PROLOGUE

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Le défi de la semaine est simple : commander un café sans paniquer.

Facile. Basique. Presque trop ridicule pour être un vrai défi, n’est-ce pas ?

Mon psy est persuadé que j’en suis capable. Bon, ce cher docteur Bonnefoi pense aussi que l’exercice physique est « stimulant » et que parler à des inconnus est « sans danger », donc son jugement est largement discutable à mon humble avis.

J’étais à 30 % d’accord avec lui quand on a évoqué la réalisation de ce challenge, tandis que j’étais confortablement installée dans son bureau aux couleurs neutres et dont la décoration est réduite au strict minimum.

Mais maintenant que je suis devant le comptoir, mon cerveau a pris une décision ferme : mourir sur place est une meilleure option.

Je lève les yeux vers le menu suspendu au mur.

Erreur fatale.

Pourquoi y a-t-il autant de propositions ?

Qui a statué qu’un café ne pouvait pas juste être… un café ? Pourquoi tout doit-il toujours être si compliqué ?

— Bonjour, qu’est-ce que je vous sers ?

Le barista me regarde. Il patiente.

Je dois parler. Maintenant.

— Euh… Je vais prendre…

Je fronce les yeux vers le panneau lumineux. Il y a trop de choix. Beaucoup trop de choix : expresso, latte macchiato, cappuccino noisette, flat white ? C’est quoi, un flat white ?

Je déglutis péniblement.

— Un… euh… un cappuccino. Non, attendez. Un chai latte. Ou peut-être un…

Le regard du barista se plisse légèrement. Derrière moi, quelqu’un souffle, ce qui signifie en langage universel : Dépêche-toi ou je te maudis sur huit générations.

Mon cerveau déclenche l’alerte rouge.

— Un café décaféiné. Avec du lait d’avoine. Non, d’amande. Ou…

Non. Stop.

— D’amande.

Victoire.

Le barista hoche la tête.

— Quelle taille ?

Je panique tellement que je suis à deux doigts de lui répondre : 1m68, pourquoi ? Par chance, je me reprends à temps :

— Euh… moyenne. Non, petite. Grande ? Enfin, entre les deux.

Il attend.

— Moyenne, donc.

— Oui.

Il part préparer la commande. Moi, je me tends, prête pour la partie critique de l’opération : le paiement.

Pas question de reproduire l’incident de l’an passé.

Ce jour-là, j’avais voulu régler en espèces et, sous la pression, j’avais confondu un billet de 10 avec un ticket de bus, envoyé voler mon portefeuille sur le comptoir et offert au barista un spectacle fascinant de mes mains tremblantes, incapables de récupérer la monnaie correctement. Résultat : j’avais reculé en catastrophe avec mon café et une pièce de 50 centimes en équilibre sur ma chaussure gauche.

Depuis, j’ai mis au point une technique infaillible : le paiement sans contact.

Rapide, propre, sans risque.

Je dégaine ma carte bleue d’un geste expert et la plaque sur le terminal avec la rapidité d’un ninja en mission.

Bip. Paiement accepté.

Succès total.

Je récupère mon gobelet avec un sourire crispé.

Et c’est à ce moment précis que mon portefeuille m’échappe des mains, ce qui déclenche une avalanche de cartes de fidélité aux quatre coins du café.

Super.

Je bredouille un « merci », ramasse mes affaires avec une dignité discutable et file vers la sortie.

Mission accomplie.

Avec grâce et assurance ? Absolument pas.

La porte de la crêperie est déjà entrouverte quand j’arrive devant.

Je pousse un soupir de soulagement. Je suis presque rendue à bon port.

Le jeudi soir, c’est jour de fermeture pour Ferdinand, mais il nous laisse utiliser sa salle pour nos réunions du Club des Anxieux Anonymes.

Ou, comme j’aime l’appeler secrètement : le Club des « On Fait De Notre Mieux, Mais C’est Pas Gagné ».

Je monte les trois marches qui mènent à l’entrée en tentant d’ignorer la sensation désagréable d’être observée. Comme à chaque fois, mon cerveau me rappelle que, statistiquement, trébucher en public est une menace bien réelle.

Je respire. Une marche. Deux. Trois.

Pas de chute.

Victoire.

Je pénètre dans la crêperie et referme derrière moi.

Dans la salle aux nappes à carreaux, les autres sont déjà là :

Adèle, qui tient Gustave (son teckel nain) sur ses genoux comme un sceptre royal.

Louis, qui a l’air d’avoir accepté une boisson qu’il ne voulait pas, mais n’a pas osé protester.

Camille, qui a dû recalculer cinq fois si son « salut » d’entrée était socialement approprié.

Ils discutent à voix basse, comme d’habitude.

Mais il y a aussi quelqu’un d’autre.

Un mec que je ne connais pas, assis sur une chaise bancale, un sourire éclatant plaqué sur le visage. Son look est tellement coloré qu’à tout moment, je crains qu’un membre du club fasse une crise d’épilepsie. Il porte un t-shirt jaune large, un pantalon de jogging bleu pastel, et des baskets bariolées si criardes qu’on dirait qu’elles ont été inspirées par un feu d’artifice. Gustave, toujours sur les genoux d’Adèle, le contemple avec un mélange de mépris et de résignation.

Derrière son comptoir, Ferdinand lève les yeux au ciel et annonce :

— Lui, c’est Victor.

Victor nous salue avec enthousiasme, comme si on était une bande d’amis de longue date.

— Salut tout le monde ! Alors, prêts pour une soirée de développement personnel et de dépassement de soi ?!

Silence.

Les autres membres du club et moi échangeons des regards, interloqués.

Gustave pousse un long soupir sonore.

Adèle plisse les yeux et serre son chien contre elle comme un talisman.

— Pourquoi il est là, lui ?

Ferdinand hausse les épaules.

— C’est un cousin lointain. Il s’est incrusté.

— Je n’ai pas pu m’en empêcher ! s’exclame Victor. L’angoisse, c’est mon sujet préféré. Et je suis sûr que vous sous-estimez votre potentiel.

— … Notre quoi ? demande Louis, inquiet.

Camille s’appuie sur la table.

— Attendez, attendez. On parle bien de notre club ? Celui où on passe une heure à tenter de respirer sans hyperventiler ?

— Exactement !

Victor nous gratifie d’un pouce levé.

— Justement, j’ai une idée géniale. On va organiser des défis pour vous sortir de votre zone de confort !

La cacophonie est immédiate.

— Pardon ?!

Louis éclate de son rire nerveux. Adèle étouffe un hoquet d’indignation.

Moi ? Je me pince les lèvres en regardant Victor, qui semble complètement déconnecté de la réalité. L’idée des challenges me fait hérisser les poils, j’ai assez de ce cher Bonnefoi, mais je ne dis rien. Parce que bon, je suis là pour ça, non ? Pour apprendre à surmonter mes angoisses et mes peurs. Même si j’aimerais bien pouvoir rester dans ma petite zone de confort, avec mes habitudes, mes respirations contrôlées, et une tasse de thé réconfortante.

Louis, qui a du mal à dissimuler son scepticisme, prend la parole.

— Et tu veux qu’on fasse quoi, exactement ? Qu’on organise un karaoké gérant ? Parce que là, je ne suis pas prêt à signer pour ça.

Victor secoue la tête avec une telle certitude que j’ai presque l’impression qu’il a déjà préparé son discours de motivation.

— Non, non, pas de karaoké géant… Pas tout de suite. Mais quelque chose qui vous bouscule un peu, comme complimenter sincèrement un autre membre du club. Pas juste un « tu as une jolie chemise ». Quelque chose qui vous fait sortir de votre routine confortable.

Louis, qui a toujours l’air de se torturer intérieurement, se lève d’un coup, les mains tremblantes.

— Pardon, mais là, j’ai envie de crier d’effroi. Dire un compliment ? Nous ? Vous réalisez qu’on parle de la même bande qui s’étouffe quand elle essaie de dire « bonjour » aux gens correctement ?

Adèle, qui n’a pas lâché Gustave depuis le début de la réunion, semble aussi sceptique. Elle regarde Victor avec un mélange de méfiance et d’incrédulité.

— Et pourquoi veux-tu qu’on fasse ça, exactement ? Histoire de nous forcer à sortir de notre coquille ? On a déjà du mal à sortir de nos maisons !

Victor prend un air solennel, comme s’il venait de dévoiler un plan de génie.

— Parce qu’il est temps de briser les murs de l’anxiété. Et rien de tel que de débuter par une louange pour libérer un peu la pression !

Le silence qui suit est lourd, mais étrangement amusant. Tout le monde se regarde en attendant que quelqu’un lance la première pierre. Ou plutôt, le premier compliment.

Je sens un frisson de gêne traverser l’espace. Puis, comme par miracle, Louis commence, le visage rouge d’hésitation :

— Bon. Euh, Camille, je veux dire… tu… tu as un super sens de l’humour, c’est… rafraîchissant. C’est, enfin… ça détend un peu l’atmosphère. Voilà.

Il se rassoit précipitamment.

Camille devient écarlate et affiche un sourire embarrassé.

— Oh. Euh… merci. C’est gentil.

Les regards se tournent vers Adèle, qui prend une grande inspiration avant de murmurer en fixant son teckel avec une tendresse infinie.

— Mon Gustave, tu as des yeux intelligents. Vraiment. Et puis, tu as une belle voix. Un peu stridente, mais ça me manquerait de ne pas l’entendre chaque fois que le facteur dépose une lettre.

Louis éclate de rire nerveusement. Gustave le toise d’un air hautain.

Bon, on est loin de l’échange sincère de compliments, mais au moins, on y met du cœur.

Victor tape dans ses mains comme s’il était témoin d’un record olympique.

— Voilà ! C’est ça ! L’énergie du groupe commence à se libérer ! À votre tour, les autres ! Qui est prêt à faire face à ses peurs ?

Mais avant que quelqu’un ne réponde, Ferdinand racle bruyamment sa gorge. Tout le monde se tourne vers lui.

Il retire son torchon de son épaule et, après un long soupir, déclare :

— C’est bien beau tout ça, mais j’ai quelque chose d’important à vous dire…

Son ton est grave.

Immédiatement, l’atmosphère change.

Un frisson d’inquiétude traverse la pièce.

Que va-t-il nous annoncer ?

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