Chapitre 7

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— Est-ce qu’elle dort ? demanda une voix dans l’embrasure d’une porte.

— Je crois, répondit une voix grave. Je devrais rester avec elle.

— Kim-

— Non, laisse-le faire, intervint une voix féminine. Je pense que c’est le mieux pour eux.

Le silence revint et une porte se ferma. Des bruits de pas s’éloignèrent. Quelqu’un s’assit sur le bord du matelas où reposait Naeliya, épuisée par cette journée éprouvante. Mais à peine une porte claqua, que la personne se leva pour se diriger vers une autre pièce d’où on pouvait entendre l’eau couler.

Naeliya n’avait conscience de rien. Elle se trouvait dans ce rêve de la veille, ce parc, en pleine nuit, uniquement éclairé par des lampadaires. Le tout donnait un aspect lugubre au lieu, comme sorti d’un film d’horreur. Les ombres qui l’avaient agressé la veille, revinrent.

— Eh bien ? Une envie de se faire une frayeur ?

— Que voulez-vous, j’aime le risque, répondit Naeliya, avec une certaine assurance. Je peux savoir ce que vous êtes ? Hormis me faire chier pendant que je profite du paysage.

Les ombres restèrent silencieuses, visiblement surprises qu’on leur réponde de cette manière. Mais alors que l’une d’entre elle voulu lui répondre, un grondement les fit fuir. Sans se retourner, elle savait qui était là.

— Bonsoir, jeune fille.

— Bonsoir, Monsieur, répondit-elle, un sourire sincère sur le visage.

Elle se tourna pour faire face à ce démon terrifiant, portant ce masque coréen sur le visage, pour cacher l’horreur qui se trouvait derrière. Pourtant, malgré la peur qu’il inspirait, Naeliya se sentait étrangement à l’aise en sa présence. Il vint s’asseoir à côté d’elle, sur le banc où elle s’était assise. Le silence n’était pas pesant, bien au contraire. Il était doux, léger, simple.

— Comment allez-vous, jeune fille ? s’enquit-il, au bout de ce qu’il leur parut un long moment.

— Fatiguée, lui répondit-elle. Tout ça…

— Ne vous semble pas réel, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Prenons en compte ce qu’il vous est arrivé aujourd’hui, avec ces abrutis…

Samsara semblait être très en colère. C’est alors qu’il se proposa de la conduire. Elle accepta et ils se dirigèrent vers le QG forestier des Oni. Sur le chemin, le démon lui expliqua comment ce petit village avait pu voir le jour et il répondit aux diverses questions qu’elle pouvait lui poser. Quand ils arrivèrent, Naeliya connaissait déjà le plus gros de l’histoire de ce groupe d’élite. Le démon gara la voiture devant la maison qu’il partageait avec son humain et l’invita à entrer à l’intérieur. La jeune femme redécouvrit cet intérieur calme et serein. Il lui offrit de s’installer dans le salon, tandis qu’il préparait le thé.

— Je suis toujours impressionnée par cet univers, l’entendit-il dire.

— Savez-vous, jeune fille, que nous pouvons partager les rêves des autres ?

Il pouvait imaginer son visage surpris.

— Est-ce que Taeliya vous a déjà tous rencontré dans un seul rêve ? Demanda la jeune femme, curieuse.

— Oui ! Et plus d’une fois !

— Incroyable… murmura Naeliya, qui cherchait encore à comprendre tout ceci.

La magie n’existait pas dans leur monde, alors… comment se pouvait-il que cela puisse même exister ? Mais plus elle cherchait à comprendre, moins ça avait de sens. Soudain, quelqu’un ouvrit la porte.

— Oh, te voilà, dit le démon. J’étais justement en train de préparer du thé. Notre invitée est dans le salon.

Des pas résonnèrent jusqu’à ce qu’elle le vît entrer dans le salon.

— Mademoiselle Clark ? dit-il, visiblement surpris qu’elle de la voir de nouveau dans son rêve.

— Monsieur Kim… Je ne sais pas comment j’ai fait pour atterrir ici, et je ne sais pas non plus comment en repartir… Mais je peux sortir, si-

— Non ! Le vit-elle s’exclamer, une légère panique dans ses yeux sombres. Restez ! Je… Je ne comprends pas non plus comment vous avez pu arriver ici, encore une fois… Mais je suis bien content que vous soyez là.

— Ils sont là, annonça Samsara, arrivant dans le salon. Je pense qu’il nous sera bien difficile de tenir tous ici, dans ce petit salon.

— Je l’aime bien, ce « petit salon » dit Naeliya, un sourire timide, mais élégant sur ses lèvres.

Le démon et l’Oni poussèrent tous les deux une sorte de feulement.

— C’est cette sensation que ressent Kaelis ? Ce n’est pas désagréable du tout, sourit Samsara.

— Je suis d’accord.

Quelqu’un cria :

— Rendez-vous QG !

— Nous devrions y aller, jeunes gens, lança le démon, s’effaçant pour laisser passer Naeliya devant lui.

Ce geste élégant était si rare de nos jours qu’elle se surpris à l’apprécier avec plus de profondeur que d’ordinaire. Si même les démons pouvaient être galants, pourquoi les êtres humains ne le pouvaient plus ?

Dehors, elle retrouva Taeliya qu’elle découvrit pour la première fois, ainsi que sa petite famille.

— Naeliya ? L’entendit-elle, tandis que la jeune mère s’approchait d’elle, tenant la petite main d’Elios dans la sienne.

— Taeliya ? Dit-elle, penchant la tête sur le côté.

Une main sur la bouche, la princesse de ce groupe terrifiant, faillit pleurer. Naeliya se précipita sur elle pour la soutenir.

— Désolée, t’ai-je fait peur ? S’enquit la non-voyante avec inquiétude.

— Oh, pardon… Je suis juste surprise de te voir ici et sans ta canne.

— Elle peut nous voir, ici, déclara Kim, se plaçant tout proche d’elle.

L’information figea tout le monde. Puis, une petite voix s’éleva :

— Ça veut dire que Naeliya peut me voir aussi ?

— Tu dois être Elios ? Demanda-t-elle, s’accroupissant à sa hauteur.

— Oui ! Tu me vois ?

— Oui, tout comme je vois ta maman, ton papa et tous ces gens autour de nous.

— Elle a dit « ces gens » ? fit une voix grave et vibrante, presque irréelle.

Un démon dut apprécier ses mots.

Quand elle se releva, elle fit face à Noah, le chef de cette bande d’hommes extraordinaires, ainsi qu’un démon terrifiant.

— Je te présente l’Oni, mon mari, dit Taeliya. Et Kaelis, son démon.

— Je suis enchantée de pouvoir mettre des visages sur des noms, ou l’inverse, sourit Naeliya, cherchant à apaiser la tension qu’elle pouvait sentir.

— Je l’aime bien ! entendirent-ils.

Toutes les têtes se tournèrent vers Kaelis. La créature qui se rapprochait plus du reptile que des monstres comme Samsara ou ceux qu’on pouvait voir dans les cauchemars.

— Heureuse d’avoir pu faire un heureux, dit timidement la jeune femme.

— Et si on y allait ? proposa Taeliya.

Le groupe hocha la tête et lui emboîta le pas, alors qu’elle se faisait guider par son mari, vers le QG sous-terrain. Naeliya allait proposer de faire cette réunion ailleurs, quand une brise glaciale lui effleura le visage. Elle se tut et suivit le groupe, sans un mot. Ces hommes étaient les pires que le monde pouvait porter et elle découvrait, en plus de ça, les démons qui habitaient l’esprit de chacun. C’était inédit pour elle.

Ils n’avaient rien d’un groupe d’idoles comme on peut en voir maintenant, mais ils étaient les stars du glauque. Les rois du sanguinaire et des meurtres spéctaculaires. Comment ne pas se sentir petite en leur présence ni même avoir le cœur qui bat en pensant qu’ils pourraient la tuer dans son sommeil ? Et pourtant, près d’elle se tenaient un Oni et son démon, la protégeant de leur présence.

— Installez-vous, jeune fille, dit Samsara, tirant une chaise pour elle.

Visiblement très surpris par son attitude, ses congénères lui adressèrent des regards choqués. Ils devaient pourtant être habitués avec Kaelis, par rapport à leur maîtresse, non ? Alors pourquoi cette surprise vis-à-vis de celui-ci ?

— Merci, dit-elle, ne cherchant à creuser la question.

Elle prit place entre les deux créatures, gardant son stress pour elle. Taeliya lui faisait face, installée sur les cuisses de son époux, caressant son ventre arrondi, souriant comme une enfant ayant trouvé une copine avec qui jouer.

— Ça me fait tellement bizarre, dit-elle.

— Que quelqu’un d’autre entre dans un rêve ? Demanda Naeliya, dardant son regard sur elle.

— Oui. Je n’ai même jamais vu Jess, lui avoua-t-elle.

— Ah bon ? S’enquit Naeliya, regardant le mafieux, installé entre son compagnon et son démon, leur tenant les mains et jouant de ses pouces dans leurs paumes. Jess, tu as déjà vu quelqu’un d’autre qu’eux ?

— Non. Je ne sais pas si j’aurai pu voir Taeliya, mais Darius et Tristan sont… étaient les seuls que je pouvais voir. Mais je sais qu’ils la voient de temps en temps.

Naeliya sembla réfléchir à la situation. C’était lunaire pour elle. À peine eut-elle mis un pied sur le territoire des Oni qu’elle pouvait entrer dans leur monde (et les voir bien que cette information ne lui vienne pas immédiatement à l’esprit) et pouvait interagir avec eux. Mais la question qu’elle voulut poser fut « pourquoi Jess ne pouvait pas les voir, tous, alors que Taeliya, oui ? » Et elle dans tout ça ? Pourquoi le pouvait-elle ? Y avait-il quelque chose qu’elles partageaient qui faisait que les deux femmes pouvaient voir les démons dans leur intégralité que Jess n’avait pas ? Si tel était le cas, alors qu’était-ce ? Puis, soudain, elle se leva d’un bond, surprenant tout le monde.

Kaelis et Elios cessèrent de jouer, la dévisageant.

— Taeliya !

— Oh ! Tu m’as fait peur ! Souffla la jeune mère. Qu’est-ce qu’il y a ?

— Je crois que je sais pourquoi Jess ne peut pas tous les voir ! S’exclama Naeliya.

— Que voulez-vous dire ? Demanda une des créatures, intriguée.

— La mort ! Répondit la non-voyante comme si c’était une évidence.

— Je vous demande pardon ? Gronda Noah qui n’aimait pas trop la direction que tout cela prenait.

Il ne voulait pas que sa femme revive certains souvenirs trop douloureux pour elle, encore.

— Taeliya, si tous ces articles sur toi disent vrai, alors tu as côtoyé la mort d’un peu trop près, tout comme moi avec mon accident, expliqua-t-elle, les deux mains posées à plat sur la table.

Soudain, Kim et Samsara se figèrent.

Ils se souvenaient qu’elle avait raconté son accident à l’âge de 16 ans. Mais jamais elle n’avait parlé d’une potentielle mort pour elle.

— L’as-tu vu, aussi ? demanda Taeliya, un peu plus timide, comme si elle prenait l’information avec un peu plus de douleur que n’importe qui.

Naeliya se laissa tomber sur son siège et poussa un long soupir.

— Je me rappelle quand nous avons été percutés, alors que mon père ne roulait pas spécialement vite. Nous n’étions pas en tort. La voiture a été envoyée loin… Je me souviens de m’être cognée la tête plusieurs fois contre le plafond de la voiture, mon sac de sport et les affaires de mes parents, posés à côté de moi. Ma tête traversant la vitre, puis le trou noir. Il m’a fallu du temps pour me réveiller… Ma mère m’a dit que j’avais fait plusieurs arrêts sur la table d’opération…

Cette information-là, elle ne l’avait jamais raconté à personne. Pas même à ses amis. De toute façon, qu’est-ce qu’il y avait à leur dire, alors qu’ils n’étaient même pas venu la voir ?

Kim se mit à gronder. Ce genre de bruit qu’un animal en colère pousserait, mais le son était encore plus terrifiant que le rugissement d’un lion. Elle tourna son regard vers lui pour découvrir l’Oni furieux, prêt à dégainer son arme pour abattre la première personne qui croiserait son chemin.

— Kim, appela Taeliya, cherchant à calmer l’homme, mais sa colère était foudroyante.

Noah se mit à gronder à son tour, rappelant son ami à l’ordre, mais rien n’y fit. C’est alors que la jeune mère adressa à la non-voyante, un regard désespéré.

Naeliya ne voulait pas se retrouver sur le chemin de celui-ci, dans un accès de rage, il pourrait la confondre avec sa cible et la tuer sur place. Mais sans réussir à comprendre son geste, la jeune femme posa sa main sur la cuisse du coréen qui se figea. Il tourna la tête et plongea son regard dans le sien. Pris au piège, il se laissa aller à la douceur des doigts qui se refermaient sur lui. Après un certain moment, Kim ferma les yeux et poussa un long soupir.

— Chef, je voudrais m’en occuper… seul, dit-il à Noah. Nous venons de comprendre beaucoup de choses, grâce à Mademoiselle Clark. Je pense qu’il n’y a plus de possibilité pour nous de faire machine arrière. Je ne veux pas l’impliquer dans notre vie, mais-

— Il me semble que, tout comme moi, Naeliya l’est déjà, sourit Taeliya avec cette douceur qui les faisait tous fondre.

Les deux femmes s’adressèrent des petits sourires entendu. Noah et Kim, quant à eux, se regardèrent d’une manière qu’eux seuls pouvaient comprendre.

— Maman ! S’exclama Elios, courant vers ses parents, Kaelis derrière lui.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Est-ce que Naeliya va rester avec nous ?

La question resta en suspens. Personne n’y avait pensé et encore moins la principale concernée. C’est vrai ça ? Que devait-elle faire, maintenant ? Elle avait encore son travail au cabinet d’avocat de Monsieur Gervais et-

La jeune femme se renferma d’un coup à cette pensée.

— Jeune fille ? S’enquit la créature sur sa gauche. Est-ce que tout va bien ?

— Je viens juste de me rappeler de quelque chose, grommela-t-elle.

— Au vu de votre attitude, ce n’est certainement pas quelque chose d’agréable, dit Noah.

— Je vous ai dit que je travaille en freelance en tant qu’interprète, commença-t-elle, le regard fixé sur la table.

— En effet, confirma Taeliya. Mais qu’est-ce que cela à avoir avec ton attitude ?

— Il se trouve que mon « client » actuel, celui qui dirige ce cabinet d’avocats, Monsieur Gervais, est en réalité en contact avec la famille Ernandez.

— Comment le savez-vous ? Demanda Kim, les poings serrés contre lui.

— Avant que je n’appelle Taeliya, aujourd’hui, j’ai reçu un coup de fil de sa part. Il avait l’air tendu et il m’a parlé d’une agression dans mon quartier, information que je ne lui avait pas du tout donnée.

Le silence se fit, comprenant où elle voulait en venir.

— Kim et Tristan. Je veux tout ce que vous pourrez trouver sur la famille Ernandez et ce…
Gervita machin chose, ordonna Noah.

Naeliya et Taeliya éclatèrent de rire.

— C’est Gervais, le corrigea la non-voyante, reconnaissante pour cette façon qu’il avait eut, malgré son agacement, de détendre l’atmosphère.

— Ouais, lui. Nous nous chargerons d’eux une fois toutes les informations en notre possession.

— Je peux vous fournir tous les dossiers que j’ai et le contrat que j’ai signé avec lui, si vous le voulez, dit la jeune femme, de bonne foi.

— Ça nous serait très utile, lui dit Tristan avec un sourire léger.

Ils discutèrent encore et encore de tout un tas de sujets. Ou plutôt, les deux femmes parlèrent avec Jess, laissant les Oni et leurs démons se parler entre eux. Elios participait de temps en temps, amusant la galerie. Samsara et Kim gardèrent Naeliya près d’eux et même quand celle-ci disparue de leur rêve, Kim la savait contre lui, dans sa maison.

— Je devrais y aller, dit-il, se levant pour rejoindre sa maison. Bonne nuit à tous.

— Tonton Kim ! Tonton Samsara ! Bonne nuit ! S’exclama le garçon, agitant ses mains pour leur faire des signes.

Ils lui adressèrent des sourires, puis quittèrent les lieux. Sur le chemin, Samsara dit à son humain :

— Ne la laisse pas seule.

— Je ne peux pas m’imposer dans sa vie. Elle n’est pas comme notre Princesse, rétorqua Kim.

— Tu sais très bien ce que je veux dire. Avec ce qu’il s’est passé pour elle, il nous est impossible de nous en éloigner.

— Je sais. Mais est-ce que tu penses à ce qu’elle pourrait en penser ?

— Tu dois lui en parler…

Mais alors qu’ils entrèrent dans la maison, la jeune femme les attendait, totalement désorientée.

— Mademoiselle Clark ?

— Je… Je ne sais pas ce que je fais là. Je pensais que je me réveillais, mais à peine j’ai ouvert les yeux que je me suis retrouvée ici, expliqua-t-elle.

Kim ferma la porte et s’approcha d’elle.

— Eh bien, souris Samsara. Et si je vous proposais de nous retrouver dans la chambre principale ?

— Qu’est-ce que t’essaie de faire ? Fit Kim sur la défensive.

— Les humains aiment bien jouer aux devinettes, non ? Pourquoi n’irions-nous pas jouer un peu, afin d’en apprendre un peu plus sur vous, jeune fille ? Êtes-vous partante ?

— Je ne sais pas, mais pourquoi pas ?

— Entendu ! Alors, allons-y ! s’exclama le démon, visiblement content de sa réponse.

Ils se retrouvèrent dans la chambre de Kim, tous les trois installés sur le lit, jouant à se poser des questions et mettant des gages pour ceux qui refusaient de répondre. Naeliya passa un moment fort agréable, tout comme ces deux-là, qui semblaient se détendre un peu plus.

***

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