Chapitre 1
Je quitte le rayon surgelé. J'ai vu ce que je voulais. Direction la sortie par l'allée principale puis le rayon loisirs et sports, devant les raquettes de ping-pong, de tennis, les ballons...
Des ballons, gamin, j'en ai beaucoup vu sans vraiment les toucher. Au foot, j'étais sur le banc. Au départ, ça me frustrait, puis, je m'y suis fait. Silencieux, concentré, j'observais mes potes et finissais par prendre plaisir à les voir jouer et surtout gagner. D'ailleurs, les rares fois où j'étais appelé sur le terrain, mon manque d'entraînement faisait de moi une faiblesse. Et on finissait par me remplacer. Un jour, faute de footballeurs suffisants, j'ai dû jouer tout le match : on a perdu.
Les années suivantes, on m'a donc attribué un poste dans l'équipe, au bon endroit, à savoir hors du terrain. Je partageai moi-même cette idée, non pas née d'une croyance ou d'une superstition, mais d'une logique, presque scientifique. Moins j'étais présent sur la pelouse, moins j'avais d'expérience et plus mon niveau s'écartait de celui de mes petits camarades. Il était donc censé de ne pas me faire intervenir sur le terrain, pour conserver l'équilibre mis en place au sein de l'équipe et renforcer les chances de la faire gagner.
Une théorie qui se vérifia peu après mes 12 ans; avec l'accident. Un truc tout con, digne des spots de pub qu'on nous rabâche à la télé: j'ai traversé sans regarder. Comme l'automobiliste. Une hospitalisation et une immobilisation de plusieurs mois où, pour aller mieux dans un premier temps, les médecins m'avaient demandé de ne rien faire. Je devais rester immobile et attendre que les choses se fassent d'elles-mêmes. Pour moi et l'ado que j'étais, c'était incompréhensible et injuste d'être absent à la rentrée, pour la saison et l'ensemble des matchs qui allaient se jouer. Je n'étais même plus sur les bancs de touche. Hors-jeu. Théoriquement, ça ne devait rien changer. Mais dans les faits, l'équipe n'a gagné aucun match. Le capitaine de l'équipe, Momo, terriblement chiant, charismatique et talentueux avait fini par dire que c'était ma faute. S'ils avaient perdu, c'était parce que je n'étais pas là, avec eux. C'était sa façon de me dire que je lui manquais. Et tout le monde l'a pris comme ça, comme un compliment de sa part, bien déguisé comme les fruits qu'il nous ramenait à chacun de ses anniversaires.
La saison d'après, quelques joueurs avaient changé mais moi, je suis revenu à ma place, sur le banc des remplaçants, à ne rien dire, ne rien faire sinon à regarder mon équipe. Tous les matchs furent gagnés. Momo partit même en centre de formation. C'était la dernière saison pour moi. Aux grandes vacances qui suivirent, je déménageai.
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