Mignonne, allons voir si la rose

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Pierre de Ronsard.

Quinze ans. Mia venait d'avoir quinze ans. Cela faisait bien longtemps qu'elle ne parlait plus à Saku, mais ce dernier n'avait pas pour autant cesser de lui envoyer des messages. C'était son rôle, sa mission, et surtout, son plus grand bonheur.

Quelques fleurs sur le pas de sa porte.

Une coccinelle au creux de ses reins.

Une chanson délicate dans le bus qui l'emmenait au lycée.

Quelques phrases disséminées au gré de ses lectures, dont la sonorité lui plaisait.

Patiemment, relégué au rôle de rêveries aussi stupides que lointaines, il l'aidait à avancer, à traverser les méandres de sa vie, à se diriger vers sa destinée.

En sept années d'existence, l'enfant était devenue une jeune femme. Sur la route, elle avait perdu son innocence, ses rêves les plus chers, et sa vision pure de l'Univers.

Elle avait néanmoins gardé l'amour des mots, une profonde communion avec nature, et cette façon de vivre dans ses pensées, lieu auquel personne n'avait eu accès pour le moment.

Saku n'était pas triste. C'était prévu. Il n'en restait pas moins légèrement mélancolique, regrettant en son for intérieur la connexion si spéciale qui les liait tous deux. Même s'il savait qu'elle était simplement enfouie, que jamais elle ne pourrait se briser, il éprouvait une forme de nostalgie, probable mémoire de ses vies humaines passées.

Ici, chez lui, il n'y avait pas de place pour la colère, la jalousie, ou encore le désespoir. Il n'existait que l'amour, celui dont les hommes parlent tout le temps sans le connaître vraiment, celui dont on fait les contes, les chansons, les poèmes. Aimer étant son essence, il l'adorait en silence.

Il l'aimait boudeuse et affligée. Drôle et spontané. Fière et maladroite. Brillante et exaltée. Il l'aimait comme on aime les choses simples, les gens vrais, les moments doux, sans raison réelle, juste parce que c'est ainsi que ça doit être.

Plus Mia grandissait, plus il la perdait, et plus il la perdait, plus il l'aimait intensément.

Toutes ces étapes, il le savait, faisaient partie d'un plan plus vaste, plus grand, plus important. L'adolescente devait se conformer, s'oublier, se frotter à la vie cartésienne que sa famille avait décidée pour elle. Un jour, elle se perdrait, parce qu'il est nécessaire de se perdre pour se trouver, mais ce n'était pas le bon moment. Il viendrait. De ça non plus, Saku ne doutait pas. En attendant, il restait présent, fidèle, observateur, quand bien même la petite âme se noyait dans les méandes de son ego.

Elle ne voyait plus les sourires dans les nuages.

Elle ne dansait plus sous la pluie en riant.

Elle ne restait plus des heures à rêvasser dans son lit.

Elle ne prêtait plus attention à tous ces petits signes qui, lorsqu'on est capable de les voir, indiquent le bon chemin.

En résumé, elle était devenue humaine, pleinement humaine, envahie de certitudes, poursuivant des projets futiles et s'attachant à des croyances erronnées.

Elle avait découvert l'attachement, la sexualité, et l'affection, sans en être totalement satisfaite. Elle cherchait le plaisir, s'enivrait de peaux, et se bercait dans les bras d'hommes de passage, s'offrant mais ne se donnant jamais, un goût d'inachevée dans la bouche.

Elle ne comprenait pas ces élans du coeur imparfaits, ces communions surjouées, ces émotions factices. Si elle y trouvait un réconfort certain, elle songeait bien souvent qu'elle ne faisait qu'approcher la véritable lumière que l'on est supposé ressentir lorsque deux êtres se touchent, cette extase du coeur et pas seulement du corps, que quelques livres relataient avec une précision nette.

Saku la voyait espérer, croire, donner, prendre, rire, pleurer, éprouvant à travers l'explosion de la sensibilité de Mia toute une panoplie d'émotions qui faisait le propre de l'homme.

La jeune femme s'était persuadée que ce monde était le sien sans parvenir totalement à s'y conforter. Cela créeait des dissonnances, parfois vivables, souvent inconfortables, qu'elle enterrait avec le reste, ses rêves, ses désirs, ses envies.

Un jour, cela la sauverait. Un jour, ces vagues de malaise qui l'assaillaient sans prévenir, au petit matin ou au creux de la nuit, lui donneraient l'élan de vivre complètement. Un jour, elle comprendrait que ce qu'elle avait accepté comme réalité n'était que le voile d'une illusion violente.

Fort de ces certitudes, Saku attendait, encore et encore, l'heure de retrouver cette âme qui lui appartenait.

La patience était un art qu'il avait eu tout le loisir de peaufiner.

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