Deuxième Miracle (2/3)

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  Sur cette prise de conscience naquit une nouvelle vibration. Une vibration plus tendre, plus agréable que toutes celles ressenties jusqu’alors. Élérif avait commencé à tourner autour de sa mère avec une lenteur et une douceur évoquant son amour filial. Zella, pleine de compassion, admirait l'abnégation de son fils sympathique qui allait disparaître au sein de sa création une fois celle-ci achevée. Elle-même allait y demeurer pour l'éternité des éternités. L'œuvre de sa progéniture terminée, plus jamais n'aurait-elle la joie de voir ses enfants ni même son conjoint sympathique. Mais la concrétisation de son existence en Ao lui procurerait une jouissance perpétuelle qui valait à elle seule tous ces sacrifices.

  Et tel en allait-il pour toutes les manifestations participant au Second Miracle : elles allaient fusionner avec lui pour lui donner corps et intégrer pour toujours la volonté d'Ao. Elles allaient atteindre la félicité ultime d'avoir réalisé leur destinée.

  Élérif se dupliquait, tournait de plus en plus vite, s'enroulait autour de sa mère comme voulant l'enlacer dans une étreinte fusionnelle. L'énergie qu'il dégageait faisait résonner toute la trame d'Ao, propageant la vibration résultante jusqu'à Pfios, pourtant éloigné d'une distance des siens telle que les lumières d'Alicar seraient là-bas à jamais absentes. Puis lorsqu'il eut atteint l’ultime perfection de ses spirales, lorsque Zella eut quasiment disparu à l’intérieur d’elles, Élérif se mit à enfler. Il enfla à en faire reculer ses frères et sœurs qui l’observaient de trop près, il enfla à en cacher une partie de copies d’Alicar dans le lointain. Cette croissance démesurée, exponentiellement alarmante, il ne l’arrêta que quand Éléri’a, en comparaison de ce nouveau corps bedonnant à l’extrême, sembla vingt fois plus petite.

  Ce fut le temps des adieux. Dans un dernier sursaut de conscience Élérif s'exprima, accompagné en cœur par sa mère juste avant que celle-ci fût complètement recouverte par lui :

  « Ao est ».

  Et ce fut fini. Zella disparut dans Élérif qui se solidifia, cachant à jamais la primordiale du reste d'Ao. La vibration continua encore quelques instants puis s'estompa avant de s’étioler pour de bon, marquant la fin du processus de création.

  « Vandi'a est », dit alors simplement Alicar.

  « Vandi'a est », reprirent ses enfants restants sans une once de regret ou de chagrin. Leur mère battait maintenant en Vandi'a, et leur frère sympathique leur avait offert en ultime don l'endroit dont eux avaient besoin pour créer. Bientôt, à sa surface, feraient-ils eux aussi don de leur être en intégrant leurs futures créations.

  « Allez-y », ordonna le sympathique primordial. « Allez contempler l'œuvre que votre frère a créée pour vous. »

  Nassia, Évia, et Zarim n'avaient pas attendu la fin de cet ordre pour se mettre en branle, car ils se sentaient irrésistiblement attirés par Vandi'a. En vérité, pour être la destination finale de leur existence, Vandi’a les appelait à elle aussi sûrement que l’éclat des flammes appellerait un jour à lui les insectes à paraître. Et tels les moins farouches de ces derniers, ils se rapprochaient de leur propre finalité sans aucune crainte ni appréhension, buvant la vision de ce monde vierge qui ne cessait de croître en proportion. Non pas qu'il gagnait en taille, sa croissance s’étant achevée avec la disparition de leur frère sympathique : c’était eux qui, petit à petit, rapetissaient à son approche ! Ils devenaient minuscules par rapport à ce qu'ils avaient été jusqu’alors, au point même de presque disparaître au regard d’Alicar et de leur frère Kelloar, restés dans le firmament. Suivant des lois du Grand Tout à jamais inconnues, ils décrurent jusqu'à atteindre la taille des créatures qui, un jour, peupleraient le macrocosme dont ils seraient les architectes.

  Alors qu’ils n’en étaient encore qu’à mi-distance, de leur nouveau référentiel la création d’Élérif emplissait déjà tout leur champ de vision. À ce moment, ils se rendirent compte que leur frère avait eu raison : lui qui, maintenant, figurait la séparation entre le vide d'Ao au-dessus d’eux et le sol de son œuvre vers lequel ils fondaient, lui n’avait de cesse de s'aplatir, de s’étendre à mesure de leur descente. Appelé ici horizon, il s’étalait dorénavant comme une unique droite qui, étrangement, se courbait tout autour d’eux et allait s’élargissant alors qu’ils continuaient à descendre vers lui.

  Loin derrière, vu de leur nouvelle échelle comme une colossale boule de lumière blanche, Alicar les suivait de ses feux. À leurs sens, leur géniteur sympathique resplendissait de puissance. Il n’était qu’un point, le point fondamental en Ao, et cependant il leur apparaissait maintenant mainte fois plus large que Vandi'a, pourtant déjà gigantesque. Alicar était le sympathique primordial, et ce qu'ils en voyaient n'était pas une création solide telle qu’Éléri’a ou Vandi'a. Il était le témoignage de la toute première œuvre d'Ao, une concentration astronomique d'énergie bienveillante. Ils réalisèrent alors pourquoi il avait été désigné comme protecteur de Zella, puis de Vandi'a et de sa lune : rien, à part Ao lui-même, ne pourrait jamais rivaliser avec sa majesté.

  Sur ces réflexions, ils remarquèrent que les détails de la surface de Vandi'a commençaient à apparaître. Leur descente ralentissait, ainsi que leur rapetissement. Quelques instants plus tard, et ils touchaient le sol.

  « Admirez ! », leur intima Alicar.

  La surface de Vandi'a, aussi lisse et unie leur avait-elle semblé de prime abord, était loin d’être homogène. Elle était au contraire constituée de composants bien plus petits qu'eux. Des composants encore plus microscopiques que les êtres microscopiques qu'ils étaient devenus eux-mêmes aux sens des leurs restés dans le vide d’Ao.

  « Cela est la terre, le sable et la roche », leur expliqua le primordial. « Ces éléments seront les bases de vos créations ».

  « Et que devons-nous créer ? », demanda Nassia.

  « Sublimez vos capacités », fut la seule réponse à leur être donnée. Ce serait également la dernière qu’ils recevraient jamais de leur géniteur sympathique.

  Les trois Créateurs restants observèrent. Vandi'a était, à leur échelle, plate, où qu'ils regardassent. Désespérément plate.

  « Il manque à Vandi'a nos caractéristiques ! », lança Nassia, subitement touchée par l’illumination.

  Cette évidence, maintenant évoquée, les conquit sans plus de palabres. La finalité de leurs existences, leurs rôles ultimes leur étaient apparus par cette simple constatation.

  Instantanément en joie, Nassia se sentit une envie irrépressible de zigzaguer comme jamais. Ce qu'il manquait à Vandi'a, c'était de la hauteur ! Il lui manquait des pointes, des sommets !

  « Mes chers frères et sœurs », entama-t-elle solennellement, « je vous salue. Je vais maintenant devenir montagnes, et intégrer Vandi'a ».

  Sans broncher, Évia et Zarim la regardèrent s'élancer à l'assaut de cette terre vierge. À l'instar de ses frères Élérif et Kelloar elle se mit à accélérer, encore et encore. Elle disparaissait d'un côté de l'horizon pour réapparaître de l’autre, parfois même surgissant dans leur dos. Et plus elle parcourait la surface de Vandi'a, plus celle-ci se modifiait. La vibration de création était apparue, bien que de nouveau différente des précédentes. Celle-ci provenait de Vandi'a elle-même et ne se propageait pas en dehors de sa superficie. Alicar et Kelloar, observant la poursuite du Second Miracle depuis le vide d'Ao, ne purent d’ailleurs pas la ressentir. Ils en admiraient cependant les effets : au sol, le visage de Vandi'a se transformait. Les premières montagnes sortirent de terre. Certaines se regroupèrent en chaînes observables depuis le firmament, d'autres en série de petits monts en dents de scie à peine visibles, selon les facéties de Nassia.

  Puis, lorsqu’elle considéra son travail achevé, qu'elle considéra avoir pris suffisamment de place sur Vandi'a, elle se sélectionna un lieu, un endroit où elle allait se surpasser pour marquer les éternités à venir. Au milieu de sa chaîne montagneuse la plus aboutie elle fit un ultime plongeon, et de son point d'impact surgit la plus haute, la plus parfaitement symétrique, la plus majestueuse montagne de Vandi'a, dont le sommet dépassait tous ceux alentour d'une hauteur au moins !

  Et les vibrations cessèrent. Plus rien ne bougea sur Vandi'a. Nassia avait achevé son œuvre et s’y était intégrée à jamais.

  Évia et Zarim admirèrent le travail accompli.

  « Notre sœur a bien œuvré », dit Évia.

  « Un peu trop bien même », répondit son frère. « Vandi'a manque de courbes à présent ! Toutes ces pointes heurtent ma vision. »

  « Dans ce cas, à toi d’œuvrer mon frère. »

  Zarim ne se fit pas prier. Empli d'un entrain allant de pair avec son caractère, il déclara : « ma chère sœur, je te salue. Je vais maintenant devenir collines et intégrer Vandi'a. »

  Sur quoi il suivit l'exemple de Nassia et lança ses longs mouvements courbes entrecoupés de paisibles lignes droites. Le sol se remit à vibrer mais moins intensément, car les créations de Zarim étaient plus nuancées. Là où Nassia n'avait pas laissé son empreinte apparurent alors de douces boursouflures. Parfois courtes et basses, d'autre fois longues et imposantes, avec entre elles des parties de surface restées planes. Zarim se permit même d'aller empiéter sur les abords des montagnes de sa sœur pour leur donner un air moins austère. De tous, il était celui prenant le plus de plaisir à peaufiner ses créations.

  Lorsque son travail toucha également à sa fin, loin de l'extravagance de Nassia il se laissa intégrer à son œuvre sans coup d'éclat. Les vibrations cessèrent et Évia se retrouva seule, avec comme unique compagnon le silence tout autour d’elle. Elle ressentait toujours la présence des membres disparus de sa lignée, ainsi que celle plus ténue de sa mère, mais au travers d’autant d’échos lointains touchant davantage son cœur qu’aucun de ses autres sens. Toutes ces présences étaient maintenant aphones et statiques, comme si elles avaient perdu leurs deux capacités d'Ao correspondantes. En comparaison de ce qu’elles avaient été jusque-là, elles semblaient… simplement endormies, et paisibles.

  État qui serait bientôt également le sien.

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