Chapitre 12

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Installée dans le SUV qui allait la conduire, avec les Oni, en dehors du chef qui avait préféré rester avec sa femme et son fils, ce que comprenait la jeune non-voyante, vers une destination qui s’annonçait sanglante.

Installée entre Tarik et Charles, Naeliya se sentait oppressée, voire plus petite qu’elle ne l’était, mais sa détermination n’en avait pas diminué pour autant. Elle rêvait de ce moment depuis si longtemps, qu’elle croyait encore dormir.

Ils n’eurent pas à conduire très longtemps, environ 45 minutes, traversant le village et un morceau de la campagne pour arriver à une villa, plus petite que le manoir Carlington. Kim gara le SUV non loin de l’entrée, bien gardée. C’est à cet instant que Naeliya sorti son téléphone et composa le numéro de la maison de ses parents. Elle mit le haut parleur et dans le silence de habitacle, la tonalité résonnait lugubrement.

Allô ? Naely chérie ? répondit la voix d’une femme.

— Maman…

Tout va bien ? s’enquit la femme qui détectait que quelque chose n’allait pas dans la voix de sa fille.

— Papa est avec toi ?

Euh oui, dans son bureau, pourquoi ?

— Va le chercher. S’il te plaît.

Des bruits, puis la voix de la femme appelant son mari retentirent dans la voiture. Une voix plus grave, qui semblait fatiguée répondit :

Naely ?

— Colonel Clark.

J’écoute.

Mais les larmes se mirent à couler sur les joues de sa fille et il put les entendre dans sa voix.

— Papa… J’y suis. Ils vont payer. Ernandez va tomber… aujourd’hui.

Chérie, où es-tu ? demanda-t-il.

— Devant sa villa. Quelqu’un m’aide. Maman et toi n’aurez plus à souffrir à cause de ce qu’il nous a causé. Je suis désolée pour tout ça…

Qui est avec toi ? demanda son père, de cette voix souffrante d’inquiétude retenue et du désir d’être là pour elle.

Que lui répondre ? Avait-elle seulement le droit de dire leur nom au commun des mortels ? C’est alors que Tarik lui traça quelque chose à l’intérieur du poignet sous le regard acéré de Kim, qui observait la scène depuis le rétroviseur interne.

— Les Oni du clan Carlington, répondit-elle.

Tu… Co… Naely !

— Je te promets de dire ce que je peux, une fois que cette histoire sera terminée. Tout ce que vous devez savoir, c’est qu’après aujourd’hui, nous pourrons vivre normalement, le coupa-t-elle avant de leur dire « je vous aime » puis de raccrocher.

Les larmes coulaient encore sur ses joues, mais sa détermination était encore intacte et son désir de vengeance également. Aujourd’hui, Ernandez et les siens n’existeraient plus. Elle s’en assurerait.

— Une voiture arrive, dit-elle, penchant sa tête sur le côté droit, tendant son oreille aux bruits ambiants.

— Ils arrivent, lui apprit Carl. Mademoiselle Clark, vous êtes sûre de vous ?

— Plus que sûre.

— Allons-y, décida Tarik.

Kim enclencha la marche avant et prit de la vitesse. Tarik et Charles placèrent tout deux un bras devant elle, la plaquant contre son siège.

— Te retiens pas ! Gronda Carl à son ami qui passa des gardes. Défonce moi cette grille de merde !

— Ton langage ! Gronda Kim qui écrasait la pédale d’accélération, percutant le métal peint dans un or un peu trop clinquant à son goût. Jamais il n’oserait porter une telle couleur ni la mettre autour du doigts de quelqu’un. Noah serait écœuré de cette couleur immonde. Le SUV remonta une longue allée jusqu’à se stopper net devant l’entrée de la villa.

— C’est quoi ce bordel ?! s’écria quelqu’un.

— Hé, Tristan ! lança Carl. C’est pas le gars à qui t’as éclaté le nez la dernière fois ?

— Où ça ? Oh ! Ouais ! Copain !! s’écria le plus jeune de la bande, reconnaissant son dernier punching-ball.

Il s’en frottait déjà les mains, comme un gourmand devant un succulent gâteau au chocolat.

— On les fait poireauter un peu ? proposa Orlan, armant déjà son fusil.

— Tu veux t’amuser ? sourit Dorian, se préparant, lui aussi, à passer un très bon moment.

— Monsieur Charles, les coupa Naeliya. Échangez votre place avec la mienne. Je veux sortir la première.

— Naeliya, gronda Kim, se tournant d’un coup vers elle.

— L’effet en sera que plus dévastateur, lui sourit-elle, pendant que Charles se redressait pour la laisser s’écarter et prendre la place qu’il avait occupée.

— Naeliya…

— Kim, laissa la faire, lui dit Tarik. Avez-vous une idée du signe à nous faire ?

— Vous le saurez quand vous l’entendrez… ou le verrez.

— Un dernier mot, avant votre sortie héroïque ? demanda Dorian à la jeune femme.

— Vous avez un cri de guerre ?

— Pour la Princesse, lui dit Charles.

Naeliya sourit, hochant la tête.

— Mon dernier mot sera… Pour la Princesse.

— Vous trichez ! Se plaignit l’Oni.

Naeliya ne put s’empêcher de rire.

Ces hommes étaient les êtres les plus craints sur terre et pourtant, à leur contact, elle découvrait de véritables gamins.

— Pour la Princesse, répéta-t-elle, la main sur le loquet de la portière.

— Pour la Princesse, grondèrent-ils en chœur.

Savaient-ils le courage que cela lui donna ? Aussi étrange que cela puisse paraître, ce cri de guerre en l’honneur de Taeliya lui apporta un certain regain de force et de détermination. Mais avant d’ouvrir la porte, elle allongea son bras vers le chauffeur. Elle en attrapa la chemise et le tira vers elle. Le baiser qu’elle lui donna le choqua autant qu’il lui donna ce désir puissant de tout détruire pour elle.

— Bonne chance, Mademoiselle Clark, dit Carl.

— Amusez-vous bien, lui répondit-elle, un sourire en coin.

La portière s’ouvrit et elle en sortie sous le regard horrifié de Kim. Carl dû le retenir pour qu’il ne blesse la jeune femme dans sa furie.

— Laisse-lui son moment, mon frère.

Dehors, Les hommes d’Ernandez et son fils la pointèrent avec leurs flingues, prêts à tirer.

— Toi ! gronda-t-il. C’est quoi ce bordel ? T’étais où, ‘spèce de salope ?!

Naeliya resserra sa poigne autour de sa canne. Elle pensa à Kim qui devait tout entendre à l’intérieur et avoir une furieuse envie de sortir. Mais elle savait aussi que Carl et les autres allaient le retenir le plus longtemps possible. Enfin… s’ils y arrivaient.

— Vous me cherchiez et moi aussi. Donc me voilà, Monsieur Salopard, dit-elle d’une voix assez forte et aussi assurée que possible.

— C’est qui dans la bagnole ? cria Ernandez fils, furieux, son bandage sur le nez.

— Naeliya Clark ! retentit une voix, légèrement plus loin.

La jeune femme se tendit. Tout son corps lui criait de laisser les Oni sortir maintenant pour tout ravager, mais elle devait se faire violence. Il fallait qu’il dise pourquoi il lui avait détruit sa vie. Elle avait besoin d’une vérité pour lâcher le chaos.

— Monsieur Ernandez. Hm ? Je sens un parfum familier, dit-elle, un sourcil relevé. Monsieur Gervais ?

— Co… Comment savez-vous que… dit une voix plus aiguë que d’ordinaire.

La panique devait se sentir, car elle se mit à sourire. Cet homme était une flipette et elle l’avait toujours su. Mais l’entendre maintenant était juste hilarant.

— J’avais donc raison, lança-t-elle. Vous étiez, depuis le début, de mèche avec la famille qui m’a volé mon adolescence et ma vue.

— Mademoiselle Clark, je peux tout ex-

Ernandez père dû lever la main pour le faire taire, car sa voix mourut dans un silence tendu. Des pas s’approchant vers elle, elle pouvait sentir le chef de cette famille lui faire face.

— Nous vous cherchions depuis un certain temps, Mademoiselle, fit la voix souriante de cet homme exécrable.

— Eh bien, me voici, répondit-elle sur le même ton. Oh, d’ailleurs, désolée pour tout ce bazar, mais la conduite n’est pas mon fort.

— Vous aimez vous jouer de moi, n’est-ce pas ? Grinça le mafieux qui la dominait de toute sa hauteur.

— Tout comme vous avez joué avec ma famille, gronda-t-elle. Ah, d’ailleurs, saviez-vous que vous en prendre à un colonel de l’armée est passible de la peine de mort ? Même pour vous ?

Le fils, en retrait, et les hommes d’Ernandez se figèrent, mais n’esquissèrent aucun mouvement ou ne prononcèrent aucune parole, afin de ne pas montrer leurs inquiétudes.

— Un colonel ? S’étonna le père. Bien essayé, ma belle.

Alors qu’il approcha sa main de la gorge de la jeune femme, il préféra lui assener une claque sonore qui fut le déclencheur d’une chose à laquelle il ne se serait jamais attendu.

Un grondement sourd se fit entendre. La terre vibra, presque en réponse à ce bruit horrible.

— Que… C’est quoi ce merdier, encore ?! S’écria le père, regardant partout autour de lui avant de se concentrer, de nouveau, sur elle. Que faites-vous ?!

— Moi ? Vous voyez bien que je suis seule, devant vous ? Je ne bouge pas. Mais j’ai bien une idée de ce qu’il se passe ici. Si vous voulez être épargné par ce qui risque d’arriver, il vous faut répondre à cette question. Pourquoi avoir ruiné ma vie ?

— Vous vous croyez maligne, hein ? Petite salope ingrate.

Le grondement reprit.

Kim s’impatientait et ses amis devaient avoir du mal à le retenir, maintenant. Elle fit un pas, surprenant le père qui recula.

— Oh ? Vraiment ? dit-elle. Je veux une réponse et je l’exige maintenant.

— Mon fils était bourré, il fallait bien que je le protège ?! répondit l’homme.

— Mauvaise réponse, déclara.

Elle lui assena un coup avec sa canne, ce qui le fit basculer en arrière.

— Papa !

— Monsieur Ernandez ! s’écria Monsieur Gervais, se précipitant pour l’aider à se redresser.

Le fils se tourna vers la jeune femme et l’attrapa par la gorge. Sa poigne se resserrant autour d’elle, l’air lui manquait, mais elle avait encore un coup à jouer. Pourtant, elle ne leur fit aucun signe. Elle devait agir en premier.

Il la fit reculer jusqu’à la plaquer contre l’une des portières du SUV et serra encore plus fort. Mais c’était sans compter sur la capacité de la jeune femme à se défendre malgré sa cécité. Un genou dans l’entre-jambe le fit reculer de douleur. La gorge libre, elle utilisa sa canne comme d’un club de golf et visa le visage du jeune homme qui sentit le bâton en métal lui fracasser une nouvelle fois le nez. Le sang gicla et ses cris de douleur furent le plus appréciable pour elle. Mais quand elle sentit le père se précipiter vers elle, Naeliya eut tout juste le temps de se dégager de la portière, qu’une paire de bras l’attrapa par la taille. Carl.

— Bien joué, la félicita-t-il.

— On peut sortir, maintenant ? Demanda Tristan depuis l’intérieur du véhicule.

— Oui, répondit-elle.

— Chouette !

C’est alors que l’horreur s’abattit sur cette famille qui s’en était pris à une adolescente innocente et sa famille qui avait le droit plein et entier de les détruire. Mais le châtiment arrivait sous une toute autre forme. Celle d’un groupe d’hommes qu’ils connaissaient pour être le fléau du monde.

— Naeliya, gronda une voix dédoublée, comme si son propriétaire n’était pas le seul à habiter le corps qui se mouvait jusqu’à la jeune femme.

— Kim…

Carl s’écarta, préférant ne pas se trouver sur le chemin de son ami dont le démon était de la partie.

— Tu as eu les réponses que tu voulais ? l’interrogea l’entité.

— Pas vraiment, mais assez pour ne pas me sentir attristée.

Kim l’étudia, mais son regard tomba sur les marques violacées autour de sa gorge que le fils avait serrée et celle sur sa joue, là que le père avait frappé. Sa fureur augmenta d’un cran. Samsara était tout aussi dévasté par l’envie de les tuer tous pour s’en être prit à cette femme.

Elle est à nous ! rugit le démon.

Oui… À nous ! confirma Kim.

Tuons-les ! Vite ! Vite ! Tuons-les et ramenons-la chez nous !

— Vous… Vous êtes qui ?! s’exclama le fils, visiblement encore trop bête pour ne pas comprendre qui lui faisait face et ce qu’ils s’apprêtaient à leur faire.

— La mort ! Grondèrent les Oni.

Kim fit entrer la non-voyante dans la voiture, le temps qu’ils ne réduisent en charpie ces gens qui n’avaient aucun droit de fouler cette terre. Elle ferma les yeux et écouta. Elle écouta les cris de détresse, de terreur, le bruit des balles, des os qui se brisent, de la chaire qui se déchire. Le rugissement de Kim qu’elle put définir comme n’étant pas que le sien. Samsara était là. Le démon cherchait à tuer aussi. Il n’avait aucune sympathie pour le genre humain, elle le savait très bien. L’horreur continua encore un moment. Elle percevait les rires de Tristan, le décompte d’Orlan et les plaintes d’injustice de Dorian, ce qui la fit sourire.

Quand le silence revint enfin, la portière s’ouvrit.

— Mademoiselle Clark. Vous pouvez sortir. On vous a gardé un bon morceau, dit Dorian.

Il lui prit la main et l’aida à descendre. Elle balaya le sol, butant contre des corps ou du moins ce qu’il en restait. L’embout rond de guidage qui terminait sa canne se mouillait dans le sang et esquissait des arabesques sur le gravier.

— Vous… Vous les avez tous tués ! s’écria, horrifié, Ernandez qui les avait vu détruire son clan tout entier et détruire son fils sous ses yeux, sans aucun remord.

— Les Oni n’ont aucune pitié pour leurs cibles, déclara Naeliya. Vous devriez le savoir, Monsieur Ernandez.

— Naeliya, l’appela Kim, de cette voix étrange qui ne l’avait toujours pas quitté.

— Je vais bien.

Dorian l’aida à rejoindre Kim et lui posa la main sur le seul endroit non couvert de sang. Son coude. Kim frissonna à côté d’elle.

— Mademoiselle Clark ! s’exclama Gervais, pas loin de là.

— Ils vous ont épargné ? fit la jeune femme, étonnée, tournant vers l’Oni à sa gauche, son visage.

— Tu le voulais mort ? Demanda Kim.

— Monsieur Sa- elle s’interrompit brusquement, mais la voix lui confirma ce qu’elle s’apprêtait à dire.

Elle décida que son client n’avait pas besoin d’être mort. Il vivrait avec le souvenir de ce massacre et pour lequel il avait participé.

— Une dernière volonté ? demanda Carl à Ernandez ?

— Que cette pute m’accompagne en enfer !

La suite, personne ne l’entendrait plus. Un coup de feu retentit et le bruit du corps qui s’affaisse sur le sol apprit à Naeliya qu’il était mort.

— Fouillons les lieux, dit Carl. Tarik, Orlan, gardez celui-là à l’oeil. On va vider cette baraque et y foutre le feu.

— Entendu. Venez, Mademoiselle Clark. Je vous ramène à la voiture, dit Tarik.

Mais Kim ne voulait pas qu’elle le quitte.

— Vous avez quelque chose à faire, tous les deux, dit-elle à l’entité à son côté. Je suis en sécurité.

La minute d’après, la villa prenait feu et ils rentrèrent au manoir. Dorian ouvrit la portière du SUV en cours de route et poussa Gervais qui tomba lourdement sur le bitume, roulant plus loin.

— Adios Gervais ! S’exclama l’Oni.

Il était temps pour eux de rentrer et de faire un rapport, mais une surprise de taille les attendait déjà sur place et aucun d’eux n’était préparé à cela.

***

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