Chapitre 3

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 Allez, j'en fais un dernier, celui du centre commercial d'après, à 15 minutes de là. Il y en a un plus proche, mais je crois que c'est aussi un Carrefour. Au moins, celui de la rocade est, c'est un Hyper U. J'aurais donc fait le grand chelem de la grande distrib...

 C'est fou comme le temps passe vite, on est déjà en avril et les écoles supérieures font leur pub. Et même en 4 par 3 pour celle-ci ! Normal, pour une école de pub. Le berceau de mes études.

 La section créativité nous avait accueillis avec un test d'entrée de pratique créative. Il fallait se démarquer avec une simple feuille de papier et "tous les moyens pour nous exprimer à notre portée, autour de nous". Nous avions une demi-heure. Certains s'empressèrent de sortir les crayons, feutres, ou marqueurs qu'ils avaient toujours sur eux pour dessiner leur environnement ou écrire une histoire. D'autres commencèrent à découper le papier, le déchirer ou le froisser, puisant dans leur expérience acquise ou en cherchant un accident heureux. J'en vis même une utiliser sa barre chocolatée pour s'exprimer sur la feuille. Le coup de barre illustré… En tous cas, le temps défilait. Moi, j'observai, encore un peu, histoire de voir si mon intuition était la bonne.

 Quand on ramassa les copies, Mariko Watanabe - une artiste de renom qui usait de sa notoriété pour asseoir une rémunération confortable avec quelques cours hebdomadaires - prit ma réponse et l'exposa à tous en l'interprétant comme un renoncement de ma part. Mais ma position était toute autre : il s'agissait d'un acte mûrement réfléchi, audacieux et risqué. J'avais même signé discrètement au dos ma production. Ma réponse, visiblement appréciée, me permit d'intégrer la section de cette école de publicité et marketing. Avec une simple feuille blanche, que j'avais décidé de garder intacte, sans aucune intervention de ma part. Une réponse immaculée qui se démarquait dans le chaos des autres propositions exposées ce jour.

 Durant tout mon cursus, Mariko, m'enseigna sa passion pour l'art minimaliste. Elle me transmit également les bienfaits du yoga et sa technique de la bougie imparable pour faire le vide dans sa tête, préalable à d'autres techniques… plus tantriques. Une période où j'explorai le vide, son importance et sa présence dans toute création. Aussi, l'art conceptuel, éphémère ou minimaliste constituait la base de mes études, avec, en point de référence constante, l'exposition du vide d'Yves Klein. Tout me ramenait à la présence de ce rien comme élément essentiel dans chaque domaine : l'espace-temps était nécessaire à la mémorisation d'un message, la réserve spatiale éloignait l’œil des mentions légales d’une publicité, quant aux temps de silence, ils permettaient de rythmer les discours.

 Dès mes premiers pas dans la vie active, en tant que directeur artistique, je continuai à prendre le revers des conventions et questionnai la production des messages qui m'entouraient. Chaque jour, nous produisions des actes, des propos, des projets vides de sens dont l'unique objet était de justifier des emplois, des egos ou encore de remplir de l'espace commercial, médiatique et même politique. Et si au départ, je mettais ma désillusion sur le dos de ce premier job, le constat fut le même en tant que directeur communication, attaché de presse ou spin doctor. Le monde s'investissait dans une agitation permanente, industrialisée à grande échelle. Jamais à aucun moment, collègues, partenaires ou dirigeants ne s'interrogeaient sur l'opportunité de ne rien faire ou de se taire pour en faire un acte fort, assumé. Ils préféraient s'adonner à une activité vide de sens plutôt que d'exploiter le sens du vide.

Dès lors, l'art de se terrer et de se taire m'apparut comme un marché de niche.

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