Chapitre 2
Le cours de POO se termine. L’amphi se vide en moins de cinq minutes. Certains filent en Mercedes avec chauffeur, d’autres appellent un Yango. Wilfried, lui, entame son odyssée quotidienne : presque trois heures de transport, tous les jours depuis un an.
45 minutes de marche sous le soleil qui cogne, sac à dos qui scie les épaules. Puis la guerre pour monter dans le bus 82 : on pousse, on joue des coudes, on protège son téléphone comme un trésor. Un frère en Christ hurle la parole de Dieu, bouteille d’eau tendue pour les pièces. Enfin le bateau. Odeur de gasoil, de poisson frit et de sueur. La vendeuse habituelle braille : « Mon produit guérit tout ! Palu, dos cassé… et même la faiblesse sexuelle des hommes-là même ! »
Wilfried serre les dents si fort qu’il sent sa mâchoire craquer. L’image d’Orianne surgit. Il la chasse d’un clignement d’yeux.
21 h 45. Il pousse la porte de la chambre-salon à Treichville. Son père, Monsieur Armand, dort déjà sur le canapé, la jambe artificielle posée à côté. Sa mère rentrera à minuit. Dylan, Bryan et Kiki dorment en tas sur les nattes, bouches ouvertes, bras en étoile. Il les redresse un à un, sans bruit, puis va se laver à l’eau froide.
Il ouvre ses cahiers. Private, public, protected… les mots dansent. Rien n’entre. Son téléphone vibre. 22 h 03.
**Orianne.**
Il laisse sonner cinq fois. Décroche.
« Allô ? — Salut Wilfried… Ça va ? — Ça va. Toi ? — J’ai vu ce que t’as fait tout à l’heure. T’as stoppé Mamadou net. C’était… fort. — La vengeance, c’est pour les faibles. — …Tu parles différemment maintenant. — Peut-être. — Il aurait pu me faire la même chose qu’à cette fille, non ? — Jamais. Il te voit comme une petite sœur. Et t’es la fille de la directrice. Ce genre de saloperie, c’est pour les « garces ». Toi, t’en es pas une. — Et toi, tu me vois comment ? »
Silence. Il entend son propre cœur.
« T’es belle. — C’est tout ? — C’est déjà énorme. — Ta voix est glaciale… Je te dérange ? — Non. Mais je dois raccrocher. À demain. »
Il coupe. Pose le téléphone comme s’il était radioactif.
La phrase tourne en boucle dans sa tête : _Donner de l’amitié à celui qui veut l’amour, c’est donner du pain à celui qui meurt de soif._
L’envie arrive. Brutale. Ça fait exactement six jours qu’il n’a pas touché à la pornographie. Six jours de « semaine sainte ». Le test ultime pour devenir Melindes Prime : l’homme qui contrôle tout, même son propre désir.
Ce soir, le démon hurle plus fort que jamais. Il sort dans la cour, AirPods enfoncés dans les oreilles, marche en rond, respire lentement. Il compte jusqu’à cent. Puis jusqu’à deux cents. Il visualise l’homme qu’il veut devenir : froid, intouchable, maître absolu de lui-même.
La tentation monte, monte… et finit par se briser contre sa volonté.
Il rentre. S’allonge sur sa natte. Un sourire lent, presque effrayant, étire ses lèvres.
Sept jours. Il a réussi sa première semaine sainte.
Il murmure dans le noir, d’une voix si basse que seul lui l’entend :
« Tu ne m’auras plus jamais. Melindes Prime vient de naître. »
Alarme réglée à 4 h 30. Demain, l’armure sera encore plus dure.

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