Chapitre 2 (2) - Ouvre les yeux !

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Jeudi 14 Juillet 1988. 00h30. Appartement de Tristan.

Lucas se faufila à l’intérieur. Il ne put s'empêcher d’admirer le dos de son hôte.

— Vu la chaleur, je préfère la laisser encore ouverte. Elle coince depuis des semaines. J’ai du mal à la fermer. Pour ça, je suis obligé de lui donner une grande claque.

— T’inquiètes, je passerai demain matin, lui mettre un peu d’huile. La porte de sortie du café a le même souci.

— Oh merci t’es trop gentil, comment je ferais sans toi ! dit Tristan déposant un baiser rapide sur sa joue pour le remercier.

— Vas-y installe toi, je vais nous chercher une bière.

Lucas, ferma les yeux, profitant des sensations que lui procurait ce baiser. Arrête idiot, tu te fais du mal pour rien. Sa poitrine était lourde. Il avait du mal à respirer. Et ce n’était évidemment pas la moiteur de la nuit qui en était la cause. Il avait envie de chialer.

— Lucas, ça va ? Ouvre les yeux ! Ça sera plus facile pour t’asseoir, crois-moi, dit Tristan, farceur, en lui déposant une bière fraîche dans la main.

Lucas ouvrit lentement les yeux et s’enfonça dans le seul fauteuil de l’unique pièce du studio, si l’on ne comptait pas le cabinet de toilette et la cuisine.

— Fais pas gaffe au bordel, j’ai pas eu le temps de ranger et encore moins de faire ma valise pour demain matin, le prévint Tristan en regardant sa montre.

Il débarassa machinalement son t-shirt jaune toscan de la chaise en bois à côté de lui sur laquelle il s’assit. Comment fait-il pour se relever de ce vieux machin, je n'ai jamais compris se demanda Lucas. Son regard était fixé sur Tristan. Une envie irrépressible de lui. Son cœur prêt à exploser. Tristan, une main posée sur un genoux, sa bière à la main, appréciait la fraîcheur de sa boisson. Son short kaki laissait apparaître clairement ses cuisses blanches musclées. Les petits plis de son bas ventre montaient et descendaient au rythme de sa respiration. Des gouttes de sueur perlaient sur les poils de son torse et de chaque côté des tempes. Ses lunettes fines adoucissaient son visage. Il était là devant lui, décontracté, heureux, tellement beau…

— Putain, t’as l’air mort ce soir, Lucas. Tu m’étonnes avec cette chaleur. La terrasse n’a pas dû désemplir de la soirée.

— Oui, c’est vrai, avec Marie, nous n'avons pas arrêté, s’empressa de répondre Lucas pour cacher son trouble.

— Ce matin en me servant mon café au bar, tu voulais me parler d’un truc urgent avant que je parte. Je sais que je vais te manquer durant ce long week-end mais quand-même ! dit Tristan pour tenter de le faire sourire.

Tristan était terriblement impatient de partir quatre jours sur l’île d’Oléron rejoindre son meilleur ami Paul, accompagné de Tom, son petit ami. Depuis le mois d’avril où il était venu s’installer dans le studio de Marie, situé au-dessus du Petit Marcel, sa vie avait complètement changé. Sa rupture en février avec Marianne lui avait fait le plus grand bien. Et puis qu’est-ce-qu’il aimait travailler dans ce magasin de disques! Il avait découvert Le Microsillon à son arrivée à la faculté en septembre dernier. A force d’y traîner très régulièrement, de discuter avec le gérant de sa passion pour le jazz, celui-ci avait fini par se laisser tenter. Il lui avait fait faire un essai en tant que vendeur durant les fêtes de fin d’année. Ayant fait ses preuves avec succès. Bertrand (il tutoyait son patron) avait alors décidé de l’employer tous les mercredis et samedis, jours de forte affluence. Au fil des mois, il réalisa que son chiffre d'affaires pouvait lui permettre d’augmenter progressivement le temps de travail de ce tout jeune employé dynamique. Le salaire d’un mi-temps représentait pour Tristan une fortune! Il ne regrettait pas d’avoir arrêté définitivement la faculté au printemps pour gagner sa vie. Même si ce n’était pas du tout du goût de son père. Celui-ci ne décolèrait pas depuis qu’il avait appris la nouvelle par téléphone, au point de refuser de prendre de ses nouvelles depuis. Un véritable bras de fer entre eux. Ce séjour à la mer, c’était ses premières vacances et il comptait bien en profiter !

— Oui, c’est clair tu vas me manque, répondit Lucas sans réfléchir. T’es con ou quoi? Tu le fais exprès à t’enfoncer encore plus que tu ne l’es déjà dans ce fauteuil ?

Tristan fut troublé par la sincérité si touchante de Lucas. Lucas, le serveur du Petit Marcel. Toujours efficace, le sourire impeccable, infatigable, à faire rire les clients à la moindre occasion. Pourtant tellement différent quand ils étaient tous les deux. Déjà trois mois qu’ils se voyaient presque tous les jours. Tristan avait pris ses habitudes. Petit café-croissant au Petit Marcel pour commencer sa journée. Petite mousse pour l’apéritif avant de remonter dans son studio. Sans compter les soirées qu’il passait avec ses amis. Lucas, toujours au rendez-vous, prévenant à son égard, le dépannant dès qu’il pouvait. Il se souvenait très bien du soir, peu après son emménagement, où il était passé à son appartement, pour la première fois, épuisé de son service. Tristan s’était excusé de lui offrir une bière de piètre qualité, la seule qui lui restait dans son réfrigérateur. Lui qui pouvait en boire de bien meilleures juste en dessous! Ils étaient restés un long moment tous les deux, à écouter le dernier disque que Tristan s’était acheté la veille. Sa passion pour le jazz s’était amplifiée depuis qu’il travaillait au Microsillon, découvrant chaque jour de nouveaux artistes et musiciens de renom. Lucas avait profité de ce moment d’apaisement bienvenu avant de s’endormir sans s’en rendre compte. Tristan n’avait pas osé le réveiller, préférant le recouvrir d’un plaid pour qu’il n’ait pas froid. En pleine nuit, Lucas s’était réveillé confus et était parti sur la pointe des pieds laissant Tristan dans son lit, marmonnant un au revoir. Depuis cette soirée, Lucas avait commencé à passer chez lui à un rythme régulier, écouter sa musique. Ils discutaient tranquillement, partageant une bière, parfois une tisane.

— Quatre jours, c’est vite passé, tu sais…Punaise, j’en peux plus de cette chaleur. Je ne sais pas si je vais réussir à dormir. Tant pis, je le ferai dans le train demain matin.

Lucas incapable d’ajouter quoi que ce soit. Un tourbillon d’émotions, coincé dans sa gorge. Tristan le regarda. Il n’a vraiment pas l’air dans son assiette.

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