Chapitre 4
Pablo Ernandez…
Quand Naeliya entendit ce nom, quelque chose se brisa en elle. Bien sûr qu’elle connaissait ce nom. Il était la cause de tout ceci. Sa vie, sa dépression, son isolement, ses idées noires, tout. Quand un de ses attaquants prononça ce nom maudit, Naeliya revécu l’accident, ses journées à l’hôpital, priant pour que les opérations qu’elle subissait lui rendent la vue. Elle se replongeait dans ses tourments, ses nuits à pleurer, à crier que le monde était cruel. Puis cette fameuse journée au tribunal, face à Pablo Ernandez.
— Naeliya, entendit-elle tout proche. Connais-tu ce « Pablo Ernandez » ?
Elle ne put que hocher la tête, les larmes lui coulant sur les joues, le corps tremblant de colère, ses poings serrant sa canne.
— C’est lui qui a causé l’accident et qui m’a rendu aveugle, avoua la jeune femme d’une voix froide et aussi tranchante qu’une lame affûtée.
Le groupe tourna son regard vers elle, attendant qu’elle s’explique.
— Mes parents, après l’accident, ont engagé un détective privé pour comprendre pourquoi la police avait clos immédiatement le dossier sans chercher à enquêter, comme ça aurait dû être fait. Nous avons apprit que celui qui était au volant était le fils de Pablo Ernandez, Eduardo. Mais au tribunal, c’est le père qui nous a fait face et s’est amusé à nous descendre. Mes parents ont dû vendre la maison de mon enfance pour les frais d’avocats ainsi que mes opérations et les traitements médicaux…
— Ah ? C’était vous l’oie blanche que le gosse a percuté ? Lança un des hommes, à genoux, un canon de pistolet pointé sur la tempe. Vous vous en êtes relativement bien sort- AH ! ARRÊTEZ ! STOPPEZ-LE !
Des coups lui furent portés. De plus en plus féroces, mais Taeliya ne dit rien. Elle regarda, une main sur son ventre et l’autre tenant Naeliya. Quand elle en eut assez, sa voix froide dit :
— Kim. Ça suffit. Je veux pouvoir l’envoyer comme message à ce Ernandez.
Stein se tendit, les Oni se raidirent, la regardant avec effroi.
— Chérie, l’appela Stein, mais elle leva la main posé sur son ventre, pour le faire taire.
— Je ne sais pas qui est cet homme. Mais si, pour lui, la vie humaine n’est qu’un jeu… Alors, nous allons jouer, décréta la jeune femme.
À cet instant, elle n’était plus Taeliya l’artiste, ni la mère d’un petit garçon adorable ou encore la meilleure amie des femmes du clan. Elle était Taeliya, la fille de Stein Carlington, la femme de l’Oni et la maîtresse des démons. Plus rien ne fut dit. Tous acceptèrent sa décision et les grondements se firent de plus en plus sourds.
— Kim. Carl.
— Princesse ?
— Je veux que ça fasse mal et que ce soit exemplaire. Naeliya est sous ma protection.
L’entendre dire ceci pour la toute première fois. Revendiquer ce genre de pouvoir, les faisaient frissonner. Mais la jeune femme à son côté était complètement perdue. Venait-elle de mettre un pied dans un piège ? Taeliya était une mère ! Était-elle aussi une mafieuse ?
— Entendu, Princesse, répondirent les deux hommes, embarquant les captifs.
— Qu’est-ce qu’ils vont nous faire ? Hé ! On veut pas mourir ! HE !!
— La Maîtresse ordonne, gronda Carl.
— Les Oni obéissent, répondit Kim, de cette voix glaciale qui secoua Naeliya.
Au vu du silence qui s’ensuivit, les captifs venaient sans doute de comprendre ce que leurs mots signifiaient, car elle les entendit prier.
[…]
Ce soir-là, Naeliya fut ramenée chez Taeliya. La jeune femme lui offrit la chambre de son fils pour la nuit. Elle avait refusé de la laisser retourner chez elle, au risque d’y voir un accueil non désiré. La non-voyante ne pouvait qu’accepter. De plus, elle n’avait plus la force de rien. Tout ce dont elle espérait, était de pouvoir dormir et d’effacer cette journée de sa tête. Elios avait été visiblement très heureux de pouvoir donner son lit d’appoint à la jeune femme.
Le garçonnet baillait d’épuisement quand Noah le monta dans leur chambre.
— Il est fatigué, dit le démon en regardant sa belle, dans leur lit, caressant son ventre rond.
— Sa soirée a été mouvementée, sourit-elle.
Il déposa leur fils entre eux, dans le lit.
— Comment tu te sens ? S’enquit-il, inquiet.
— J’ai chaud, murmura sa femme, le regard vairon luisant d’amusement.
Il savait qu’elle essayait de l’aider à ne pas se faire envahir par cette rage et la panique que son état froid lui avait apportée. Kaelis n’en menait pas large. Le démon avait hâte de rencontrer la douce femme dans ses songes, afin de lui faire part de son état.
De l’autre côté de la maison, Naeliya n’arrivait pas à fermer l’oeil. Elle tournait et tournait encore dans le lit, cherchant une position confortable, tout en essayant de chasser les derniers souvenirs de la soirée. Pourtant, elle n’arrivait pas à oublier qui l’avait protégé et où elle se trouvait.
Taeliya Carlington, la femme du Oni le plus terrifiant au monde. Elle était à présent mère d’un petit garçon et future maman. Mais le fait de se dire que c’était la fille de Stein Carlington, Naeliya ne put empêcher les frissons de parcourir son corps.
— Qu’est-ce que je fais là ? se murmura-t-elle pour elle-même.
Elle se tourna de nouveau et ferma les yeux, espérant, cette fois, trouver le sommeil.
Elle se sentit glisser, comme si on la tirait avec délicatesse dans un endroit qui serait doux et confortable. Alors qu’elle ouvrit les yeux elle poussa un petit cri. Elle voyait ! Elle voyait tout ! Le stress lui avait-il rendu sa vue ? Des larmes lui coulèrent sur les joues, mais très vite, elle se rendit compte que ce n’était pas la réalité. Des ombres se présentèrent à elle. Menaçantes, des rires froids et surtout une aura meurtrière qui lui donna envie de fuir. Mais où aller ?
— Salut, ma mignonne, lança une des ombres, visiblement très amusée par sa panique. T’es toute seule ?
— J’ai l’air d’être accompagnée ? répondit la jeune femme, se surprenant elle-même avec sa répartie.
Les ombres semblèrent tout aussi surprises qu’elle, puis se mirent à rire. Naeliya, ne sachant pas vraiment ce qu’il se passait, se mit à reculer. Elle savait que ce n’était pas la réalité, mais était complètement perdue. Que devait-elle faire ? Où aller ? Soudain, elle trébucha en arrière et tomba sur les fesses.
— Eh bien ? On ne sait plus tenir debout ? s’amusa une ombre.
Et alors qu’elle les voyait s’approcher, la panique la prit, mais un grondement féroce et sourd figea le temps. Les ombres se redressèrent et regardèrent partout, cherchant d’où provenaient ces sons terrifiants. L’une d’elles s’est tout de même rapprochée de la jeune femme qui se mit à crier.
— Partez ! Foutez-mois la paix ! Dégagez !
— C’est qu’elle est vive. Je vais bien m’a-
— Elle a dit qu’elle voulait la paix, gronda une voix d’outre-tombe.
Ce genre de voix qui, vous pouvez en être certain, ne vous quitterait jamais. Elle vous suivrait dans vos pensées, vos rêves et vos cauchemars. Naeliya avait l’impression qu’elle était dans un film d’horreur et cette voix lui collait à la peau. Et alors que les ombres se rassemblèrent, inquiètes, les grondements reprirent de plus belle, tout proche de la jeune femme.
— La demoiselle vous a dit de dégager. Besoin d’aide ?
Le son que la voix poussa ensuite, fit complètement disparaître les ombres et laissa Naeliya seule avec cette entité inconnue qu’elle n’osait regarder.
— Humain, dit la voix. T’en as mis du temps.
— Excuse-moi, la Princesse m’a donné une mission à faire, répondit quelqu’un que Naeliya reconnu. Qu’est-ce qu’il se passe ici ?
— Cette jeune fille s’est perdue et ne semble pas savoir où elle se trouve.
— Jeune fille ? Que… Mademoiselle Clark ?
— Qui… bredouilla Naeliya.
Un homme assez grand à la carrure large, le visage sombre et les cheveux noirs coiffés à la mode asiatique qu’elle avait aimée, avant son accident, se trouvait là, devant elle. Il s’approcha, se pencha pour lui tendre la main, afin de l’aider à la remettre sur pied.
— Vous… Vous êtes un des démons, c’est ça ? Demanda-t-elle, n’osant vraiment y croire.
— En effet, répondit l’homme en hochant la tête. Je m’appelle Kim.
Kim ? Oh ! Elle se rappelait maintenant ! Il était l’un des deux démons qui avait reçu pour ordre de s’occuper des captifs qui avaient tenté de l’agresser.
— Monsieur Kim… Que-
— Nous devrions y aller, dit la voix sombre derrière elle.
— Je vais vous guider, fit alors Kim, gardant la main de Naeliya dans la sienne.
Mais avant même qu’elle ne dise quoi que ce soit, ils l’escortèrent à travers un square vide, vers une voiture, garée entre deux réverbères allumés. Kim l’aida à monter à l’arrière, ferma la portière avant de prendre place derrière le volant. Elle ne vit pas la personne à la voix surnaturelle, pourtant… elle savait qu’elle était là. Kim démarra et fonça à travers des scènes vides. Dans une sorte de nuit d’automne, elle pouvait voir des panoramas sortit tout droit de films ou de photos de professionnelles. Elle put admirer des endroits qu’elle ne connaissait pas, mais qu’elle trouvait époustouflants. Où était-elle ? Pourquoi pouvait-elle voir ? Mais les vraies questions, celles qu’elle se refusait à se poser, restèrent dans un coin de son cerveau. Elle préférait les remettre à plus tard. Mais avec qui pourrait-elle en parler ? Taeliya ? Elle était celle qui dirigeait cette bande d’hommes sanguinaires et mystérieux. Comment lui en parler sans passer pour une folle ? D’ailleurs, ne l’était-elle pas, au final ?
La voiture s’arrêta dans ce qui semblait être un début de forêt. L’ambiance lui rappela quelque chose.
— M… Monsieur Kim, dit-elle, d’une voix peu assurée. Où sommes-nous ?
Les portes à l’avant s’ouvrirent, sans aucune réponse. Quand la sienne lui fut ouverte, une main gantée et étrange, lui apparue. Était-ce vraiment une main ?
— N’ayez crainte, Mademoiselle, fit cette voix terrifiante. Je ne vous ferai aucun mal.
Elle se figea et commença à comprendre. Les démons. Les Oni. Elle ne savait pas pourquoi ils étaient appelés ainsi. Seule Taeliya devait savoir. Elle n’était pas dans la réalité, mais dans une sorte de rêve partagé avec Kim et cette entité. Timidement, ne voulant pas se faire dévorer, ni froisser qui que ce soit, elle glissa sa main froide sur le gant et se laissa guider vers l’extérieur. Ses pieds touchèrent les graviers et l’ambiance fut totalement différente.
— Est-ce que nous sommes chez vous ? demanda Naeliya, découvrant la scène pour la première fois.
— Vous voyez ? l’interrogea Kim, tournant vers elle un regard surpris.
— J’en suis la première surprise, répondit la jeune femme, hochant la tête, plongeant son regard dans celui du coréen. Je… Où sommes-nous, réellement ?
— Rentrons, fit l’entité. Par ici.
Elle se laissa guider vers une maison dans un style ancien qu’elle trouvait détonnant dans cette ambiance étrange et féroce. Une fois à l’intérieur, l’espace était rangé. L’atmosphère qu’elle ressentit était totalement masculine. Aucune femme n’habitait ici, ce qui soulagea Naeliya, d’une certaine manière. Elle se sentit moins coupable d’y mettre les pieds. Kim l’invita à entrer et la précéda vers le salon. Mais quand elle se tourna vers lui pour le remercier, tout son corps se glaça. Face à elle se trouvait le mafieux, qu’elle put découvrir sous un nouvel angle et l’entité. Elle ressemblait aux démons des folklores asiatiques. C’était immense, large et terrifiant. Le masque de démon sur le visage lui donnait des sueurs froides.
Elle mit ses deux mains devant la bouche et murmura :
— Oh, mon dieu…
— Je ne sais pas de quel dieu vous parlez, Mademoiselle, lui dit le monstre qui lui faisait face. Mais mon nom a moi est Samsara. Comment vous dites, déjà ? Ah, oui ! Je suis très enchanté de faire votre connaissance.
— Je…
Naeliya ne savait quoi répondre. Elle prit la main que lui tendait la créature et se laissa faire, complètement tétanisée.
Mais après un moment à le regarder sans rien dire, tentant simplement de comprendre ce à quoi elle faisait face, ce dernier lui dit :
— Ne devriez-vous pas vous présenter ?
— Oh ! Euh… Je… Pardon, c’est que… Je ne…
— Laisse-la, intervint Kim, revenant avec un plateau où étaient disposées de petites tasses et une théière fumantes. Tu vois bien qu’elle est terrorisée.
— Je lui fais peur ? S’enquit l’entité. Je vous fais peur ?
Naeliya ne sut quoi lui répondre.
— Laisse-la, donc. Elle se présentera une fois qu’elle sera un peu plus calme. Installez-vous, Mademoiselle Clark.
La jeune femme se sentit tomber sur le canapé, ses forces l’ayant totalement abandonnée. Elle regarda Kim utiliser la théière et verser de l’eau chaude dans les petites tasses et les disposer sur la table basse.
— Viens t’asseoir, ordonna le mafieux à la créature.
— J’en reviens pas que je lui fasse peur, grommela le monstre, visiblement vexé. Avec Taeliya, c’est différent.
— La Princesse est habituée, pas Mademoiselle Clark, rétorqua Kim.
Ce fut le déclic que Naeliya attendait. Elle venait d’avoir la confirmation que la jeune mère connaissait ces monstres. Elle n’en avait pas peur ? Comment était-ce possible ?! Pourtant, quelque chose la fit tiquer. Cette main gantée, plus tôt, cette voix froide et les grondements qui l’avaient défendue quand elle était en mauvaise posture… Tout cela venait de la même personne. Samsara. C’est alors qu’elle réalisa quelque chose. Les Oni avait une particularité bien précise que Taeliya connaissait et gardait secrète. Ils possédaient ce genre de créature en eux et c’était ça qui faisait leur force.
Elle prit la petite tasse et bu d’une traite le liquide chaud qui lui brûla la gorge, puis se tourna vers la créature.
— Je m’excuse d’avoir été impolie, Monsieur, dit-elle. Je m’appelle Naeliya Clark. Je suis non-voyante.
Samsara la dévisagea, intrigué.
— Non-voyante ? Pourtant, vous semblez très bien me voir, pour être effrayée, jeune fille, bougonna le monstre.
— C’est ce qui m’a aussi surprise, répondit la jeune femme.
Elle lui expliqua ce que Kim savait déjà, aidant ainsi son démon à comprendre la situation.
— Ce qui m’intrigue, jeune fille, dit-il. C’est… Qu’est-ce que vous faites ici ? Dans ce plan ?
— Je n’en sais rien, avoua-t-elle. Je ne sais même pas où nous sommes…
— Vous êtes dans mon rêve, déclara Kim, le regard sombre, braqué sur elle.
***

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