Chapitre 4
En route vers cet autre rayon surgelé. C'est troublant ces constantes d'un hypermarché à l'autre. Les surgelés, toujours au fond à gauche de l'entrée principale. Et ici comme ailleurs, tout le monde s'agite, frénétique. Ça farfouille dans les bacs à promo, on scrute les prix, une dame dit que c'est moins cher ailleurs…
Avec ça, j'aurais fini ma recherche de steaks hachés. Si j'étais suivi par quelqu'un qui ne me connait pas, je suis sûr qu'il penserait que je suis un représentant de l'enseigne, de la répression des fraudes ou un consommateur inflexible dans ses achats.
Me voici devant ma marque préférée, l'objet de mes centres d'intérêt dont les spots de pub étaient encore diffusés ce midi. Quelle inconscience.. Sur la route, Flora m'a envoyé le sms que j'attendais et qui confirme ce que je pensais. En achetant ici, dans un rayon de 50 kilomètres, on consomme bien local : le siège social tout comme le centre de production de ces viandes sont dans le même département. C'est bon pour l'environnement, surtout pour celui de mon travail. Je vais pouvoir rappeler mon client et lui donner un conseil qui m'est cher : ne rien dire et ne pas répondre aux balbutiements des réseaux sociaux. Après tout, ce n'est qu'un suicide. Un de plus, certes et dans un parc d'attraction de renommée. Mais la lumière devrait être rapidement braquée sur une autre viande froide. Périmée et en grande quantité, celle-ci. Dans ce contexte, les cris d'une veuve auprès de ses 645 followers resteront muets contre la vague d'affichettes qui fleurissent sur tous les rayons surgelés des supermarchés. Des populations en danger valent bien plus qu'un seul drame humain.
Je prends en photo l'armoire réfrigérée, totalement vidée. Sur sa vitre figure le communiqué officiel, scotché à l'instant par un employé du supermarché. L'information du retrait de toute la production, assortie d'un numéro d'appel d'urgence est rendue publique ici aussi. Mickaël, journaliste à l'AFP, m'aura sans doute vu prendre ce cliché -il me suit depuis une heure- et pensera me couper l'herbe sous le pied en publiant l'info dans l'heure. Dès lors, tous les médias traiteront de ce sujet. Tous, par facilité, stratégie d'audience, automatisme ou manque de recul. Ils poseront les mêmes questions aux dirigeants, feront la course à celui qui trouvera le premier une victime intoxiquée, interrogeront les politiques qui, à leur tour, s'empresseront d'occuper une place médiatique. Une viande française contaminée et produite à grande échelle : un mois de rabâchage sur toutes les chaînes et dans la presse locale, régionale, nationale... Un délai largement suffisant pour que mon client se fasse oublier.
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