La Chaleur d'une Amie

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Els récupéra son manteau, ouvrit la porte, laissa rentrer une poule sans la remarquer et s’éloigna. Ignorant parfaitement les environs, elle suivit les murs jusqu’à trouver ce qui ressemblait à une écurie. Sa monture était là, à manger du grain, tranquillement, une jambe bandée sur laquelle elle ne laissait rien reposer de son poids.

Elle s’assura de faire suffisamment de bruit pour ne pas surprendre l’animal et lui flatta l’encolure. C’était une belle alezane, à la crinière coupée en brosse, aux membres fins et longs, au dos fragile, qu’elle avait vu naître et qui lui avait été offerte par la Reine pour son dix-huitième anniversaire. Elle était jeune mais bien dressée, et elle devait saluer son courage. Elle lui avait obéi alors même que son instinct lui hurlait de fuir. Elle devait la remercier aussi, et s’excuser. Si elles en étaient là toutes les deux, c’était parce qu’elle s’était obstinée. Aveuglément.

Elle fit glisser ses mains le long de la tête de l’animal et posa son front contre le sien. Elle prit une grande inspiration. Il fallait qu’elle s’excuse, qu’elle lui parle, qu’elle se parle. Mais il se dégagea de son emprise et lui asséna sans le vouloir un coup sur le nez qui lui en fit voir de toutes les couleurs.

« Hé, du calme ma vielle. Je sais que j’ai fait une erreur, je le sais. J’allais m’excuser avant que tu ne tentes de me casser le nez, figure-toi. Je sais que c’est ma faute si tu es blessée, et je suis incapable de réparer mes bêtises pour l’instant. Mais je me rattraperai. »

Sa jument secoua la tête et souffla, tandis qu’Els lui grattait l’arrière-train. C’était un de ses endroits préférés, et il lui arrivait fréquemment de venir lui en demander, voire en redemander, et la jeune femme ne parvenait généralement pas à céder à ses demandes.

« En arrivant à destination, je te promets des pommes et de l’herbe bien grasse à volonté et un massage spécial longue distance. Et évidemment, je ne te pousserai plus jamais au milieu d’un blizzard infernal comme celui d’hier. Alors pardonne-moi, s'il te plaît. »

Elle secoua la tête en l’entendant renâcler. Bonne ou mauvaise nouvelle, ce cheval avait toujours su lui répondre, qu’elle le veuille ou non, et elle n’avait simplement jamais réussi à interpréter quoi que ce soit de ce qu’il lui avait dit. Ses lèvres s’étirèrent tristement tandis qu’elle fermait les yeux. D’autres problèmes l’attendaient, et elle n’arrivait même pas à faire la paix avec sa propre monture… Si seulement Sigrid était là, se surprit-elle à penser, avant de s’en vouloir profondément. Elle avait une mission à accomplir et son amie avait la sienne. Les choses étaient comme elles étaient, et il n’y avait aucune raison pour qu’elles changent. Il allait falloir faire avec.

Elle frissonna et se rapprocha de l’animal, qui dégageait une chaleur enviable. La jument passa ses naseaux le long de l’épaule de sa cavalière, mâchonna distraitement ses cheveux et enroula son encolure autour d’elle, comme si elle voulait l’enlacer. Il y avait quelque chose de rassurant dans cette étreinte, une certitude. Elle ne lui en voulait pas.

« Els ?

— Linden ? »

La jeune femme sursauta, au grand dam de sa monture, qui s’écarta et tourna la tête en direction du nouveau venu, qui tenait une écharpe dans ses mains. Il s’approcha doucement, caressa la tête de l’animal et s’arrêta à une certaine distance de celle qu’il était venue voir.

« Tout va bien ? s’inquiéta-t-il en la voyant ne pas se retourner vers lui.

— Quoi ? Oui, oui, balbutia-t-elle en se tournant brusquement vers lui, un faux sourire sur les lèvres. Tout va parfaitement bien, oui !

— Tu es partie tellement vite, je me suis inquiété. Mes parents m’ont dit que c’était normal, que tu étais probablement encore sous le choc, mais j’ai l’impression que c’est autre chose. »

Elle prit une grande inspiration. Il y avait plusieurs choses qu’elle devait lui dire, mais elle ne se sentait pas capable de se laisser aller au point de lui révéler toute sa vie. Mais il savait certaines choses, et elle ne souhaitait pas lui mentir. Il l’avait vu dans le pire des états, il lui avait sauvé la vie et il avait été honnête avec elle. Lui mentir serait une disgrâce. Alors elle fit ce qu’elle faisait toujours lorsqu’elle se trouvait dans cette situation : elle ne mentait qu’à demi, en attendant d’être capable de formuler le reste.

Malgré ce compromis, elle savait qu’elle faisait quelque chose de mal, et elle appréhendait déjà les mots qu’elle allait devoir prononcer. Son regard se fit fuyant et elle se tourna vers sa monture, faisant mine de frotter une poignée de paille sur son poil déjà propre.

« Non, ils ont raison, murmura-t-elle finalement en secouant la tête. C’est toujours la même chose. Je n’arrive pas à croire… non, je n’arrive pas à me pardonner pour mon comportement d’hier. J’ai été irrespectueuse, d’une impolitesse inconcevable, j’ai blessé ma seule amie et j’ai mis en péril ma mission, tout ça sans même m’en rendre compte. Et ça veut dire… Ça veut dire que je pourrais le refaire. Recommencer. Et ne pas avoir la chance de trouver un refuge, de trouver des gens conciliants et accueillants, qui ne me considéreront pas comme une proie ou une nuisance.

— Je comprends, mais… »

Elle s’aperçut soudain qu’il s’était rapproché et qu’il la dévisageait. Son regard la brûla, elle laissa ses yeux monter jusqu’aux siens et les détourna à l’instant où elle les vit briller de compassion. Son cœur se serra.

« Je suis désolée, le coupa-t-elle en se détournant à nouveau. Je sais que tu n’y peux rien, mais j’ai peur de finir par me dire que je ne suis pas responsable puisque je ne m’en suis pas rendue compte. Si j’avais retrouvé mes esprits, si je n’étais pas partie… Ce sont ces incertitudes qui me retiennent pour l’instant, mais quand je les aurai dépassées, ce sera comme si je n’avais pas eu le choix. Ce sera une fatalité. Et j’ai peur de partir d’ici sans avoir trouvé de solution, de ne pas avoir réussi à tirer une leçon de mon erreur. Avec tout ce qu’il s’est passé ces derniers jours… J’ai perdu pied, et la solitude ne m’a pas réussie, mais ce n’est pas en forçant quelqu’un à m’accompagner que je vais changer les choses. Il me faut un nouveau plan, et tout ce qui me vient en tête, c’est l’obscurité. Je sais que je ne parviendrai pas à destination seule, sauf que ce n’est pas une raison pour arracher quelqu’un à sa famille et à sa vie. Ce serait incroyablement égoïste et puis… »

Il s’approcha doucement, se plaça en face d’elle et se baissa pour capter son regard. Il n’eut aucun remords à la couper dans sa tirade paniquée.

« Els.

— Je suis désolée, Linden, je suis désolée ! répéta-t-elle en cachant son visage dans ses mains, complètement hors de contrôle. Je ne veux pas te forcer la main, mais c’est définitivement ce que je vais finir par faire à force de dire ce genre de choses… Je vais simplement me taire et… »

Il posa ses mains sur ses épaules, et elle croisa son regard qui s’était fait plus dur, décidé.

— Els. J’ai bien compris ce que tu ressentais et crois-moi, j’aimerais pouvoir te venir en aide maintenant. J’ai déjà refusé et je pense que je refuserai à nouveau, mais je te promets d’y réfléchir plus sérieusement et d’en parler avec mes parents. »

Elle fronça les sourcils, se repassa à toute vitesse la conversation qu’ils avaient eu il y avait à peine une demi-heure et se retrouva encore plus perdue qu’elle ne l’était au départ. Elle examina son visage, certaine d’avoir mal compris une blague ou raté un indice fondamental, mais elle ne trouva rien. Sur son visage lisse mais bronzé, ses mains appuyées contre les bretelles qui tenaient son pantalon, ses yeux bleus transparents… Elle détourna le regard et ne put s’empêcher de bredouiller.

« Mais… Je croyais que tu avais pris ta décision ?

— Je l’ai prise, oui, mais un peu vite peut-être, soupira-t-il en ébouriffant ses cheveux, le regard fuyant. Je n’y ai pas vraiment réfléchi jusqu’au bout, j’ai… refusé de croire en tes compliments. Et même quand j’ai compris que tu le pensais sincèrement, quelque part, au fond de moi, quelque chose m’a fait comprendre que je ne serai pas à la hauteur.

— Et tes parents ? »

Il haussa les épaules et secoua la tête.

« Tu les as vus, ils peuvent s’en sortir. Ils ont encore de beaux jours devant eux, et les gens du village veillent sur eux.

— Attends. On dirait que tu as déjà complètement changé d’avis. Je ne comprends pas. Tu avais l’air si sûr de ne pas vouloir, tout à l’heure.

— Eh bien… Il n’y a que les imbéciles ne changent pas d’avis, non ? »

Il eut un rire gêné et détourna le regard, les joues un peu rouges, et se leva en faisant mine d’aller aider ses parents. La jeune femme le suivit peu de temps après, rassurée sur le sort de son ami, qui avait fini par s’endormir debout.

Cependant, une nouvelle source d’inquiétude venait de lui parvenir, et elle ne put s’empêcher de garder un œil sur Linden toute la journée. Elle le connaissait mal, mais il lui semblait avoir vu deux personnes différentes, et d’expérience, ce genre de situations finissaient mal d’une manière ou d’une autre.

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