le toucher du doigts. Un équilibre vibrant.

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