Chapitre 6 : Un choco BN

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Vendredi 15 juillet 1988. 8h30. Parc de la ville.

Ce matin-là, les passants du parc se faisaient rares. Pourtant, à cette heure de la matinée, c’était le moment idéal pour profiter des allées fleuries embaumées, de l’odeur des pelouses fraîchement tondues, des parfums capiteux des cèdres. Quelques joggeurs tout de même, que l’on pouvait croiser au détour d’un sentier ou apercevoir depuis l’entrée du parc, parcourir de long en large la grande allée qui le coupait en deux. Lucas l’avait traversé une première fois à un rythme soutenu. Une deuxième sans effort. La course à pied lui était indispensable. Surtout à cette saison où il avait besoin de décompresser de ses longues journées. L'afflux de touristes à cette époque de l’année était source de fatigue. Août serait plus calme. C’est pourquoi il aimait bien venir courir tôt le matin avant que la chaleur ne s’installe. Ce matin, il ne travaillait pas. Il pouvait d’autant plus en profiter. Et surtout se remettre de sa fin de soirée chez Tristan. Son cœur lui paraissait alors plus léger, quand ses foulées rapides, énergiques lui donnaient la force d’affronter le monde, de dépasser ses doutes. Ne plus réfléchir, mais laisser son corps parler à sa place.

Il finit son parcours en ralentissant sa vitesse avant une cinquantaine de mètres de marche. Pour arriver tranquillement au banc sur lequel il avait l'habitude de faire ses étirements indispensables pour ne pas se blesser après l’effort. Mais ce matin, celui-ci était occupé. Une jeune fille, probablement dans les quinze ans à vue d'œil, était assise, dévorant des chocos BN. Elle était habillée d’un t-shirt vert sur lequel était dessiné un palmier rose, d’un jean délavé et portait des baskets usées. Son bandana retenait ses cheveux mi-longs et un sac banane était accroché autour de la taille. Elle le regarda approcher, méfiante.

— Bonjour mademoiselle.

— Salut, dit-elle timidement.

— Ça vous ennuie si j’utilise le banc pour m’étirer quelques minutes. Ça m'ennuierait de me froisser un muscle après la course, demanda-t-il le souffle court.

— Oui, si vous voulez. Le banc est à tout le monde ! répondit-elle avec une pointe d'agressivité dans la voix.

— Je vous remercie ! dit-il, sans s’offusquer.

Elle le regarda du coin de l'œil s'étirer une jambe, puis l’autre avant d’attaquer les bras.

— Vous faites du tourisme ? demanda-t-il, curieux, en lui indiquant du menton, le plan de la ville déplié à côté d’elle.

— Heu…oui, c’est ça du tourisme. J’suis en vacances avec mes parents.

— Et bien dis donc, vous êtes bien matinaux !

— Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt comme dirait mon père.

— Oui, votre père a raison ! Et vos parents d’ailleurs, ils ne sont pas avec vous ? dit-il avec un demi-tour sur lui-même, les cherchant du regard.

— Heu…bah là, ils dorment encore. Alors comme je me suis réveillée très tôt ce matin, j’ai décidé d’aller faire un tour, dit-elle mal assurée.

— Ah je vois, ça vous fait des vraies vacances, quoi ! ironisa-t-il, ne manquant pas de remarquer un sac à dos posé à côté d’elle.

— Voilà c’est ça ! dit-elle en riant de bon cœur cette fois-ci.

Lucas finit ses étirements du bassin. Il grimaça un peu. Aurait-il trop forcé ce matin ?

— Vous voulez un choco BN ?

— Non, c’est gentil, mais je veux bien un peu d’eau si vous avez !

— Oui, bien sûr, s'empressa-t-elle de dire en cherchant une gourde qu’elle sortit de son sac.

— C’est gentil.

Il but une gorgée seulement. La gourde était petite.

— Et bien, je vous souhaite de bonnes vacances. Et merci pour l’eau. Au revoir !

— Salut !

Lucas reprit sa course à un rythme soutenu en direction de son appartement.

L’eau tiède parcourait son corps fourbu. Il ressentait chaque muscle de ses jambes, de ses fesses, de son torse. Comme si chaque partie de son corps avait doublé de volume pour mieux respirer. Une sensation d’invincibilité, de bien-être absolu. Il se savonna longuement. Il resta encore un long moment, immobile, à faire le vide dans sa tête. Le sentiment d’être un homme neuf après une telle séance lui fit un bien fou physiquement et mentalement.

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