Du Tissu et des Révérences

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Ils parvinrent devant la porte après avoir descendu maints escaliers, sans avoir croisé âme qui vive dans les couloirs. Personne, sans doute, ne devait déjà être prêt. Ils étaient en avance. On ne les annonça donc que pour la forme, lorsqu’ils entrèrent dans la pièce, joliment décorée, où un orchestre jouait ses morceaux les plus élégants et les plus rares, sachant d’expérience qu’il n’aurait aucune chance de le faire plus tard, les goûts du maître des lieux étant relativement répétitifs, en attendant que le reste de la compagnie ne se présente. Les valets et autres serviteurs restèrent alignés le long des murs, tandis qu’Els et Linden échangeaient un regard un peu gêné.

« Pourquoi est-ce qu’on est tous les deux en rose ? demanda le jeune homme, nerveux, les mains serrées dans le dos pour se forcer à se tenir droit.

— Je ne te l’ai pas dit ? C’est la couleur de ma maison. Notre baronnie n’est pas la seule, mais cette teinte de rose en particulier nous est associée. C’est la couleur de notre blason.

— Et tu peux porter d’autres couleurs ?

— Évidemment ! soupira-t-elle en gloussant derrière son éventail. Simplement, j’ai pensé qu’il me fallait une couleur à la fois discrète et noble, alors j’ai pris celle qui me paraissait la plus indiquée dans les couleurs que l’on m’a proposées. Et j’avais demandé à ce qu’on te donne au moins un accessoire ou une couleur qui te relierait à moi, au cas où nous serions séparés. Tu me retrouveras plus facilement, comme ça, et les autres nous regarderont comme un ensemble à ne pas séparer.

— Je ne te quitterai pas des yeux, de toute façon, fit-il, avant d’ajouter précipitamment : Je ne compte pas m’éloigner de toi.

— Tu y seras obligé, si jamais on m’invite à danser. Je ne peux pas refuser.

— Mais moi je vais y être obligé, je ne sais pas danser.

— Je danserai suffisamment pour nous deux, ne t’inquiète pas. Ah, si, une seule chose : je te déconseille vivement de refuser directement quoi que ce soit à un souverain. Trouve des excuses, ment si ça peut t’aider, mais ne leur dit pas non. C’est un mot qu’ils ignorent et détestent à la fois.

— Comment… ?

— Ah, aussi. Ne te pose pas trop de questions. Il se passera très probablement des choses bizarres, inhabituelles ou que tu ne comprendras pas. Pose-moi la question discrètement si les choses t’intriguent vraiment, mais ne t’offusques pas et ne t’en mêle pas plus que nécessaire. Reste en retrait. Observe. »

Il hocha la tête, s’immobilisa le temps qu’elle ajuste l’angle de son nœud papillon, avant de se retourner et de lui souffler :

« Regarde. Le Roi Arsène arrive. »

Une profonde révérence plus tard et la jeune femme se baissait à nouveau jusqu’à terre pour accueillir Catherine et Frederick d’Orcratie, qui félicitèrent la nouvelle venue et louèrent son courage, qui devait être impressionnant pour qu’elle soit parvenue seule à traverser la moitié du pays malgré la neige ! Els ne pût s’empêcher de s’excuser des ennuis qu’elle leur avait causés, mais l’un comme l’autre la rassurèrent. Leur fils s’était comporté de manière inappropriée et ce n’était en aucun cas sa faute si les choses avaient pris de telles proportions.

Leurs mains se portèrent automatiquement vers les verres qui passèrent à portée, et tous les quatre se trouvèrent à boire ensemble, à la mémoire du bon vieux temps, qui n’était pas si vieux que ça, mais personne ne souleva cette incohérence, par pure politesse.

S'ensuivirent ensuite des sourires de convenance, des révérences, encore et encore, face au Roi Carlos notamment, qui courtisa la jeune femme sans la moindre discrétion, chaque fois que son épouse s’éloignait de lui. Celle-ci semblait se désintéresser tout à fait du reste des convives et observer avec attention les nouveaux venus. Elle insistait régulièrement pour inviter Linden à danser, à tel point qu’il faillit accepter, avant de lui avouer qu’il ne savait pas et qu’il ne se pardonnerait jamais de lui écraser les pieds. La souveraine lui répondit en riant et en s’éloignant, mais elle ne détourna pas vraiment son attention d’eux. Els en vint à frissonner à force de sentir son regard dans son dos, mais se refusa à l’aborder directement. Cette femme était une alliée, et elle devait sans doute tenter de les sonder pour voir à quel point elle pouvait leur faire confiance. Ils devaient donc se montrer inoffensifs, et surtout montrer à quel point l’attitude de goujat du Roi Carlos leur était insupportable, tout en ayant l’air parfaitement polis.

Linden finit par se demander ce qu’il faisait là. Il ignorait l’étiquette, la danse, les usages, la diplomatie… Il savait qu’il avait demandé à Els de rester avec elle. Il savait aussi que le Roi avait voulu qu’ils soient présents tous deux à cette fête, et il l’avait lancée en leur honneur. Impossible d’y échapper. Peut-être que c’était pour ça qu’ils étaient là tous les deux. Qu’il était là, lui. En fait, il n’y avait aucune autre raison, si ce n’était la volonté du Roi. Même son amie ne s’était pas posé la question. Il devait être là. En conséquence, elle lui avait confié un rôle, un rôle important.

Il prit une grande inspiration. Il n’avait peut-être pas de raison véritable d’être au milieu de ces gens, mais elle comptait sur lui. Il devait lui prouver qu’elle avait eu raison.

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