Chapitre 3
Naeliya ne savait plus où se mettre.
Voilà une bonne heure, si ce n'est plus, qu'elle était assise sur ce canapé confortable, dans un salon qui sentait la chaleur humaine et l'amour d'une famille soudée. En était-elle jalouse ? Loin de là. Elle avait un lien très fort avec ses parents et ce, même avant sa cécité.
— Maman ? entendit-elle. Est-ce que la dame est malade ?
L'innocence des enfants était adorable et parfois aussi tranchante qu'une lame affûtée.
— Tu penses qu'elle est malade ? demanda la femme, avec une douceur maternelle qui fit monter les larmes aux yeux de Naeliya.
— Rassure-toi, petit Prince, fit une voix sombre. Cette femme n'est pas malade, simplement choquée.
— Tu penses, oncle Tarik ? L'interrogea le garçon en tournant vers lui son regard inquiet et brillant de curiosité.
L'Oni posa sa large main sur sa petite tête et lui adressa un sourire sincère et chaleureux. Naeliya ne pouvait le voir, mais sentit cette chaleur. Comme si la femme et son enfant dirigeaient cette communauté et qu'ils leur étaient d'une loyauté sans faille.
Des voix dehors les avertirent que de nouvelles personnes venaient d'arriver.
— Papa est là, déclara la femme enceinte.
Taeliya vit son invitée se tendre. Elle se leva et vint s'asseoir à la place de Joe.
— Naeliya, tout ira bien, lui assura-t-elle en posant délicatement une main glacée sur son avant-bras. Mon père ne te fera pas de mal, pas plus que les hommes qui arrivent.
— Co-Comment pouvez-vous en être aussi sûr ?! S'exclama finalement la jeune femme. Même moi, je ne suis pas sûr de ce qu'il vient de se passer et pourquoi j'ai fini ici !
Les larmes coulèrent sur ses joues. C'est alors que Stein Carlington entra dans la maison et assista à une scène inédite. Une femme tenant une canne pour non-voyant, pleura à chaudes larmes, une main posée sur le ventre de Taeliya, qui la lui maintenait placée sur le rebond de son corps de future mère. La femme ne cessait de s'excuser, pleurant à tout-va. Taeliya souriait doucement, lui caressant les cheveux de son autre main.
— Boss ! s'exclamèrent les hommes dans le salon.
— Puis-je savoir ce qu'il se passe ici ? Pourquoi cette femme a l'air d'avoir rencontré Satan en personne ? demanda le mafieux.
— Papy !
— Bonsoir, mon petit. Est-ce que tu vas bien ? S'enquit Stein, regardant sa fille.
— Tout va bien, papa, le rassura-t-elle, un sourire confiant sur le visage.
— Chérie, tu devrais garder le plaid sur toi, gronda Noah. Tu trembles encore.
Il lui rajusta le drap chaud autour d'elle, s'installant sur le rebord du canapé, une main sur son épaule. D'autres bruits de pas se firent entendre et une voix profonde déclara :
— Nous nous en sommes occupés.
— On ne peut pas faire ça ici, dit Taeliya, se rendant compte que sa maison devenait un repaire qui empesait le sang. Nous devrions descendre.
— Tu devrais rester ici, suggéra Stein.
— Non. Naeliya ne vous affrontera pas seule. Je resterai avec elle. Mark et Jess, vous pouvez garder Elios?
— Entendu. Viens, petit Prince, fit Jess en tendant sa main vers l'enfant. On va jouer un peu.
Elios jeta un coup d'œil à ses parents avant de glisser ses petits doigts dans la main du mafieux et se laissa guider vers sa chambre. Taeliya poussa un long soupir et se tourna vers la jeune femme.
— Naeliya.
— Ou-Oui ? Bredouilla-t-elle.
— Nous allons devoir nous déplacer... ailleurs. Je ne veux pas que mon fils entende toute l'histoire ni ce qui pourrait ce dire de plus.
— D'ac-cord...
— Peux-tu te lever ?
— Je... Je crois, oui.
— Je m'appelle Taeliya Carlington, se présenta la jeune maman.
Naeliya fronça soudainement les sourcils. Carlington ? Elle avait déjà entendu ce nom quelque part, mais ne savait plus où, jusqu'à ce qu'elle se rappelle un article sur le massacre, quelques années plus tôt, d'une famille entière et de leurs invités pour avoir osé capturer une jeune femme et vouloir la servir en pâture à des hommes dégoutant. Soudain, elle pâlit.
— LA Taeliya Carlington ?
— C'est bien moi, sourit la concernée.
— Je...
Elle avait mise en danger la fille du mafieux le plus connu de toute l'Europe ! La femme de l'Oni qui devait se trouver juste à côté d'elle ! Mon dieu ! Qu'avait-elle fait ! Mais alors qu'elle paniquait, Taeliya lui parla avec douceur, la rassurant sur le fait qu'elle était innocente dans toute cette histoire, tentant de calmer ses pires craintes.
— Nous devrions y aller, les coupa un homme que Naeliya n'avait pas encore entendu.
— Naeliya, je ne peux pas vraiment marcher, expliqua Taeliya. Mon époux va se tenir devant toi. Joe, notre médecin de famille sera ton guide. C'est lui qui s'est occupé de toi à ton arrivée. Es-tu d'accord ?
La femme aveugle était reconnaissante de sa douceur et de la façon dont elle traitait les choses. Elle qui vivait avec la mort, Naeliya avait l'impression qu'elle en était totalement hermétique. Le ton rassurant qu'elle utilisait avec elle l'aida à rassembler son courage et à se lever. Un homme se plaça devant elle et lui prit délicatement la main pour la placer sur son biceps.
— Allons-y, gronda la voix de l'Oni que Naeliya reconnu.
Ils quittèrent la maison. La pluie était moins forte, mais le froid la frappa avec férocité, la faisant trembler et resserrer sa prise autour du bras du médecin. Il la lui tapota, lui offrant un certain réconfort professionnel qu'avaient les médecins quand leurs patients étaient sur le point de s'évanouir après avoir appris une mauvaise nouvelle. Ils marchèrent sur les graviers et des voix sombres, mais inquiètent, se firent entendre autour du duo de tête. Taeliya parla avec assurance et de la même façon qu'elle l'avait fait avec elle, quelques instants plus tôt.
Puis, une porte s'ouvrit et l'atmosphère se réchauffa, d'à peine quelques degrés seulement.
— Princesse, vous êtes sûr que vous allez bien ? S'enquit un homme.
— Une fois qu'on sera dans la grande salle, je serai plus au chaud, répondit la jeune mère. Rassure-toi, Kim.
— Je m'inquiète quand même. Nous ne sommes pas sereins.
— Je ne suis pas en sucre, pouffa-t-elle.
— Mouais, fit l'Oni. Ça reste à voir.
— Ça veut dire quoi, ça ? S'exclama sa femme.
Naeliya ne put s'empêcher de trouver leur interaction attendrissante, mais quand elle se rappela avec qui elle était, toute chaleur quitta son corps. Joe, la guida vers une chaise, tandis qu'ils entraient dans une nouvelle pièce. Taeliya avait raison, ici il faisait plus chaud. On appliqua un plaid sur ses épaules. Ce simple geste suffit à lui redonner un peu de son assurance.
Noah prit place sur un siège. Taeliya vint s'installer aux côtés de la non-voyante, posant sa main froide sur son avant-bras, pour lui apporter son soutien.
Le silence se fit et le claquement sourd de la porte résonna dans l'esprit de Naeliya comme celle d'une prison froide. Ici allait se dérouler son jugement.
— Ma femme a décidé de vous soutenir, gronda la voix de l'Oni, de l'autre côté de la table. Si vous tentez de lui faire quoi que ce soit-
— Je ne m'y risquerais pas ! S'exclama Naeliya, complètement paniquée.
— Naeliya, murmura Taeliya. Peux-tu nous dire qui tu es ?
La jeune femme tourna son visage vers la fille Carlington et acquiesca.
— Je m'appelle Naeliya Clark. J'ai 23 ans et je suis traductrice interprète en freelance, commença-t-elle. Je suis fille unique. Mes parents vivent à deux heures d'ici. J'ai emménagé dans le village, il y a quelques jours.
La main rassurante de Taeliya l'encouragea à continuer.
— Je suis devenue aveugle à cause d'un accident de voiture avec mes parents.
— Quel âge avais-tu ? Demanda la femme à côté d'elle.
— 15 ans...
— Si jeune...
— Je ne suis diplômée du lycée que depuis mes 19 ans, continua-t-elle.
— Que faisais-tu aujourd'hui ?
— Je travaille depuis quelques mois pour un cabinet d'avocats. Je traduis ce que leurs clients étrangers me disent afin de faire avancer les dossiers. Ce soir, j'avais fini tôt et je voulais m'arrêter à un petit restaurant familiale, juste à côté de chez moi.
Un silence amusé se fit autour d'elle.
— Je vois, gloussa Taeliya.
Mais face à l'air intrigué de la non-voyante, cette dernière lui avoua :
— Le restaurant appartient aux grands-parents d'un de nos chers Oni ici présent.
— Ouais, dit une voix.
— Oh ? J'avais entendu que du bien, mais comme j'étais trop occupée entre le travail et mes cartons, je n'ai pas pu essayer. Je m'étais dit que, comme j'avais fini tôt et que je n'avais plus rien à défaire, je pouvais essayer.
— Je t'y emmènerai demain, lui promit Taeliya.
— Mademoiselle Clark, retentit la voix de Stein Carlington. Racontez-nous ce qu'il s'est passé à votre retour chez vous, je vous prie.
— Oui, pardon, se reprit-elle.
Elle leur expliqua la voiture, les rires derrière elle, la main qui l'attrape soudainement et la course poursuite jusqu'à ce qu'elle atterrisse devant la maison de Taeliya. Puis, elle leur raconta la façon dont Taeliya l'avait protégée avant que tout le monde n'arrive et qu'ils se retrouvent tous dans cette pièce, maintenant. Un long silence s'étira, la rendant mal à l'aise.
— Est-ce que vous savez qui ils sont ? Lui demanda-t-on.
— Je n'ai pas reconnu leurs voix, dit honnêtement Naeliya. Mais ils portaient des parfums assez chers.
— Comment le savez-vous ? demanda Noah.
— Oni. Que fait une personne qui perd un sens ? intervint sa femme.
— Elle développe les autres. J'ai compris. Un point pour toi, mon amour, grogna l'homme.
— De quel parfum parle-t-on ici ? Demanda Stein, intrigué.
— Du genre Dior ou plus haut de gamme encore, répondit Naeliya. Ce genre d'odeur que des personnes qui se croient importantes portent pour se donner un genre ou faire croire qu'ils ont les cartes de votre vie dans leurs mains.
— J'aime votre façon de parler, Mademoiselle Clark, déclara Stein. Vous me rappelez ma fille, à une certaine époque.
— Sauf que je ne pouvais pas parler, j'écrivais sur du papier que Joe et Sonia m'avaient donné, dit sa fille.
— Certes, mon ange. Certes. Mais admets que cette jeune femme et toi avez beaucoup de choses en commun.
— Je ne le nie pas, reconnu Taeliya. Naeliya, est-ce que tu as une close de confidentialité avec le cabinet où tu travailles ?
— Non. C'est ce qui m'a sauté à l'esprit la première fois, mais je me suis dit que chacun agissait différemment, donc je n'ai pas plus prêté attention que ça.
— Sur quoi travaillez-vous, en ce moment ? Demanda Noah.
— Mon dernier dossier était sur un groupe de travailleurs clandestins qui portaient plaintes contre leurs employeurs pour maltraitance sur les chantiers.
— Cocasse comme situation, intervint Joe.
— Je ne sais pas ce qui me sidère le plus, entre ça et le fait qu'ils soient travailleurs clandestins, ajouta Taeliya, poussant un long soupir. Carl ?
— Princesse ?
— Où sont les survivants de ce soir ? S'enquit-elle.
— Ils attendent... Au frais, comme convenu.
— Naeliya. Serais-tu d'accord pour qu'on les fasse entrer ? Je peux t'assurer qu'ils ne te feront rien.
Naeliya pesa le pour et le contre. Mais si elle voulait régler cette histoire au plus vite et surtout retrouver sa tranquillité, alors il lui fallait affronter ses assaillants. Elle était entourée des Oni du clan Carlington et la femme qui les dirigeait se trouvait à ses côtés. Elle fini par hocher la tête.
— Me touchez pas ! S'écria une voix d'homme. Qui êtes-vous ?!
— Retirez cette capuche ! Vous entendez ce que je dis ?!
— Silence ! Gronda la voix féroce et tranchante de Noah, faisant taire tout le monde.
Naeliya sursauta et s'agrippa au bras de Taeliya. Elle sentit L'Oni se placer devant elles, pour protéger la jeune maman, principalement.
— Tristan, Orlan, ordonna Taeliya, avec une assurance que Naeliya savait qu'elle ne pourrait jamais avoir.
Le bruit du tissu lui indiqua qu'on découvrait les hommes.
— Vous êtes qui ? Demanda un des hommes capturés.
— C'est moi qui pose les questions, gronda Noah. Pourquoi vous vous en êtes prit à ma femme ?
— Vot' femme ? L'aveugle ? On avait pour ordre de récupérer l'aveugle, pas la femme enceinte.
Un bruit sourd d'os qui se fracture fit sursauter Naeliya,
— Pourquoi ? Qu'est-ce que vous lui voulez ? Demanda Taeliya.
— Notre patron voulait l'avoir. Elle est jolie et sait parler plusieurs langues. Et point bonus, elle voit rien. Tout bénéf' pour le patron !
L'horreur de ce genre de propos donna envie de vomir aux deux femmes.
Soudain, Stein s'avança et demanda :
— Qui est votre patron ?
— Carlington, murmurèrent les captifs, effrayés par la vision qu'ils avaient devant eux.
— Je n'aime pas me répéter. Mon temps est précieux, tout comme celui de ces gens, ici présent. Qui est votre patron ? Reprit Stein.
— Pablo Ernandez.
***

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